Marc Séguin
Un homme et ses chiens
Montréal, Leméac, 2022, 168 p., 21,95 $.
L’art de vivre : rêver juste
Je vous ai entretenus de tous les livres que l’artiste multidisciplinaire Marc Séguin a fait paraître. De La foi du braconnier (2009) à Jenny Sauro (2020), il a publié cinq romans rapidement réédités en format de poche par Bibliothèque québécoise, un indice de leur intérêt littéraire et de la popularité de ces histoires. S’ajoutent à ces récits un recueil de poésie et un autre de chroniques, sans oublier L’atelier (2021), un journal de bord illustrant le quotidien de son travail d’artiste peintre.
Où son imaginaire allait-il nous
amener dans les pages d’Un homme et ses chiens? J’allais spontanément écrire
dans l’univers du peintre Jean-Paul Riopelle, la moitié du récit se déroulant sur
l’île aux Naufrages, pareille à l’Île-aux-Oies où Séguin a ses quartiers de chasse,
une île jointe par les battures à L’Isle-aux-Grues où Riopelle vécut les
dernières années de sa vie et réalisa cette suite remarquable de toiles
évoquant les voyageuses saisonnières. N’allons pas trop vite, nous reviendrons à
Montmagny.
L’homme du titre sera toujours l’homme,
sans nom comme l’enfant qu’il fut et l’adulte que son enfance lui a appris à être
grâce à l’éducation que sa mère lui a donnée, un apprentissage s’appuyant sur l’art
d’observer, d’apprécier et de s’engager en respectant la parole donnée. Toute
une femme que cette infirmière élevant seule son fils en lui donnant des
valeurs qui le marqueront à jamais et auxquelles il fera souvent référence. Malgré
cela, l’absence du père laissa quelques traces, moins cependant que lorsque sa
mère lui apprit la chimère du père Noël.
Pour que l’enfant se responsabilise,
elle accepte qu’il garde un chien errant, Mujo, le premier d’une fratrie à
laquelle l’enfant sera aussi fidèle qu’elle le sera à son égard. C’est d’ailleurs
par le langage des animaux que l’enfant devenu homme communiquera avec son
entourage, celui de son enfance comme celui des chasseurs qu’il guidera plus tard.
Ce sera aussi le respect que les femmes dont il se croira amoureux porteront à
ses compagnons qui encadreront la durée de leur compagnonnage.
Si l’homme est sans nom, il en va
autrement pour ses chiens. Il y a eu Mujo, le chien perdu de son enfance qui
devint son confident, témoin de ses colères et des misères que ses camarades faisaient
subir au petit rouquin qu’il était. Puis, il y eut Solo, une chienne braque
allemand qui l’accompagna durant ses années à guider les chasseurs sur l’île d’Anticosti;
puisqu’on y chassait du gros gibier, Solo savait repérer leur quartier comme de
retrouver un mâle blessé qu’il fallait achever selon la règle non écrite qu’imposait
son maître. Il choisit Easter, un labrador de la lignée Chesapeake retrievers,
qui n’avait pas peur de se jeter à l’eau pour ramener les oiseaux abattus;
Easter sera l’animal peut-être le plus près du guide, surtout le plus dépendant
de lui. Il y eut aussi Goose, le chien mâle d’Henry, son mentor de l’île aux
Naufrages. Enfin, sa dernière compagne de chasse fut Belle, née de l’accouplement
d’Easter et de Goose.
Pourquoi les chiens tiennent-ils
une telle place dans l’univers de l’homme? Sûrement parce qu’ils étaient ses
confidents et que leur affection ou dépendance à son égard était sans
condition.
Ses compagnes éphémères sont
aussi nommées. Pour lui, l’amour est une quête impossible et il ne parvient
jamais à trouver la compagne idéale à ses yeux comme à ses engagements. Enfant,
ses camarades lui imposèrent une des leurs, Jeanne, car la rumeur voulait qu’elle
ait le béguin pour lui. Ce dernier ne comprenait pas ce dont ses amis
parlaient, car il avait déjà, à cet âge, d’autres préoccupations qu’il jugeait plus
importantes. Au temps présent du roman, sa compagne se prénomme Élisabeth, elle
est journaliste. Comme d’autres, elle aura peine à comprendre le caractère
impétueux de l’homme et ses humeurs changeantes qui lui faisaient préférer la
vie sauvage à la vie urbaine. La femme qui partagera sa vie durant la majeure
partie du roman se nomme Clara Sauvage; elle est une écrivaine connue. La vie
de cette dernière s’accommode mieux de la personnalité de l’homme et de ses élans
amoureux à son retour de plusieurs mois dans la nature. Leurs échanges épistolaires,
durant ces séjours au loin, alimentaient son inspiration littéraire presque autant
que les mois passés en ville.
La dernière amoureuse de l’homme
se nomme Marie Chase Cadieux, elle est avocate environnementaliste, mais aussi
la fille d’Henry, son mentor; j’y reviendrai.
Enfin, deux autres femmes illustrent
la bienveillance de l’homme : Maryanne, une itinérante, et Lou Princesse
Fils-Aimé, une infirmière d’origine haïtienne.
Quant à Henry Chase Cadieux, son
mentor, son identité ressemble à une appellation contrôlée dans l’univers que l’homme
recréait en lui et autour de lui, jour après jour. L’homme reste un étranger pour
la plupart des personnes près de son ressenti et de son vécu. C’est aux étrangers
qu’il guidait « qu’il en révélait un peu plus, il demeurait un mystère
pour ses proches. Et une énigme pour l’amoureuse. Pour chaque amoureuse. »
(30)
L’univers de l’homme nous est
révélé alors qu’il devient guide de chasse à Anticosti après un nième échec
amoureux. « Adulte, sur un littoral de l’île d’Anticosti, il allait constater
en souriant que la marée haute devant lui voulait dire qu’elle était basse
ailleurs. L’amour n’échapperait pas à ce calcul. Parfois une somme, plus tard,
une différence. L’homme allait renoncer tôt à comprendre le désarroi amoureux
et faire de son mieux pour la suite. » (15)
Le métier de guide de chasse
convient à sa nature profonde, c’est-à-dire son besoin de la nature qui lui
permettait de vivre avec les éléments et leurs diverses façons d’interagir sur
la faune et la flore, certaines réglées au quart de tour, d’autres
imprévisibles. Six mois en ville pour calmer la colère sourde qui rôde constamment
en son for intérieur depuis l’enfance; à cette époque, il évacuait son courroux
en assemblant patiemment des modèles réduits qu’il détruisait ensuite sans
pitié. Six mois en ville qui lui suffisent pour calmer l’instinct grégaire de l’être
humain qui maintient une vie sociale minimum dont l’amour, ou ce qu’on appelle
ainsi, est essentiel.
Ces mois d’ensauvagement : « L’homme
aimait boire [du Ricard ou Jack Daniel’s] : c’était ainsi plus facile de
trouver les clés et d’ouvrir ses portes secrètes, ça apaisait les craintes d’y
découvrir trop de miroirs. Et ça donnait pour un temps, accès à certaines
vérités essentielles. Comme celles des vieux qui, dans leurs derniers soupirs,
racontent qu’à la fin il n’aura été question que d’amour. Eux aussi sont
victimes d’un siècle inquiet. » (33)
Je fais mien l’accroche en
quatrième de couverture qui décrit bien le roman : « Le personnage de
cette fable entretient avec le réel et les êtres qu’il aime des rapports incertains,
parfois difficiles, souvent rageurs. Ado et jeune homme, il aura joué le jeu de
l’amour sans trop y croire, mais tout en voulant bien y croire. Plus vieux,
avec des compagnes tenaces et lucides, il tentera encore de faire le bout de
chemin nécessaire malgré l’artifice actuel des conventions affectives :
engagement, secrets, partage. »
« Mais impossible pour cet homme de résister, six mois par année, à
l’appel du grand air – il travaille comme guide de chasse sur l’île
d’Anticosti, puis sur l’île aux Naufrages, là où l’eau du fleuve devient salée.
À l’appel cruel, aussi, des bêtes qui meurent – cerfs, et oies en grand nombre
–, dans un cérémonial de sacrifice millénaire. À l’appel, surtout, de ses fidèles
chiens, ses confidents; modèles, en quelque sorte, de sa nature première,
animale. Dans des situations tour à tour urbaines et insulaires, au Sud comme
au Nord, les forces de création et de destruction, de vie et de mort, d’union
et de rupture se chamaillent en lui, sans jamais s’apaiser. Avec comme ligne
d’horizon la fin du monde annoncée d’une planète inquiète. L’amour peut-il
encore exister quand on sait qu’on va s’éteindre? »
Le décès d’Henry marque un tournant majeur de l’existence de l’homme,
comme si ce faux père lui léguait une certaine sagesse. C’est lors de cet événement
charnière que l’homme quitte Clara Sauvage, retourne de guider la chasse aux
oiseaux et qu’émerge un amour, presque imaginaire ou fantasmagorique avec
Marie, la fille cadette d’Henry. Cet amour idéal, Marc Séguin en a fait une
quête si hors de l’ordinaire pour les deux doucement amoureux que son issu sera
un coup de tonnerre sur le destin d’elle et lui. Comment dire autrement?
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