Marc Séguin
Madeleine et moi
Montréal, Leméac, 2024,120 p.,
16,95 $.
« L’art illustre une volonté »
J’ai de l’admiration pour les
œuvres Marc Séguin, artiste multidisciplinaire dont le talent est aussi grand
que son attention et son écoute de la société actuelle et passée. Ses romans,
sa poésie et son journal de bord illustré intitulé L’atelier (Fides,
2021) qui m’est devenu un refuge pour contrer la bêtise humaine. J’y suis
d’ailleurs souvent revenu pour me replonger dans l’univers de sa créativité picturale,
si bien que je ne suis pas autrement étonné que Madeleine et moi, son
nouvel opus paru l’automne dernier, soit le récit de sa rencontre artistique avec
l’œuvre du peintre Ozias Leduc (1864-1955), maître de l’art décoratif religieux
dont les toiles sur chevalet sont méconnues.
Séguin se fait guide muséal en rendant
compte et en commentant les œuvres, la plupart étant intégré à l’architecture
d’un bâtiment. Il les observe de son point de vue d’esthète et de peintre, ce
qui lui permet d’attirer notre attention sur des détails techniques allant, par
exemple, de la pigmentation de certaines couleurs, au procédé pour les obtenir et
même à la technique au marouflage qui consiste à coller une toile faite en
atelier ou un revêtement décoratif sur la surface d’un plafond, d’un mur. Ce
n’est pas tant la difficulté du collage que Séguin note, mais le travail d’imaginaire
et de création préalables à l’exécution de l’œuvre qui, complétée, formera un ensemble
pictural mis en valeur par divers compléments.
Parallèlement à ses visites, Marc
Séguin raconte son travail de créateur, soit dans son atelier montréalais, soit
dans celui de l’Île-aux-Grues. Cela nous permet de mieux connaître sa façon de
pratiquer son art de la peinture, qu’il conçoit plus comme un métier que l’artiste
patenté qui se gausse de son statut.
Le fil conducteur entre Leduc et
peintre Séguin est une toile de l’Hilairemontais intitulée "Madeleine
repentante". Découverte par hasard, cette œuvre peu connue de la
collection du Musée national des beaux-arts du Québec l’a ému au point où il s’est
approprié le thème en faisant une suite de Madeleine dont nous pouvons voir
près d’une vingtaine « d’essais » à la fin du livre.
Je vous suggère d’ailleurs
d’aller sur le site du MnbaQ (https://collections.mnbaq.org/fr) faire une
visite virtuelle de la collection des toiles d’Ozias Leduc, en étant
particulièrement attentifs à « Labour d’automne » (1898-1902), la
toile qui a amené Séguin à sa recherche du patrimoine pictural de Leduc, ainsi
qu’à « Madeleine repentante » (1901) qu’il s’est approprié en peignant
l’émotion que la toile de Leduc lui a fait ressentir.
Je ne ferai pas ici une à une la
visite des six lieux, majoritairement des églises, faite par l’auteur. Je
retiens cependant qu’il a eu la sagesse de consulter Laurier Lacroix, l’exégète
des œuvres d’Ozias Leduc à qui il a consacré une large part de son travail de
reconnaissance artistique. Cela m’a rappelé la visite d’un grand musée
d’Italie, la guide nous prévenant que nous allions nous arrêter devant des
toiles choisies parmi celles qu’elle a étudiées en profondeur et dont elle peut
mieux nous en faire apprécier la technique picturale et le génie créateur de
l’artiste. Pour Marc Séguin, lui-même artiste peintre, M. Lacroix a pu lui
faire examiner des détails qui dépasseraient les observations du commun des
mortels, mais qui sont significatifs pour un artiste. De plus, Lacroix a pu
mettre en perspective les œuvres d’une église à l’autre et même permettre à
Séguin de visiter des lieux généralement interdits au public.
Revenons à Madeleine et moi,
alors que l’écrivain nous entraîne dans ses ateliers. Ces pages sont aussi
intéressantes que celles qui traitent d’Ozias Leduc, car elles nous font entrer
dans l’univers de Séguin, l’homme et le peintre. Je retiens la toute dernière séquence
débutant par « Retour à l’île ». L’écrivain y raconte le trajet
menant à l’Île-aux-Grues, en véhicule tout-terrain, en nous faisant
littéralement vivre les sept kilomètres par temps d’automne. Il nous fait ainsi
ressentir les caprices du climat et entendre le jappement des oies blanches
accompagnant celui de son chien.
« Trajet heureux. Plein de
promesses. Qu’elles se réalisent ou pas, c’est l’envie qui
fait avancer. Ou une forme de mirage. C’est toujours le cas pour un
artiste. » Et les promesses de ce séjour sont celles de la Madeleine et
moi. « Plusieurs fois j’ai tenté de peindre et de représenter le
territoire. Chaque fois, encore, comme ces Madeleine, j’ai produit des œuvres
incomplètes. Qui m’ont laissé insatisfait. Peut-être sommes-nous condamnés à ne
jamais avoir de sentiments heureux. Peut-être faut-il ne jamais ressentir ce
que l’on cherche à offrir et à donner. » Nous sommes ici devant une quête
dont la réalisation est d’avoir créé un objet nommé toile, une « étrange
preuve d’avoir un peu existé. Le reste de la patente est une marée de
doute. »
Toujours à l’Isle, mais une autre
fois : « Pris dans la tempête de vents et de rafales…, je suis resté
trois jours de plus à l’Isle. À relire sur Ozias Leduc, mais surtout à regarder
encore et encore des reproductions de ses œuvres. Avec encore autant, sinon
plus d’admiration. L’homme a réussi, surtout dans sa peinture de chevalet, à
résoudre l’équation du sens et de la beauté. Parfois – le constat sera dur, car
j’en connais plusieurs –, certains artistes sacrifient leur génie au profit de
leur talent, parce que c’est plus payant, populaire et immédiat. Monsieur Leduc
a su éviter cet écueil. »
Ce qui manque à Madeleine et moi, si je puis dire, ce sont l’illustration des deux toiles sur lesquelles Séguin insiste; je suis donc allé les revoir sur le Web à maintes reprises durant ma lecture. Curieusement ces toiles m’ont semblé être comme intrusion dans l’univers psychique de Marc Séguin, le peintre réfléchissant sur un de ce pair qu’il admire et l’écrivain qui met en mots des histoires dont certains fils sont aux couleurs de Leduc et d’autres à sa propre palette, le tout formant une immense fresque intitulée Madeleine et moi.