Alain Vadeboncœur
Prendre soin : au chevet du système de santé
Montréal, Lux, 2022, 148 p., 21,95 $.
« Au chevet du système de santé »
J’ai passé des jours heureux de mon enfance auprès de mes grands-parents maternels dont le souvenir est magnifié par mon admiration pour grand-papa Paul (1887-1959). Ce dernier, médecin-chirurgien, accueillait ses patients à la maison ou les visitait chez eux. Puis, il y a eu mon père Maurice (1918-1997) qui fut de la première cohorte de DG d’hôpitaux qui étaient des gestionnaires de formation, poste qu’il occupa de 1956 à 1976.
Ceci dit, vous comprenez ma curiosité
à son propos, les questions de santé publique m’interpellant depuis si
longtemps et l’essai du Dr Vadeboncœur traitant justement du système québécois que
la pandémie a mis à mal, j’allais écrire heureusement. Ce n’est pas là du
cynisme, mais l’électrochoc que le système de santé publique québécois a subi pendant
cette longue période, qui n’est pas terminée, fait comprendre à quel point il
était dégradé.
« Cet ouvrage a pour ambition
[d’écrire Dr Vadeboncœur] de stimuler cette volonté de changement qui devra
nous inspirer si nous souhaitons "réanimer" notre réseau, lui
redonner un peu du sens perdu en cours de route. » Outre l’inspirante COVID,
le « Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé »,
mis de l’avant par le ministre Dubé en mars 2022, a amené l’essayiste à relire « Vital »,
la troisième partie de son essai Privé de soins paru dix ans plus tôt, qui
engageait une réflexion nécessaire sur l’état du système de santé, tout en
souhaitant que les mises à niveau de plusieurs de ses composantes soient
effectuées dans un délai raisonnable.
On comprend que cette réflexion
et les changements suggérés n’ont pas porté fruit et qu’il est grand temps d’y
voir, au risque que le paquebot nommé SANTÉ ne sombre, ses soignants et ses
malades étant déjà à bord des canots de sauvetage.
Le vaste chantier de réflexions que
l’auteur-médecin échafaude et les suggestions qui les transforment en actions concrètes,
sont élaborées en 22 séquences relativement brèves – ce faisant, l’auteur fait œuvre
de pédagogie sans prendre son lectorat de haut –, chacune d’entre elles s’intéressant
à une composante spécifique du système de santé, la majorité insistant sur les
malades et les soignants. De plus, cela illustre parfaitement le réalisme du Dr
Vadeboncœur, chaque séquence débute par un cas-clinique approprié à la
réflexion ou à la discussion qui y sont développées.
Prenons un exemple. « Une
idée simple inspire notre système de santé public : il faut collectivement
prendre soin des gens. Tout l’édifice est fondé sur cette base. En théorie, du
moins. // Parlez-en à Geneviève, une jeune femme dont le cœur a déjà
été opéré deux fois en bas âge, qui se présente un soir à l’urgence à bout de
souffle, en train de se noyer dans l’eau qui s’accumule dans ses poumons. »
(17) La patiente s’en est sortie au bout de la nuit, mais cela ressemble à une
situation habituelle (« business as usual ») : « D’où,
peut-être, devant ces enjeux humains effrayants, une tentation technocratique
de le réduire parfois à des paramètres comptables – indicateurs de performance,
budget, croissances, critère d’efficience… » (18) Je retiens ici le « parfois »
même s’il est de moins en moins rare. Au lieu de la Geneviève évoquée par Dr Vadeboncœur,
j’aurais pu écrire le nom de mon père que le responsable du service a voulu renvoyer
à la maison après moins de douze jours aux soins palliatifs … parce qu’il n’était
pas encore décédé. Je ne blague pas et vous épargne les détails.
Ce que je retiens des diverses
observations que l’essayiste partage et les pistes de solutions aux problèmes
soulignés, c’est le manque de cohésion et de cohérence dans les soins apportés.
« Trop de cuisiniers gâtent la sauce », peut-on dire. En priorisant le
malade et en décloisonnant les services et les soins spécifiques de chacune des
unités, le système pourrait retrouver son efficacité.
L’exemple que Dr Vadeboncœur donne
fait image, à mon avis, ce sont les GMF, les Groupes de Médecine Familiale où
médecins, infirmières praticiennes (super infirmières), pharmaciens, travailleurs
ou travailleuses sociales, unissent leurs efforts sur le dossier des malades
qui consultent leur unité, chacun apportant son point de vue professionnel sur
les cas. Ainsi, une des séquences du livre s’intéresse à la « déprescriptions »
de médicaments, une pratique sur laquelle un pharmacien clinicien peut jouer un
rôle déterminant, car vient un temps où il n’y a plus lieu de prescrire la
médication parce que la maladie n’existe plus ou qu’elle a changé ses manifestations.
Si certains se demandent le point
de vue de l’auteur sur ses consœurs et confrères, médecins spécialistes ou généralistes,
apprenez qu’il est critique à leur égard et le rôle qu’ils jouent parfois dans la
lenteur ou la lourdeur d’opération du système sans tenir compte de toute la
paperasse qu’ils sont tenus de remplir, ce qui pourrait être fait par quelqu’un
d’autre. Aussi important, sinon plus, l’absence d’un dossier médical québécois informatisé
disponible pour l’ensemble du corps médical ou des personnes autorisées; l’accès
à tel dossier accélérerait le traitement où que soit le malade sur le territoire
de la province.
Alain Vadeboncœur ne propose pas
de pilule miracle pour guérir notre système de santé, mais il suggère une
approche différente d’opérer (sans jeu de mots). Citant le gériatre et ancien
ministre, Réjean Hébert, il rappelle que : « L’un des moyens éprouvés
pour améliorer l’efficience du système de santé est la réduction de la
duplication et de la fragmentation des services et l’amélioration de la continuité
des soins. » (75)
Je conclus cette chronique en citant in extenso l’essayiste : « Pour prendre soin des maux en quelques mots, il faut simplement soigner sans nuire, en agissant dans la continuité, pour que la personne malade reçoive du bon soignant des soins pertinents et des médicaments utiles, au moment indiqué et dans le lieu approprié, en visant le bon niveau de soins, en favorisant la vraie prévention et en apprenant des erreurs; il faut aussi coordonner l’ensemble et préserver l’accès aux soins, en assurant un financement public suffisant et des ententes professionnelles plus efficaces, pour que chacun se responsabilise, en jaquette ou pas, et s’engage dorénavant à penser globalement et agir localement. » (15)
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