Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras
Les Superbes :
une enquête sur le succès et les femmes
Montréal, VLB, 2016, 256 p., 29,95 $.
Il n’y a pas de
p’tites violences
Il est rare qu’un livre éveille
en moi un malaise persistant. C’est pourtant dans l’embarras que Les Superbes, « une enquête sur le
succès et les femmes » signée Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras,
m’a plongé. Qu’allait faire un baby-boomer septuagénaire dans l’univers pourri
de la misogynie institutionnalisée scrutée à la loupe par ces femmes qui,
malgré leurs engagements militants, n’ont pu s’en soustraire?
Si je suis familier de l’œuvre
écrite de M. H. Poitras, j’ignorais qui était Mme Clermont-Dion. N’étant pas un
aficionado de la grand-messe du dimanche soir où elle a raconté qu’adolescente
elle a souffert d’anorexie, je ne connaissais pas sa démarche ayant mené à Charte québécoise pour une image corporelle
saine et diversifiée et à un premier livre, La
revanche des moches (VLB, 2014).
Une seule rencontre a suffi pour arrimer les atomes des deux auteures et
leur inspirer un livre dans lequel elles allaient recueillir le témoignage de
femmes d’influence ayant rencontré mille embûches, généralement masculines,
pour atteindre leurs buts ou poursuivre leurs projets. Elles ont elles-mêmes
vécu l’ostracisme mâle à la suite d’interventions remarquées sur la place
publique.
L’originalité de l’ouvrage, c’est
qu’il propose de suivre, presque pas à pas, la démarche intellectuelle qui les
a amenées à le rédiger et l’évolution pratique de sa réalisation. La formule des
entrevues ou de la synthèse de celles-ci ayant réussi dans le premier livre de
Mme Clermont-Dion, les auteures ont conservé cette façon de faire, en ajoutant
la correspondance qu’elles ont entretenue entre elles du début à la fin du
projet. Il en résulte un ensemble de points de vue, uniques dans la spécificité
des personnes rencontrées, majoritairement des femmes, mais différents dans
leurs façons d’affirmer leur engagement.
Comment faire sa place dans
différents « boys’ club » en tant que femme, d’y demeurer et même d’y
accroître son pouvoir? De cette question découle celle au cœur des Superbes : jusqu’où les pièges
tendus à leur égard peuvent aller? Je n’ai senti aucune amertume de la part des
femmes qui ont collaboré avec les auteures, mais une certaine lassitude des
constants rappels qu’elles doivent faire à leurs vis-à-vis masculins. Comme si
le prix de l’équitabilité des rôles était d’abord celui de fréquentes redites.
Les témoignages recueillis me
semblent correspondre à l’engagement public de chacune des femmes qui les ont
portés, car en harmonie avec leurs actions. Ainsi, les propos de Pauline
Marois, de Louise Arbour, de Sonia Lebel ou de Francine Pelletier ont la force
et la pertinence des responsabilités de chacune d’entre elles. Aucune ne fait
le procès de qui que ce soit, sinon qu’il faut être aveugle pour ne pas
comprendre que l’hommerie n’est jamais bien loin des crocs-en-jambe qui leur
sont faits. Le partenariat homme-femme qu’évoque Mme Marois suggère une piste
de réflexion menant peut-être à de nouvelles attitudes, de nouveaux
comportements dont la société tirerait des avantages.
Un autre aspect des échanges dont
le livre nous fait les témoins, c’est celui des violences de toutes sortes
faites aux femmes. On pense ici à Mariloup Wolfe, attaquée par les propos
violents d’un blogueur, ou à Joanne Liu dont le travail de présidente mondiale
de Médecins sans frontière la met jour après jour devant la misère des femmes
en zone de conflit.
Le malaise initialement ressenti
ne s’est jamais estompé, mais j’en suis venu à comprendre ce qu’il l’a provoqué :
l’attitude primitive d’un ensemble d’hommes face à la liberté de pensée et
d’action des femmes qui occupent l’espace public qu’elles choisissent sans se
laisser arrêter. J’ai peine à imaginer le sort de toutes les autres sur la
planète qui sont réduites au silence.
Très bon texte monsieur Jean-François que je partage.
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