Claude Gravel
Il était une fois le Québec
Montréal, Médiaspaul, 2023, 336 p., 29,95 $.
Voyage au Québec d’antan avec détour sur mon enfance
Claude Gravel, journaliste émérite et gestionnaire de grands médias, aujourd’hui à la retraite, s’intéresse, entre autres, à l’histoire de l’Église. Il était une fois le Québec, son plus récent ouvrage, est la biographie de Bruno Hébert, Clerc de Saint-Viateur et artiste de grand talent comme le furent quelques-uns de ses illustres ancêtres.
Brusquement, au début des années
1960, l’éclatement de ce monde, pour reprendre le mot du sociologue
Paul-André Turcotte, lui-même Clerc de Saint-Viateur, a changé la vie de milliers
de Québécois, à commencer par les membres des communautés religieuses. Leur
monde s’est effondré… Bruno a dû s’y adapter. Il s’y est adapté…
Bruno Hébert fut l’un des rares
frères à obtenir, avec son ami Jean-Paul Desbiens (le Frère Untel…), mais pour
des raisons différentes, un doctorat en philosophie. Car, dans l’Église de ce
temps, les simples frères, ainsi qu’on les désignait avec condescendance,
restaient convers, c’est-à-dire, astreints aux travaux manuels, ou au mieux éducateurs
(le mot "enseignant", associé aux premiers syndicats, n’avait pas
encore cours), c’est-à-dire instituteurs au primaire ou au secondaire. Avant
1960, les cégeps n’avaient pas encore été créés et le cours classique, seul
accès à l’université, englobait le niveau collégial et demeurait le fief des pères
membre d’une communauté ou des prêtres séculiers. Les étudiants venaient le
plus souvent des classes sociales privilégiées. Car il fallait payer, et de
fortes sommes, pour accéder aux collèges classiques…
Mais sa vie vaut aussi la peine
qu’on s’y arrête pour une autre raison : il est membre de l’une des plus
importantes familles d’artistes au Canada. Son arrière-grand-père,
Louis-Philippe Hébert, "sculpteur national" ainsi qu’on le désignait
en son temps, a signé des œuvres majeures qui ornent nos bâtiments ou nos lieux
publics, de La halte dans la forêt devant l’édifice de l’Assemblée
nationale de Québec au Maisonneuve, situé à la Place d’Armes de Montréal.
Ses grands-oncles Henri et Adrien, respectivement sculpteur et peinte, ont largement
enrichi l’histoire des beaux-arts au pays. Son père, Jacques, lui-même sculpteur,
nous a légué de magnifiques chevaux de bois que n’aurait pas boudé un Edgar
Degas. Cet héritage, Bruno n’y est pour rien. Mais il lui a fait honneur en devenant
lui-même peintre paysagiste, parcourant le Québec depuis près d’un demi-siècle
pour en saisir et en partager les beautés sur la toile. Et fier de sa lignée,
il a contribué à différentes expositions de ses grands-oncles ou de son bisaïeul,
auquel il a d’ailleurs consacré une biographie. »
Détour
Les passages de
cette biographie se déroulant à Joliette, ou y faisant référence, m’ont
profondément ému. Non seulement Joliette est-elle ma ville natale, mais la
maison de la famille de Bruno Hébert était située sur la rue Querbes, en face
du Scolasticat Saint-Charles, dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste. [Louis
Querbes a fondé la communauté des Clercs de Saint-Viateur en 1830]. Or, c’est dans
ce quartier que j’ai vécu ma petite enfance et mon adolescence. Le récit de
cette époque m’a fait revivre ces années où je passais matin, midi et soir devant
ces propriétés en allant au Jardin de l’enfance, tenu par les sœurs de la
Providence. J’ai aussi connu plusieurs des pères de Saint-Viateur auxquels Bruno
Hébert fait référence, soit parce qu’ils étaient vicaires dominicaux de la paroisse,
soit parce que j’ai joué au hockey avec mes amis et eux sur la patinoire du Scolasticat
– une photo de B.H. figure d’ailleurs dans le livre (p. 65) –, soit parce que certains
de ces religieux furent associés au Séminaire de Joliette que dirigeait la communauté.
Je pense entre autres au père Wilfrid Corbeille, réputé architecte, peintre,
muséologue et, surtout, créateur dans l’âme, dont une aquarelle représentant
une maison ancienne de la région fait partie de mon patrimoine familial. Je
pense aussi au père Maximilien Boucher, lui aussi artiste de très grand talent,
dont plusieurs sculptures font partie du patrimoine religieux de la région de
Lanaudière.
Plus près de moi
encore, ces pages où il est question de la fonderie S. Vessot où a travaillé Jacques
Hébert, le père de Bruno. Mon père y a aussi longtemps travaillé à titre de
commis de bureau, de « clerk » aurait dit Miron. C’est d’ailleurs
madame Alice Vessot qui lui vendit le lopin de terre où on construisit la
maison où nous nous sommes installés en 1952, située au 119 de la rue Dugas.
« Bruno Hébert, clerc de
Saint-Viateur, est l’un des derniers frères d’une communauté qui a contribué à
bâtir le Québec. Peintre, il est aussi la dernière figure d’artiste de l’illustre
dynastie Hébert, dont les racines remontent à la Nouvelle-France. À travers son
histoire et celle de sa famille s’entrelacent les époques, les événements et
les personnages qui ont façonné le peuple québécois : l’épopée des exilés
acadiens, les héros d’autrefois immortalisés par les sculptures qui ornent
toujours nos places publiques, le déploiement de l’Église triomphante dans
toute sa majesté, les années Duplessis, la Révolution tranquille, les approches
de l’éducation et de l’art d’hier à aujourd’hui.
Au fil de la grande histoire,
c’est aussi un homme remarquable qui se révèle dans cette biographie. On
découvre pourquoi Bruno Hébert est resté fidèle à ses engagements religieux et
humanistes malgré l’effondrement de son univers, soixante-dix ans après avoir
prononcé ses premiers vœux.
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