Nathalie Leclerc
La voix de mon père
Montréal, Leméac, 2016, 160 p., 15,95 $.
De vieilles photos animées
Chère Nathalie Leclerc, votre
récit, La voix de mon père paru chez Leméac,
m’a profondément ému. J’ai eu l’impression d’être à vos côtés alors que vous
avez posé devant vous une boîte renfermant de vieilles photos de famille et que
vous avez laissé vos yeux se poser sur certaines d’entre elles dont les visages
ou les paysages évoquent des moments inoubliables, de votre enfance à l’âge adulte.
Moi qui, autrefois, fus sévère à
l’endroit de certains enfants de grands artistes, leur reprochant de
surprotéger la mémoire de leurs parents, croyant leurs souvenirs aussi publics
que leur carrière. Votre prose m’a fait comprendre mon erreur de jugement, car,
si ces gamins n’ont pas choisi de partager leurs parents lorsqu’ils étaient vivants,
ils ont le devoir de préserver la pérennité de leurs œuvres comme de leur
personne.
Vous êtes la fille unique de
Félix Leclerc dont vous partagez la paternité avec Francis et Martin. Votre
héros « à voix de violoncelle » habite votre existence depuis votre
naissance à Boulogne-Billancourt, en France. Habiter est un euphémisme, car l’âme
du père squatte littéralement la vie de la petite fille à la femme que vous
êtes devenue au point où, après son décès, vous avez mis des années pour vous
libérer d’une peine dont les pleurs embuaient votre existence. Comment peut-il
en être autrement quand on est l’enfant d’un demi-dieu qui est parvenu à imposer
sa voix et sa plume tranquille, un véritable coup d’État dans le domaine de la
culture québécoise des années 1950 alors si « franchouillarde » qu’il
a dû passer par la France pour être reconnu?
Mais quand ce lien père-fille s’est-il
imposé dans votre vie? Vous racontez : « J’ai six ans… [J’ai la] tête
posée contre le mur de la coulisse, je le regarde, et la petite fille que je
suis comprend à ce moment précis qu’il est toute ma vie, pour le reste de ma
vie. » Et d’ajouter « Je suis submergée de tristesse et, pendant ses
absences, j’attends. » Que fait l’enfant pour meubler son ennui? Le « piano
devient une bouée de sauvetage pour endurer les heures d’attente interminable
qu’entraînent les absences de mon père lors de ses tournées européennes. »
On comprend alors la difficulté
de classer toutes ces photos souvenirs glanés dans magma d’une quarantaine d’années,
dont près de la moitié après que votre père s’en soit en-allé. Vous avez donc créé
des répertoires selon les sujets ou les thèmes qui se dégagent de ces images. Vous
les avez intitulés « il était une fois » (sur l’enfance du père); « ensemble »
(sur votre enfance); « devenir grande » (sur votre adolescence); « devenir
vieux » (sur votre héros qui vieillit); « seule » (après le
décès de votre père); « vivre? » (comment s’inventer un quotidien une
fois le père parti); « vie » (la mise en abyme de l’absence
paternelle).
Ce diaporama imaginaire prend vie
au rythme des anecdotes que chacune des photos fait ressurgir de votre mémoire
et que vous colorez des mots qu’elles évoquent. Ces gestes, au sens d’autrefois
qui me semble convenir parfaitement à vos propos, nous font entrer dans le
quotidien de Félix Leclerc à travers les yeux de sa fille chérie.
Ce père dont les absences durant
la petite enfance sont des supplices que seuls les retours à la maison peuvent
arrêter. Ce père dont les amis célèbres ou célébrés, venus d’ici ou de France, font
partie du quotidien de l’enfance ou de l’adolescence, comme cette rencontre
entre deux héros, Félix Leclerc et Maurice Richard.
Récit thérapie? Je l’ignore, mais
je comprends que Nathalie Leclerc fait, grâce à son indéniable talent d’écrire,
un immense présent au public pour qui la mémoire de Félix est toujours bien vivante.
Pour ajouter à l’émotion du livre, je suggère d’écouter « Nathalie
Leclerc, une fille de l’île », une entrevue qu’elle a accordée à l’émission
Salut! Ici André Roy sur les ondes de
Radio Ville-Marie, en octobre dernier, qui est disponible sur le site Internet
de la station, sous l’onglet « Écouter/émissions archivées ».
P.S. J’ai rencontré votre père alors que j’avais 19 ou 20 ans.
J’allais l’entendre pour une énième fois au Cabastran, la boîte à chanson
joliettaine située non loin de chez mes parents, quand une VW s’est arrêtée et que
le conducteur m’a demandé sa route. J’ai reconnu Félix et l’ai salué en
précisant que j’allais justement l’y entendre. Il m’invita à monter de sa voix
unique. Ce bref huis clos a gravé en moi un souvenir impérissable que ses
chansons me rappellent sans cesse.
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