Caroline Vu
Un été à Provincetown,
traduit de l’anglais par Ivan Steenhout
Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2016, 188
p., 21,95 $.
Le Vietnam autrement
L’Indochine devenue pays
estropié. Vietnam du Nord, Vietnam du Sud. Enfants arrosés de napalm. Boat
people en mer de Chine. C’est ce que raconte Caroline Vu dans Un été à Provincetown en retraçant l’histoire
d’une époque et en brossant une fresque truculente qui met en scène une famille
nombreuse. Voyons comment elle nous fait voyager et nous amène dans cet univers
tout en demi-teintes.
Le roman compte 17 chapitres,
chacun consacré à un membre d’une famille vietnamienne dont l’origine remonte à
celle de l’Indochine, péninsule du continent asiatique et ancienne colonie
française. Ahn, la grand-mère de la narratrice Maï, règne sur ce clan sans que les
membres y puissent quoi que ce soit, tout en sachant contourner ses décrets.
Chacun a un rôle à jouer, souvent
déterminé avant même sa naissance. L’ordre hiérarchique, des plus âgés aux plus
jeunes, prédomine. C’est une famille aisée, dont plusieurs membres ont étudié
en France comme le grand-père qui est médecin. Or, leur statut est menacé par les
radicaux qui veulent chasser le colonisateur, son esprit et ses empreintes
laissées sur la société.
Cette instabilité sociopolitique ébranle
les Vu. Or, plus la narratrice remonte dans le temps, plus elle découvre les
tares congénitales des siens. Par exemple, les mariages arrangés sans l’avis des
jeunes filles, dont celui de sa propre mère à qui on imposa un époux alors
qu’elle n’avait que 15 ans.
Cette femme refuse d’abord d’unir
son corps à celui de Nam, ce conjoint obligé aussi gentil que laid, de qui elle
aura, malgré tout, un fils prénommé Tung. C’est elle qui tiendra un bar et un
resto, et se livrera à divers commerces lui permettant de préserver son
autonomie. Capable de tout, elle deviendra même médecin plasticienne.
Entre-temps, la guerre poursuit ses
ravages. Les gens du Nord fuient au Sud et affrontent leurs concitoyens qui les
considèrent comme les parias ayant appuyé la montée du communisme. L’arrivée
des GI aggrave la situation. La narratrice met en perspective l’engagement des
É.-U. dans cette guerre, une intervention qui ne rassure personne.
La narratrice nous fait aussi découvrir
quelques-uns des siens. Nous rencontrons Sexy Hai, médecin et séducteur à ses
heures; Hoc, son père aussi appelé Petit gardien de buffle; tante Thu, l’aînée
de la famille dont l’époux est prénommé le Pédophile; tante Francès, la cadette
qui a fui vers la France; Catherine, l’épouse française de l’oncle Chinh et
mère de Daniel, cet enfant métissé qu’elle abandonna et qui eut une enfance incertaine,
personne du clan ne s’occupant vraiment de lui.
Tous les chapitres du roman débutent
en rappelant le cousin Daniel, décédé à Montréal où une partie de la famille
s’est réfugiée. Si on nie son homosexualité et on ignore le sida qu’il a
contracté à Provincetown, tous redoutent les cris et chuchotements des vérités
qui ne peuvent se dire, mais que chacun, à tour de rôle, lui a secrètement confiées.
Quant à Maï, que sa grand-mère prénomme
Malchance, car elle est l’enfant de l’adultère et qu’elle semble semer le
malheur partout où elle passe, elle a su rester en dehors du tourbillon familial.
Narratrice, son récit met en relief chacun des personnages importants de la
smala, les reliant les uns aux autres en précisant le rôle de chacun et unifiant
ainsi l’ensemble de la trame et de l’action qui s’y déroule.
Un été à Provincetown semble s’inspirer de la vie de la famille de Caroline
Vu, mais l’auteure a su conserver l’étanchéité de la fiction. J’ai aimé que le
roman m’amène au sein d’une famille vietnamienne différente de celles auxquelles
la littérature nous a habituées. Le code qui la régit est asiatique dans son
essence et français dans sa culture sociale, entre bouddhisme et catholicisme.
Cette aura mystérieuse, aux aspects exotiques, enrichit l’œuvre et permet à la
romancière de jeter un regard à la fois ironique et affectueux sur les
traditions ancestrales.
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