Jean Lemieux
L’affaire des Montants
Montréal, Québec Amérique, coll.
« QA Fiction », 2024, 300 p., 29,95 $.
Surprenant de retour aux Îles
Bienvenus dans l’univers du policier André Surprenant, personnage au cœur des aventures que le romancier Jean Lemieux lui consacre. Intitulé L’affaire des Montants, cette neuvième histoire ramène le sergent-détective du SPVM aux Îles-de-la-Madeleine où il a séjourné alors qu’il était à l’emploi de la SQ.
Pourquoi ce retour aux Îles? D’abord, la une d’un quotidien montréalais qui relate l’assassinat de Florence Turbide, 41 ans, mère de trois enfants et propriétaire de la bergerie Moutons des Montants, d’où le titre du roman. Pour les collègues de Surprenant, cette histoire revêt un certain intérêt, car le compagnon de cœur et d’affaires de la défunte est un certain Philippe Santoro, « trente-huit ans, un ingénieur marseillais recycler serveur » au Petit Albert, « un bistro du centre-ville associé à vous savez qui… », comprendre le clan Rizzuto.
Surtout, il y a cet appel matinal
de « son ami et ex-entraîneur de hockey », « Platon
Longuépée » qui décrit la victime « comme sa belle-fille ou sa nièce
par alliance » et qu’il croit qu’il n’y a qu’« un amariné comme toi
qui peut tirer ça au clair. » (16) Notez ici le mot tiré du lexique des Îles,
amariné signifiant « habitué à la mer, aux manœuvres, au régime du
bord. »; l’auteur utilise d’autres mots et expressions de ce coin du
Québec, ce qui donne plus d’authenticité géographique au récit.
Incapable de résister à cet appel,
Surprenant convainc son patron au poste de la Place Versailles de le
« déléguer » pour venir en appui aux agents de la SQ aux Îles, avec
l’accord de ces derniers va sans dire. Le sergent détective n’est pas à sa
première entourloupette pour obtenir ce qu’il veut et ce voyage dans ses
anciens quartiers quelques jours avant Noël ne lui déplaît pas. Ne lui reste
qu’à convaincre Geneviève, sa compagne, qu’il sera de retour le 24 décembre,
surtout que cela risque le dernier temps des fêtes pour sa mère Nicole.
Geneviève comprend que son homme ne passera pas un joyeux Noël s’il ne va pas
sur le terrain et qu’il rentrera au bercail pour la raison que l’on sait. Et
voilà André Surprenant en route.
Sur place, il est associé à Olivia
Mansour, « signe distinctif : j’ai pas l’air d’une police. » Il
constate qu’en effet « elle ressemblait davantage à une finissante du
secondaire qui allait dormir chez sa best qu’à une sergente-enquêteuse de la
SQ. » Les présentations faites, le Montréalais va chercher son véhicule de
location avant de rejoindre sa collègue. Le locateur est Louis Schofield,
l’ex-conjoint de la défunte et père de leurs trois enfants, un personnage que le
détective reverra plus d’une fois.
Surprenant retrouve Mansour à
l’endroit convenu et elle lui fait le topo des faits – Florence T. a été
assassinée d’un coup « d’un pistolet puissant, peut-être en haut de
.40 » en pleine face après avoir vu son chien mourir, un montagne des
Pyrénées blanc – et de la quasi-absence de preuves recueillies sur les lieux du
drame, ce qui est déjà, pour lui, le signe qu’on a voulu maquiller le meurtre.
L’Auberge de la Pointe où le
sergent détective s’installe est la propriété de Nectaire Turbide, parent avec
Florence comme avec tous les Turbide des Îles descendants de Rosaire, décédé
dans le naufrage de la Rose-Angèle il y a longtemps.
Retrouvant Olivia chez elle, ils
discutent en mangeant une chaudrée de fruits de mer qu’elle a cuisinée.
Répondant à ses questions, elle lui apprend que Moutons des Montants est à la
fois bergerie et resto. La bergerie, c’est Florence, le resto, c’est Santoro.
En réalité, Youssouf est un marmiton que Santoro a fait venir de la Métropole; marocain
d’une cinquantaine d’années, on découvre sa longue expérience avec les moutons et
son absence aux Îles, le soir du crime. La vraie chef du resto, c’est Louise-Anne
Arseneau, Elle pour tout le monde; amie d’enfance et inséparable de Florence,
elle fut son associée à l’origine de la bergerie. C’est la dernière personne à l’avoir
vu vivante.
Revenons chez Olivia Mansour.
« La première chose que [Suprenant] avait remarquée en entrant chez elle
était, à côté de la table à manger, un tableau de liège d’un mètre et demi de
côté monté sur un chevalet. Chronologie, acteurs principaux, questionnements
étaient épinglés en colonnes rectilignes sur de petites fiches de couleur
découpées à la main. » C’est à partir de ces informations qu’elle fait le
premier breffage à son invité. Deux choses à retenir à ce stade : Elle
Arseneau n’est pas la première suspecte, mais elle lui a appris qu’à son avis,
« Florence s’apprêtait à mettre Santoro dehors ».
Le poste de la SQ aux Îles ne
ressemble plus à celui de l’époque de Surprenant. La lieutenante Marlène
Johnson est, aux dires de la jeune détective, « une TOC finie »,
c’est-à-dire qu’elle souffre d’un trouble obsessionnel compulsif qui a suffi
pour se voir confier un poste avec peu d’effectifs, car il ne s’y passait pas
grand-chose.
Jean Lemieux, en vieux routier du
polar, sait nous faire imaginer ses personnages en quelques mots, tout au plus une
ou deux images, peu importe leur rôle dans l’histoire. Il ajoute en temps et
lieu les informations supplémentaires nécessaires au déroulement de l’action,
par exemple celles concernant les techniciennes du poste qui viennent en
soutien aux enquêteurs.
Tout est dans les détails, dit-on
des romans policiers, comme lors de véritables enquêtes. Ainsi, lorsque André
Surprenant revoit les photos prises au moment de la découverte de Florence
Turbide, il note que l’œil droit « exprimait l’horreur, mais aussi la
surprise », une observation plus réaliste qu’un lecteur averti retiendra.
Faisons comme Olivia Mansour et
son tableau de liège, et mettons-nous en tête les personnages croisés. Le
premier, on se souvient, Louis Schofield, l’ex de Florence. Il a pour alibi
d’avoir passé la soirée avec Delphine, l’aînée de ses enfants, les frères
jumeaux étant chez des amis. Le père et la fille ont regardé Casablanca,
un vieux film en noir et blanc aux dires du paternel qui n’est pas chaud à
l’idée qu’on interroge sa fille.
Le second personnage, Nectaire
Turbide, tenancier de l’auberge, servira à raconter ce qui s’est passé au cours
de la soirée tenue à l’occasion de la fête organisée par l’Office du tourisme
de la région qui s’est déroulée au resto, à quelques mètres de la bergerie. Philippe
Santoro était à la cuisine et Elle remplaçait le cuistot Youssouf qui a pris
l’avion plus tôt ce jour-là. S’y trouvait également Paule Greco qui remplaça
Elle au four quand celle-ci partit pour accompagner Florence, gagnée par la
fatigue dont on connaîtra la cause plus tard.
Le personnage de Santoro
intéresse particulièrement les enquêteurs, bien qu’il semble avoir un alibi
béton. Il faut dire que « le restaurateur possédait cette qualité subtile,
le charme, qui rendait plus intrigant le fait que certains de ses voisins ne
semblaient pas le tenir en haute estime. » Surprenant, ayant utilisé ses
contacts montréalais, sait que Santoro était « passé d’ingénieur à
Marseille, à garçon de table au Petit Albert sur la rue Mansfield à
Montréal ». Explication simple et rapide : un divorce compliqué.
Puis, il y a eu son coup de foudre pour les Îles et sa rencontre avec Florence
Turbide. Ils sont devenus un couple, malgré la détestation que Delphine lui
vouait, tout comme certains partenaires d’affaires. Bref, tout roule dans son
univers, surtout ce qu’il tait.
La maison de Mme Turbide, le
resto et la bergerie ont été mis sous scellés pour fins d’enquête et inspectés
plus d’une fois pour tenter d’y ramasser des preuves pouvant être utiles à
l’enquête. Les environs, tous à proximité de ces bâtiments, sont passés au
peigne fin, même si le vent a fait son œuvre dès le soir du crime.
Les informations arrivent au
compte-gouttes, les observations sur le terrain sont peu concluantes. À moins,
bien sûr, que l’enquête ait démarré sur de fausses pistes, ce que suggère un
coup de feu entendu par un voisin de Florence, la veille de son assassinat. C’est
une des réflexions que Surprenant se fait en promenant l’autre chien, le montagne
des Pyrénées semblant en piteux. Après quelques balades, l’animal a repris la
forme et se montre plus enjoué. Un soir au cours d’une sortie, il s’arrête net
sur la route et se met à gratter la glace jusqu’à ce que des éclaboussures de
sang apparaissent : c’est exactement là où sa maîtresse et son quadrupède
de compagnon ont été assassinés. Le sergent détective comprend l’ennui du
survivant, ce qui pouvait expliquer son état de santé.
L’enquête progresse à petits pas
et, malgré l’efficacité du travail d’équipe, le temps commence à manquer, Surprenant
devant rentrer à Montréal le 24 décembre. Ce dernier finit par avoir une
conversation téléphonique avec le Marocain Youssouf qui lui confirme que travailler
avec le couple Turbide-Santoro n’était pas simple et que, s’il n’avait eu qu’à
prendre soin du troupeau, les choses se seraient mieux déroulées.
Deux événements se produisent coup
sur coup, ce qui alimente les recherches. D’abord, la découverte d’un garage
derrière la bergerie, où se trouve une Alfa Roméo dont la clef est parmi celles
accrochées près de la porte arrière de la résidence du couple Turbide-Santoro.
Le second est la découverte par Audrey Lelièvre, compagne d’Octave Loiseau,
d’un « gun » dans la boîte de gros sel au bas de l’entrée en côte.
Bien que Loiseau n’ait pas
toujours été d’accord avec Florence, elle n’en demeure pas moins une parente et
il n’a pas le profit d’un meurtrier. Quant à l’Alfa Roméo, Santoro l’utilise
pour aller régulièrement à Montréal depuis un certain temps – quels sont les
motifs? –, elle est retrouvée calciné, le policier veillant le site s’étant
assoupi en pleine nuit.
On s’énerve à la SQ et la
collaboration des contacts montréalais de Surprenant commence à embêter ses
supérieurs. Le stratagème que l’inspecteur imagine est tel un coup de poker
comme il en a souvent joué dans sa carrière. Il expose son subterfuge à Olivia
Mansour et ils le mettent à exécution. J’arrête ici la relation de l’aventure,
sinon pour dire qu’un ou une présumé-e coupable est pris au piège, que
l’enquête se poursuivra pour s’assurer que les preuves recueillies mèneront à
sa condamnation.
Chose certaine, André Surprenant
est rentré à temps à Montréal où Geneviève, son amoureuse, l’attendait pour le
conduire, à sa surprise, à Iberville où toute la famille était réunie autour de
sa mère Nicole.
Faire la recension d’un roman
policier de haut niveau pour l’inculte que je suis de ce genre n’est pas simple,
surtout que plusieurs histoires d’apparences secondaires sont reliées au cœur
de la trame – notamment ici des histoires de famille, incluant celle du
personnage principal et de son oncle (sic) Roger – et nourrissent les
péripéties, parfois comme si elles étaient des mises en abyme, des histoires
dans l’histoire.
La météo hivernale nous invitant à nous encabaner, avant ou après les sports de saison, L’affaire des Montants vous sera un excellent compagnon de détente, tout en sachant que ses intrigues vous tiendront bien éveiller à mener votre propre enquête d’une péripétie à l’autre.
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