mercredi 15 janvier 2025

Jean Lemieux

L’affaire des Montants

Montréal, Québec Amérique, coll. « QA Fiction », 2024, 300 p., 29,95 $.

Surprenant de retour aux Îles

Bienvenus dans l’univers du policier André Surprenant, personnage au cœur des aventures que le romancier Jean Lemieux lui consacre. Intitulé L’affaire des Montants, cette neuvième histoire ramène le sergent-détective du SPVM aux Îles-de-la-Madeleine où il a séjourné alors qu’il était à l’emploi de la SQ.


Pourquoi ce retour aux Îles? D’abord, la une d’un quotidien montréalais qui relate l’assassinat de Florence Turbide, 41 ans, mère de trois enfants et propriétaire de la bergerie Moutons des Montants, d’où le titre du roman. Pour les collègues de Surprenant, cette histoire revêt un certain intérêt, car le compagnon de cœur et d’affaires de la défunte est un certain Philippe Santoro, « trente-huit ans, un ingénieur marseillais recycler serveur » au Petit Albert, « un bistro du centre-ville associé à vous savez qui… », comprendre le clan Rizzuto.

Surtout, il y a cet appel matinal de « son ami et ex-entraîneur de hockey », « Platon Longuépée » qui décrit la victime « comme sa belle-fille ou sa nièce par alliance » et qu’il croit qu’il n’y a qu’« un amariné comme toi qui peut tirer ça au clair. » (16) Notez ici le mot tiré du lexique des Îles, amariné signifiant « habitué à la mer, aux manœuvres, au régime du bord. »; l’auteur utilise d’autres mots et expressions de ce coin du Québec, ce qui donne plus d’authenticité géographique au récit.

Incapable de résister à cet appel, Surprenant convainc son patron au poste de la Place Versailles de le « déléguer » pour venir en appui aux agents de la SQ aux Îles, avec l’accord de ces derniers va sans dire. Le sergent détective n’est pas à sa première entourloupette pour obtenir ce qu’il veut et ce voyage dans ses anciens quartiers quelques jours avant Noël ne lui déplaît pas. Ne lui reste qu’à convaincre Geneviève, sa compagne, qu’il sera de retour le 24 décembre, surtout que cela risque le dernier temps des fêtes pour sa mère Nicole. Geneviève comprend que son homme ne passera pas un joyeux Noël s’il ne va pas sur le terrain et qu’il rentrera au bercail pour la raison que l’on sait. Et voilà André Surprenant en route.

Sur place, il est associé à Olivia Mansour, « signe distinctif : j’ai pas l’air d’une police. » Il constate qu’en effet « elle ressemblait davantage à une finissante du secondaire qui allait dormir chez sa best qu’à une sergente-enquêteuse de la SQ. » Les présentations faites, le Montréalais va chercher son véhicule de location avant de rejoindre sa collègue. Le locateur est Louis Schofield, l’ex-conjoint de la défunte et père de leurs trois enfants, un personnage que le détective reverra plus d’une fois.

Surprenant retrouve Mansour à l’endroit convenu et elle lui fait le topo des faits – Florence T. a été assassinée d’un coup « d’un pistolet puissant, peut-être en haut de .40 » en pleine face après avoir vu son chien mourir, un montagne des Pyrénées blanc – et de la quasi-absence de preuves recueillies sur les lieux du drame, ce qui est déjà, pour lui, le signe qu’on a voulu maquiller le meurtre.

L’Auberge de la Pointe où le sergent détective s’installe est la propriété de Nectaire Turbide, parent avec Florence comme avec tous les Turbide des Îles descendants de Rosaire, décédé dans le naufrage de la Rose-Angèle il y a longtemps.

Retrouvant Olivia chez elle, ils discutent en mangeant une chaudrée de fruits de mer qu’elle a cuisinée. Répondant à ses questions, elle lui apprend que Moutons des Montants est à la fois bergerie et resto. La bergerie, c’est Florence, le resto, c’est Santoro. En réalité, Youssouf est un marmiton que Santoro a fait venir de la Métropole; marocain d’une cinquantaine d’années, on découvre sa longue expérience avec les moutons et son absence aux Îles, le soir du crime. La vraie chef du resto, c’est Louise-Anne Arseneau, Elle pour tout le monde; amie d’enfance et inséparable de Florence, elle fut son associée à l’origine de la bergerie. C’est la dernière personne à l’avoir vu vivante.

Revenons chez Olivia Mansour. « La première chose que [Suprenant] avait remarquée en entrant chez elle était, à côté de la table à manger, un tableau de liège d’un mètre et demi de côté monté sur un chevalet. Chronologie, acteurs principaux, questionnements étaient épinglés en colonnes rectilignes sur de petites fiches de couleur découpées à la main. » C’est à partir de ces informations qu’elle fait le premier breffage à son invité. Deux choses à retenir à ce stade : Elle Arseneau n’est pas la première suspecte, mais elle lui a appris qu’à son avis, « Florence s’apprêtait à mettre Santoro dehors ».

Le poste de la SQ aux Îles ne ressemble plus à celui de l’époque de Surprenant. La lieutenante Marlène Johnson est, aux dires de la jeune détective, « une TOC finie », c’est-à-dire qu’elle souffre d’un trouble obsessionnel compulsif qui a suffi pour se voir confier un poste avec peu d’effectifs, car il ne s’y passait pas grand-chose.

Jean Lemieux, en vieux routier du polar, sait nous faire imaginer ses personnages en quelques mots, tout au plus une ou deux images, peu importe leur rôle dans l’histoire. Il ajoute en temps et lieu les informations supplémentaires nécessaires au déroulement de l’action, par exemple celles concernant les techniciennes du poste qui viennent en soutien aux enquêteurs.

Tout est dans les détails, dit-on des romans policiers, comme lors de véritables enquêtes. Ainsi, lorsque André Surprenant revoit les photos prises au moment de la découverte de Florence Turbide, il note que l’œil droit « exprimait l’horreur, mais aussi la surprise », une observation plus réaliste qu’un lecteur averti retiendra.

Faisons comme Olivia Mansour et son tableau de liège, et mettons-nous en tête les personnages croisés. Le premier, on se souvient, Louis Schofield, l’ex de Florence. Il a pour alibi d’avoir passé la soirée avec Delphine, l’aînée de ses enfants, les frères jumeaux étant chez des amis. Le père et la fille ont regardé Casablanca, un vieux film en noir et blanc aux dires du paternel qui n’est pas chaud à l’idée qu’on interroge sa fille.

Le second personnage, Nectaire Turbide, tenancier de l’auberge, servira à raconter ce qui s’est passé au cours de la soirée tenue à l’occasion de la fête organisée par l’Office du tourisme de la région qui s’est déroulée au resto, à quelques mètres de la bergerie. Philippe Santoro était à la cuisine et Elle remplaçait le cuistot Youssouf qui a pris l’avion plus tôt ce jour-là. S’y trouvait également Paule Greco qui remplaça Elle au four quand celle-ci partit pour accompagner Florence, gagnée par la fatigue dont on connaîtra la cause plus tard.

Le personnage de Santoro intéresse particulièrement les enquêteurs, bien qu’il semble avoir un alibi béton. Il faut dire que « le restaurateur possédait cette qualité subtile, le charme, qui rendait plus intrigant le fait que certains de ses voisins ne semblaient pas le tenir en haute estime. » Surprenant, ayant utilisé ses contacts montréalais, sait que Santoro était « passé d’ingénieur à Marseille, à garçon de table au Petit Albert sur la rue Mansfield à Montréal ». Explication simple et rapide : un divorce compliqué. Puis, il y a eu son coup de foudre pour les Îles et sa rencontre avec Florence Turbide. Ils sont devenus un couple, malgré la détestation que Delphine lui vouait, tout comme certains partenaires d’affaires. Bref, tout roule dans son univers, surtout ce qu’il tait.

La maison de Mme Turbide, le resto et la bergerie ont été mis sous scellés pour fins d’enquête et inspectés plus d’une fois pour tenter d’y ramasser des preuves pouvant être utiles à l’enquête. Les environs, tous à proximité de ces bâtiments, sont passés au peigne fin, même si le vent a fait son œuvre dès le soir du crime.

Les informations arrivent au compte-gouttes, les observations sur le terrain sont peu concluantes. À moins, bien sûr, que l’enquête ait démarré sur de fausses pistes, ce que suggère un coup de feu entendu par un voisin de Florence, la veille de son assassinat. C’est une des réflexions que Surprenant se fait en promenant l’autre chien, le montagne des Pyrénées semblant en piteux. Après quelques balades, l’animal a repris la forme et se montre plus enjoué. Un soir au cours d’une sortie, il s’arrête net sur la route et se met à gratter la glace jusqu’à ce que des éclaboussures de sang apparaissent : c’est exactement là où sa maîtresse et son quadrupède de compagnon ont été assassinés. Le sergent détective comprend l’ennui du survivant, ce qui pouvait expliquer son état de santé.

L’enquête progresse à petits pas et, malgré l’efficacité du travail d’équipe, le temps commence à manquer, Surprenant devant rentrer à Montréal le 24 décembre. Ce dernier finit par avoir une conversation téléphonique avec le Marocain Youssouf qui lui confirme que travailler avec le couple Turbide-Santoro n’était pas simple et que, s’il n’avait eu qu’à prendre soin du troupeau, les choses se seraient mieux déroulées.

Deux événements se produisent coup sur coup, ce qui alimente les recherches. D’abord, la découverte d’un garage derrière la bergerie, où se trouve une Alfa Roméo dont la clef est parmi celles accrochées près de la porte arrière de la résidence du couple Turbide-Santoro. Le second est la découverte par Audrey Lelièvre, compagne d’Octave Loiseau, d’un « gun » dans la boîte de gros sel au bas de l’entrée en côte.

Bien que Loiseau n’ait pas toujours été d’accord avec Florence, elle n’en demeure pas moins une parente et il n’a pas le profit d’un meurtrier. Quant à l’Alfa Roméo, Santoro l’utilise pour aller régulièrement à Montréal depuis un certain temps – quels sont les motifs? –, elle est retrouvée calciné, le policier veillant le site s’étant assoupi en pleine nuit.

On s’énerve à la SQ et la collaboration des contacts montréalais de Surprenant commence à embêter ses supérieurs. Le stratagème que l’inspecteur imagine est tel un coup de poker comme il en a souvent joué dans sa carrière. Il expose son subterfuge à Olivia Mansour et ils le mettent à exécution. J’arrête ici la relation de l’aventure, sinon pour dire qu’un ou une présumé-e coupable est pris au piège, que l’enquête se poursuivra pour s’assurer que les preuves recueillies mèneront à sa condamnation.

Chose certaine, André Surprenant est rentré à temps à Montréal où Geneviève, son amoureuse, l’attendait pour le conduire, à sa surprise, à Iberville où toute la famille était réunie autour de sa mère Nicole.

Faire la recension d’un roman policier de haut niveau pour l’inculte que je suis de ce genre n’est pas simple, surtout que plusieurs histoires d’apparences secondaires sont reliées au cœur de la trame – notamment ici des histoires de famille, incluant celle du personnage principal et de son oncle (sic) Roger – et nourrissent les péripéties, parfois comme si elles étaient des mises en abyme, des histoires dans l’histoire.

La météo hivernale nous invitant à nous encabaner, avant ou après les sports de saison, L’affaire des Montants vous sera un excellent compagnon de détente, tout en sachant que ses intrigues vous tiendront bien éveiller à mener votre propre enquête d’une péripétie à l’autre.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire