Élise Turcotte
Autoportrait d’une autre
Québec, Alto, 2023, 280 p.,
26,95 $ (papier), 15,99 $ (numérique).
De l’autre à l’en-soi
L’écrivaine Élise Turcotte a une longue feuille de route si l’on considère l’ensemble de ses recueils de poésie, ses fictions et ses livres jeunesse parus depuis 1982. Nous arrive, à la rentrée littéraire automnale, Autoportrait d’une autre, son huitième roman.
Était-ce un roman au sens propre
du terme ou l’amalgame d’un récit et d’un essai relatant la « fabrication »
d’une histoire la plus vraie possible, dont font partie les longues et sinueuses
recherches permettant de mieux connaître son sujet – la vie de sa tante Denise
Brosseau –, d’en explorer tous les aspects et d’évaluer leur pertinence ou leur
valeur dans l’économie de l’œuvre en devenir? Bref, il m’a semblé assister à la
confection du récit que j’étais en train de lire comme si j’observais une
dentelière exerçant son art. En refermant cette histoire, la chanson de Brel, La
quête, m’est venue immédiatement à l’esprit : « Rêver un
impossible rêve / Porter le chagrin des départs / Brûler d’une
possible fièvre / Partir où personne ne part / Aimer jusqu’à
la déchirure / Aimer, même trop, même mal… »
Qu’a donc cette femme de si remarquable
pour que sa nièce, des années après le décès de la sœur de sa mère, veuille la ramener
sur l’avant-scène de l’histoire culturelle québécoise des années 50 ou 60? Sans
ambages, je dirais que l’écrivaine Turcotte fait l’autopsie d’une mort annoncée
tellement la vie racontée est d’une intensité dramatique incommensurable.
Outre l’avant-propos en date de
novembre 2018, nous suivons l’autrice d’abord à Paris, puis à Mexico, avant de
rentrer à Montréal, des cités que sa tante, appelons-la D.B, a habitées à diverses
époques de sa vie. Ces séjours s’échelonnent sur plusieurs années non consécutives;
nous pouvons être à Paris, revenir au Québec, retourner dans la Métropole française
avant de faire un saut à Mexico. La quête de reconnaissance de D.B. sert de fil
conducteur, ainsi que la vie des hommes dans sa vie de déesse et les dérèglements
soudains de son existence.
Ces hommes sont en lien direct
avec le milieu artistique, théâtre, cinéma, télévision, poésie, etc. Gaston Miron
est du nombre et la correspondance qu’ils ont continué d'entretenir après une
relation de quelques années a joué un rôle important dans l’équilibre de D.B.
et permis à l’écrivaine de retracer les activités de cette dernière sur plusieurs
années jusqu’à ce que tous deux deviennent parents, elle un garçon et lui une
fille.
Il y a ensuite Alan Glass avec
qui elle a travaillé dans un bar à Paris; c’est grâce à lui qu’elle a rencontré
quelques grands noms de Saint-Germain-des-Prés, dont André Breton (1957). Glass,
qu’elle prénommait Alain, et D. B. restèrent des amis jusqu’à la fin de sa vie;
il était attentif à ses préoccupations et l’encourageait dans ses projets.
Elle rencontra Alejandro
Jodorowsky dans une classe de maître donnée par le mime Marceau. Elle épousa Jodorowsky
et leur relation semble avoir été dictée par les humeurs de l’un et de l’autre,
les influences de l’un sur l’autre, mais jamais un long fleuve tranquille.
Enfin, il y eut le peintre Fernando
García Ponce qui devint son second époux et le père d’Esteban, le neveu de l’autrice.
C’est ce dernier qui lui fournit toutes les informations dont il disposait sur
sa mère. C’est aussi lui qui l’accompagna dans la cueillette d’informations,
utiles, ou non, à la rédaction d’Autoportrait d’une autre, mais sans bien
comprendre l’intérêt de l’écrivaine pour cette cousine.
Cette même question sera sûrement
partagée par des lectrices et des lecteurs. De prime abord, c’est le mystère
dont est nimbée Denise Brosseau dans sa propre famille qui suscite l’intérêt que
l’écrivaine lui porte, à quoi s’ajoute une certaine ressemblance qu’on lui voit
avec D.B. Il y a aussi, j’allais écrire surtout, le suicide de Denise Brosseau
sous une rame du métro montréalais; l’autrice tente de comprendre ce geste, ce
qui lui permettrait peut-être de faire un peu de lumière sur d’autres suicides
de gens du milieu culturel comme si le choix de mettre fin à sa vie était une ultime
prestation.
La préoccupation constante du
thème de la mort dans l’œuvre d’Élise Turcotte n’est pas négligeable. L’accroche
de son recueil Pourquoi faire une maison avec les morts (Leméac, 2007) me
semble convenir à Autoportrait d’une autre : « Thème
incontournable en littérature, la mort est présente dans l’écriture d’Élise
Turcotte depuis ses premiers écrits. Cette fois, en sept récits réalistes, elle
explore la nature du trépas, son odeur, ses visages, ses signes avant-coureurs,
son passage dévastateur, son accompagnement, sa mémoire, sa présence dans les
dix mille pas de la journée. Fine observatrice, elle veut en apprendre toujours
plus sur le sommeil éternel, sur la migration des âmes, sur la transformation
des corps. Comme si s’approcher de la mort lui permettait de déchiffrer
l’énigme… »