mercredi 8 janvier 2025

Marc Séguin

Madeleine et moi

Montréal, Leméac, 2024,120 p., 16,95 $.

« L’art illustre une volonté » 

J’ai de l’admiration pour les œuvres Marc Séguin, artiste multidisciplinaire dont le talent est aussi grand que son attention et son écoute de la société actuelle et passée. Ses romans, sa poésie et son journal de bord illustré intitulé L’atelier (Fides, 2021) qui m’est devenu un refuge pour contrer la bêtise humaine. J’y suis d’ailleurs souvent revenu pour me replonger dans l’univers de sa créativité picturale, si bien que je ne suis pas autrement étonné que Madeleine et moi, son nouvel opus paru l’automne dernier, soit le récit de sa rencontre artistique avec l’œuvre du peintre Ozias Leduc (1864-1955), maître de l’art décoratif religieux dont les toiles sur chevalet sont méconnues.

Séguin nous prévient : ce livre n’est pas un essai sur une œuvre complexe, mais le récit de sa découverte de « Labour d’automne » (1901), une toile qui lui fut une épiphanie, l’ampleur du travail de Leduc, son génie créateur et l’invention de techniques qui lui survivent mettant en perspective son propre art. Dès cette rencontre, Séguin a fait une place dans son agenda déjà chargé pour explorer l’ensemble de l’œuvre du peintre de Saint-Hilaire, au Musée national des beaux-arts du Québec et dans cinq églises québécoises qui abritent beaucoup de son patrimoine.

Séguin se fait guide muséal en rendant compte et en commentant les œuvres, la plupart étant intégré à l’architecture d’un bâtiment. Il les observe de son point de vue d’esthète et de peintre, ce qui lui permet d’attirer notre attention sur des détails techniques allant, par exemple, de la pigmentation de certaines couleurs, au procédé pour les obtenir et même à la technique au marouflage qui consiste à coller une toile faite en atelier ou un revêtement décoratif sur la surface d’un plafond, d’un mur. Ce n’est pas tant la difficulté du collage que Séguin note, mais le travail d’imaginaire et de création préalables à l’exécution de l’œuvre qui, complétée, formera un ensemble pictural mis en valeur par divers compléments.

Parallèlement à ses visites, Marc Séguin raconte son travail de créateur, soit dans son atelier montréalais, soit dans celui de l’Île-aux-Grues. Cela nous permet de mieux connaître sa façon de pratiquer son art de la peinture, qu’il conçoit plus comme un métier que l’artiste patenté qui se gausse de son statut.

Le fil conducteur entre Leduc et peintre Séguin est une toile de l’Hilairemontais intitulée "Madeleine repentante". Découverte par hasard, cette œuvre peu connue de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec l’a ému au point où il s’est approprié le thème en faisant une suite de Madeleine dont nous pouvons voir près d’une vingtaine « d’essais » à la fin du livre.

Je vous suggère d’ailleurs d’aller sur le site du MnbaQ (https://collections.mnbaq.org/fr) faire une visite virtuelle de la collection des toiles d’Ozias Leduc, en étant particulièrement attentifs à « Labour d’automne » (1898-1902), la toile qui a amené Séguin à sa recherche du patrimoine pictural de Leduc, ainsi qu’à « Madeleine repentante » (1901) qu’il s’est approprié en peignant l’émotion que la toile de Leduc lui a fait ressentir.

Je ne ferai pas ici une à une la visite des six lieux, majoritairement des églises, faite par l’auteur. Je retiens cependant qu’il a eu la sagesse de consulter Laurier Lacroix, l’exégète des œuvres d’Ozias Leduc à qui il a consacré une large part de son travail de reconnaissance artistique. Cela m’a rappelé la visite d’un grand musée d’Italie, la guide nous prévenant que nous allions nous arrêter devant des toiles choisies parmi celles qu’elle a étudiées en profondeur et dont elle peut mieux nous en faire apprécier la technique picturale et le génie créateur de l’artiste. Pour Marc Séguin, lui-même artiste peintre, M. Lacroix a pu lui faire examiner des détails qui dépasseraient les observations du commun des mortels, mais qui sont significatifs pour un artiste. De plus, Lacroix a pu mettre en perspective les œuvres d’une église à l’autre et même permettre à Séguin de visiter des lieux généralement interdits au public.

Revenons à Madeleine et moi, alors que l’écrivain nous entraîne dans ses ateliers. Ces pages sont aussi intéressantes que celles qui traitent d’Ozias Leduc, car elles nous font entrer dans l’univers de Séguin, l’homme et le peintre. Je retiens la toute dernière séquence débutant par « Retour à l’île ». L’écrivain y raconte le trajet menant à l’Île-aux-Grues, en véhicule tout-terrain, en nous faisant littéralement vivre les sept kilomètres par temps d’automne. Il nous fait ainsi ressentir les caprices du climat et entendre le jappement des oies blanches accompagnant celui de son chien.

« Trajet heureux. Plein de promesses. Qu’elles se réalisent ou pas, c’est l’envie qui fait avancer. Ou une forme de mirage. C’est toujours le cas pour un artiste. » Et les promesses de ce séjour sont celles de la Madeleine et moi. « Plusieurs fois j’ai tenté de peindre et de représenter le territoire. Chaque fois, encore, comme ces Madeleine, j’ai produit des œuvres incomplètes. Qui m’ont laissé insatisfait. Peut-être sommes-nous condamnés à ne jamais avoir de sentiments heureux. Peut-être faut-il ne jamais ressentir ce que l’on cherche à offrir et à donner. » Nous sommes ici devant une quête dont la réalisation est d’avoir créé un objet nommé toile, une « étrange preuve d’avoir un peu existé. Le reste de la patente est une marée de doute. »

Toujours à l’Isle, mais une autre fois : « Pris dans la tempête de vents et de rafales…, je suis resté trois jours de plus à l’Isle. À relire sur Ozias Leduc, mais surtout à regarder encore et encore des reproductions de ses œuvres. Avec encore autant, sinon plus d’admiration. L’homme a réussi, surtout dans sa peinture de chevalet, à résoudre l’équation du sens et de la beauté. Parfois – le constat sera dur, car j’en connais plusieurs –, certains artistes sacrifient leur génie au profit de leur talent, parce que c’est plus payant, populaire et immédiat. Monsieur Leduc a su éviter cet écueil. »

Ce qui manque à Madeleine et moi, si je puis dire, ce sont l’illustration des deux toiles sur lesquelles Séguin insiste; je suis donc allé les revoir sur le Web à maintes reprises durant ma lecture. Curieusement ces toiles m’ont semblé être comme intrusion dans l’univers psychique de Marc Séguin, le peintre réfléchissant sur un de ce pair qu’il admire et l’écrivain qui met en mots des histoires dont certains fils sont aux couleurs de Leduc et d’autres à sa propre palette, le tout formant une immense fresque intitulée Madeleine et moi.

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