Aki Shimazaki
Niré
Arles, Actes Sud, 2023, 135 p, 29,95 $.
Les vives émotions de Nobuki
Il y a quelques années, alors que je visitais une exposition de peintres japonais à l’Orangerie, j’ai eu l’impression que je rentrais corps et âme dans leur univers d’Aki Shimazaki. En ouvrant Niré, son plus récent roman, quelques-unes des séquences m’ont ramené dans cet univers aux couleurs fluides des aquarelles admirées.
Niré est le quatrième récit de la suite « Une clochette sans battant » entreprise avec Suzuran (2020), suivi de Sémi (2021) et de No-no-yuri (2022). Ces ouvrages sont indépendants l’un de l’autre puisque, même si la pentalogie ("une œuvre – littéraire, cinématographique... – en cinq volets") gravite autour des mêmes personnages, un seul d’entre eux est au cœur de chacune des histoires.
Nous sommes toujours dans l’univers
de la famille de Tetsuo Niré, de son épouse Fujiko Kajiyama, de leurs filles Kyôko
et Anzu, et de leur fils Nobuki. Ce dernier, un ingénieur civil œuvrant dans le
domaine de la construction, est le narrateur de l’histoire. Il coule une vie
douce et paisible en compagnie de son épouse Ayako – une professeure de piano
réputée – et de leurs filles Miyoko (10 ans) et Namiko (9 ans). Nobuki a pour passe-temps
la guitare, un instrument qu’il a appris plus jeune encouragé par sa mère, au
grand dam de son père.
Ce dernier et son épouse vivent
dans une RPA depuis que les symptômes de la maladie d’Alzheimer dont souffre Fujiko
se sont aggravés depuis le décès de leur aînée Kyöko. La vieille dame ne
reconnaît plus son fils Nobuki, ce que ce dernier a peine à accepter. Malgré tout,
il visite régulièrement ses parents, surtout qu’il a un lien très étroit entre son
père et lui.
La tradition de la famille Niré
voulait que les parents âgés vivent avec l’aîné de leurs enfants. Fujiko et
Tetsuo ont ainsi vécu avec les parents de ce dernier, leur belle-fille veillant
sur eux avec un dévouement admirable. Le couple espérait que cette tradition se
poursuive, mais Kyôko, leur aînée, vivait et travaillait au loin et n’entendait
pas revenir auprès d’eux. Anzu, une céramiste réputée à qui son père a légué sa
maison de campagne où se trouve un four à bois servant à la cuisson de ses
créations, était déjà fort occupée par ses enfants et son travail. Les parents se
sont alors tournés vers Nobuki, certains qu’une fois marié, il les accueillerait.
Ce dernier, ayant vu la bienveillance de sa mère envers ses beaux-parents, ne
voulait pas imposer à Ayako pareil engagement, surtout que sa carrière de
pianiste était florissante. Les parents Niré se sont résignés et se sont installés
dans une RPA.
La romancière, selon le schéma narratif
auquel elle nous a habitués, relate la vie quotidienne du personnage principal.
Nobuki raconte donc sa vie auprès de son épouse et de ses filles, de son travail
et de son loisir, jouer de la guitare classique tout en s’intéressant à la
musique des grands maîtres.
Quatre événements surviennent qui
troublent cette quiétude. Il y a d’abord la découverte du journal intime de Fujiko,
sa mère. Ce cahier reposait dans le tiroir de son bureau d’écolier, devenu
celui d’une de ses filles, et qui était impossible d’ouvrir depuis longtemps. La
surprise passée, Nobuki se demande s’il peut lire ces pages qui n’ont pas été écrites
pour les autres. S’il ne savait pas que sa mère tenait un tel journal, il s’est
souvenu qu’un ami lui a déjà raconté l’avoir vu dans un café en train d’écrire
à l’époque où la maladie d’Alzheimer commençait à se manifester. Nobuki crut qu’en
lisant le journal, il comprendrait mieux sa mère.
Le second événement est la rencontre
fortuite de Tami D., une amie d’enfance de sa mère. Pour amener cette dame dans
le sillon de la trame, Aki Shimazaki fait un long détour, fort bien ficelé d’ailleurs,
passant par l’intermédiaire du patron de Nobuki qui connaissait bien la dame et
son époux. Nobuki visite Tami à quelques reprises et elle lui donne de précieux
conseils concernant l’attitude qu’il doit avoir face à l’errance de sa mère;
malgré son âge, Tami fait toujours du bénévolat, notamment auprès de personnes
atteintes de démence.
Le troisième événement se produit
lorsque Ayako, l’épouse de Nobuki, lui annonce être enceinte. Si le couple avait
décidé de ne pas avoir un autre enfant, il accueille la nouvelle avec joie,
tout comme leurs filles et la parentèle. Une fois connue, la grossesse s’inscrit
dans le cours des événements du quotidien que le narrateur raconte. Ainsi,
suivant les conseils d’Anzu, sa sœur, et de l’amie d’enfance de sa mère, il
visite cette dernière plus souvent, accepte qu’elle ne le reconnaisse pas et
constate que, d’une visite à l’autre, il entre dans le nouvel univers que Fujiko
s’est créé.
L’ultime événement qui bouleverse
Nobuki, jusqu’à ébranler sa confiance dans son entourage – qui savait? – il le découvre
dans le journal de sa mère : est-il vraiment le fils de Tetsuo Niré ou
a-t-il été adopté comme on le prétendait jadis? La romancière réussit encore
une fois à tisser une toile narrative toute en nuance où la vérité du récit et les
teintes de l’imaginaire se croisent comme dans les couleurs d’une aquarelle.
Ainsi, malgré le questionnement auquel se livre Nobuki et le mystère qu’il parvient
à percer, il conserve sa joie de vivre et entretient cette aura de bonheur qui
nimbe sa vie et celle de son entourage.
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