mercredi 5 octobre 2022

Maï Nguyen et Patrick Froehlich

Rien de beau sur la guerre

Montréal, du passage, 104 p., 25,95 $.

Le virus de la bêtise guerrière

J’ai peine à recenser les ouvrages traitant de guerre, quelle qu’elle soit. Les actes barbares dont les guerriers usent et abusent me répugnent. J’ai pourtant été témoin, à distance certes, de la guerre du Vietnam. Mon colocataire de résidence universitaire, fin 1960 début 1970, était un États-Unien ayant fui l’appel aux armes de son gouvernement et nous avons brûlé ensemble la lettre l’appelant sous les armes.

Vers la même époque, j’ai reçu les confidences d’un jésuite ayant quitté le Vietnam peu après la chute de Saïgon; rien de compromettant, mais suffisamment pour comprendre le rôle diplomatique de l’Église catholique dans cette reddition.

Enfin, j’ai rencontré un Québécois, un volontaire qui a combattu avec l’armée états-unienne; le seul récit de son arrivée en sol vietnamien illustre le gâchis, les soldats quittant et ceux arrivant étant tenus à distance pour éviter que les nouvelles troupes entendent les horreurs auxquelles ils allaient devoir faire face.

Le temps passe, mon incompréhension des conflits armés demeure. Malgré cela, Rien de beau sur la guerre, un récit de Maï Nguyen et Patrick Froehlich, a retenu mon attention, car il mérite qu’on y soit très attentif. Mettons les choses en perspective. « Maï Nguyen est née à Saïgon en 1964. Sa famille a fui le Vietnam pour le Canada en 1975. » Quant à Patrick Froehlich, il « a été chirurgien à Lyon, ensuite à Montréal où il habite. Il a publié son premier roman en 2006, puis le triptyque Corps étrangers, inspiré de la mémoire traumatique de chirurgien pour enfants ». Ici, l’une raconte, l’autre écrit.

Laissons la narratrice résumée son histoire : « Mon nom est Maï Nguyen. En vietnamien, Maï désigne aussi une petite fleur d’abricotier, jaune à cinq pétales, qui fleurit au printemps. Quand j’entends mon nom, prononcé dans ma langue maternelle, cela rappelle différents souvenirs, certains agréables, d’autres terribles. Mais je ne choisis pas les souvenirs qui remontent à la surface. Ce sont eux qui me choisissent. J’appartiens aux boat people. J’ai quitté, avec ma mère et mes sept frères, le Vietnam le 30 avril 1975, jour de la chute de Saïgon et du retrait des Américains. Nous avons tous survécu. Aujourd’hui, cet épisode de ma vie est toujours aussi réel et présent, les émotions sont à fleur de peau. J’avais besoin d’écrire ce que j’avais vécu… Au départ, ce livre était pour mes enfants. Pour qu’ils aient une meilleure compréhension de ceux qui, comme moi, ont survécu à une guerre… Ce livre me donne une voix. »

Écrire les faits saillants d’irréversibles peines ne libère pas Maï Nguyen : « Plus de quarante ans après, ce moment est tellement réel et présent, les émotions ont à fleur de peau. J’avais besoin d’aide pour écrire ce que j’avais vécu. De là sont nés les entretiens avec Patrick. »

Il y aussi que les événements qu’elle raconte ont été aussi vécus par les siens et qu’entre eux ils n’en ont jamais véritablement discuté depuis. Or, les souvenirs partagés ne sont souvent pas les mêmes d’une personne à l’autre, chacune filtrant le contenu selon sa compréhension de ce qu’elle a vécu. Ainsi, les expériences communes de l’enfance ne sont pas racontées de façon identique, la personnalité de chacun et l’expérience événementielle faisant la différence. C’est pourquoi Mme Nguyen fait appel à sa fratrie et aux souvenances de chacun, bien vivantes dans la mémoire des uns et effacées dans celle des autres.

Rien de beau sur la guerre raconte cinq moments du grand bouleversement, des jours précédant la fuite du pays en guerre jusqu’au retour pour y confronter les souvenirs à la réalité d’alors ou ce qui en reste. Comme un peintre minimaliste, P. Froehlich tire de ce que Maï Nguyen lui raconte une trame de fonds illustrée par des instantanés mémoriels qui s’animent d’eux-mêmes sous l’œil attentif de la lectrice ou du lecteur. Pour les plus âgés, les images diffusées à répétition à la télévision durant les derniers jours d’une guerre qui fut d’abord celle de l’Indochine referont surface.

On ne sort pas indemne de la lecture de ce récit, car il met des visages sur ce que vivent d’autres enfants et d’autres familles quotidiennement. On peut aussi voir quelques photos de la famille de Maï Nguyen prises au début des années 1970; on peut aussi scruter attentivement les cartes géographiques nous permettant de visualiser le territoire où les événements se sont déroulés.

J’aurai toujours peine à recenser les ouvrages traitant de guerre, mais, en le faisant, j’espère faire œuvre utile en rappelant la laideur des conflits, surtout tout le mal fait aux enfants qui ne doit pas être banalisé. Comme l’écrivent la narratrice et l’auteur : il n’y a rien de beau sur la guerre.

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