Célyne Fortin
Ici et Au-delà, accompagnée de 16 œuvres de
l’auteure
Montréal, Les Heures bleues, 2016, 96 p., 19,95 $
(papier), 14,99 $ (numérique).
Éphémère avant, éternel après
Il arrive que deux œuvres se
croisent sur ma table de travail, et que l’une fasse écho à l’autre. Cette
magie toute littéraire m’ébahit alors des jours durant. Un tel petit miracle
s’est produit quand Ici et Au-delà (Les Heures bleues, 2016), le
plus récent recueil de poésie de Célyne Fortin, et You Want It Darker (Columbia, 2016), le dernier opus de Leonard
Cohen, se sont ainsi rencontrés. Chez l’une et l’autre, l’heure des bilans, tout
en recueillement et en retenue, était venue comme mille petits deuils ressentis,
puis effacés d’un trait.
On hésite toujours à aborder la
fin de vie, conférant à cet ultime voyage d’éternels pouvoirs jamais vérifiés.
Mort et tristesse semblent erronément vouer au monde de la peine, le décès effrayant
de sa peur les mal vivants. C’est un peu cela qu’Ici et Au-delà évoque, la
poète mettant en perspective la façon d’autres cultures et d’autres époques
d’appréhender une vie après la vie.
Je note d’abord les trois longs
versets qui composent le recueil. Ils s’intitulent « Le livre des momies »,
« La mo-rt-mie ou la mi-mort » et « Le livre de la mort ».
Je scrute chacune de ces sections et je constate que, dans le lien que
l’auteure fait entre les rites de l’Égypte des pharaons et le peu d’habitudes
mortuaires d’aujourd’hui, il n’y a que la perte, aussi soudaine que subite, de
la foi en dieux et en diables. Sans elle, effacée par « ces riches
pilleurs de culture », il y ni paradis ni enfer possible.
Il faut ici examiner
attentivement la plastique des six œuvres de Célyne Fortin, véritables
sculptures vivantes rappelant le grand respect que les bâtisseurs de pyramide portaient
envers leurs morts qui, croyaient-ils, allaient vivre ailleurs et, surtout,
allaient trouver cette sérénité que la vie sur terre n’avait pu leur apporter.
Les êtres disparus
ne sont nulle part
Quand on les cherche
on ne peut
que les trouver en soi
Dans « La mo-rt-mie ou la
mi-mort », un long poème intitulé « Suivre le Nil » où alterne
les vers et les œuvres graphiques illustrant chacune des strophes, le respect
qu’évoque ou symbolise la momie voyage jusqu’à nous, car
Corps de marbre
âme de fleur
une momie
ne doute pas
de son destin
Momie vivra
Longtemps
sur les rives
du Saint-Laurent
Après ce voyage mémorial au pays
où le respect des ancêtres est éternel, la poète est prête — l’est-on jamais? —
à ouvrir « Le livre de la mort » et à mettre sous nos yeux six poèmes
abordant autant d’aspects de cette inéluctable contingence à laquelle il nous
faut tous nous résoudre, plus tard que tôt. Ainsi, « Quand » énumère
ce que les vivants deviennent aux yeux des autres lorsqu’ils décèdent, scellant
ainsi un destin qui n’est autre que la perception qu’on a eue d’elles ou d’eux.
« De l’étoile au trou noir » rappelle le paradis perdu, le vide
céleste où
Les abîmes logent
les trous noirs
Les étoiles mortes
les dieux morts
Les abîmes logent la mort
le malheur
le mal
« De naître à mourir »,
troisième poème du verset, m’a particulièrement ému, troublé même, car ses vers
font une saisissante synthèse de l’éphémère du passage sur terre. Voyez par
vous-mêmes :
Depuis l’ovule
nous sommes de passage
nous transitons de l’eau à l’air
et puis de l’air à la terre.
Ce qui rend cette vie-là si
fragile, ce n’est pas tant la mort annoncée, mais ces dieux promettant une
éternité intangible.
Il n’y a de Dieu
autre que celui que l’on se crée
Que l’on fait à son image
aussi changeante
qu’il n’y a d’humains sur la terre
et d’ajouter que
La mort c’est Dieu
« La grande nuit qui va
venir » et « Je ne réponds plus à l’appel » sont les vers qui
terminent ce voyage entre un hier éphémère et un jamais éternel, aussi
inflexible l’un que l’autre. Et il n’y a rien de terrifiant à croire que la
mort arrivera quand on n’aura « plus rien à désirer », surtout
lorsqu’on est « absente à la mort » comme le suggère Célyne Fortin.
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