mercredi 19 octobre 2022

Alain Vadeboncœur

Prendre soin : au chevet du système de santé

Montréal, Lux, 2022, 148 p., 21,95 $.

« Au chevet du système de santé »

J’ai passé des jours heureux de mon enfance auprès de mes grands-parents maternels dont le souvenir est magnifié par mon admiration pour grand-papa Paul (1887-1959). Ce dernier, médecin-chirurgien, accueillait ses patients à la maison ou les visitait chez eux. Puis, il y a eu mon père Maurice (1918-1997) qui fut de la première cohorte de DG d’hôpitaux qui étaient des gestionnaires de formation, poste qu’il occupa de 1956 à 1976.

Cette mise en situation m’est venue à la lecture de Prendre soin : au chevet du système de santé, un essai du docteur Alain Vadeboncœur. Comme plusieurs d’entre vous, je connaissais le Dr Vadeboncœur – urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence à l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur titulaire à l’Université de Montréal – par ses chroniques dans « L’Actualité », son émission « Les docteurs » diffusée à la télé de Radio-Canada, ses essais dont Privé de soins et Désordonnances, ainsi que d’autres interventions médias.

Ceci dit, vous comprenez ma curiosité à son propos, les questions de santé publique m’interpellant depuis si longtemps et l’essai du Dr Vadeboncœur traitant justement du système québécois que la pandémie a mis à mal, j’allais écrire heureusement. Ce n’est pas là du cynisme, mais l’électrochoc que le système de santé publique québécois a subi pendant cette longue période, qui n’est pas terminée, fait comprendre à quel point il était dégradé.

« Cet ouvrage a pour ambition [d’écrire Dr Vadeboncœur] de stimuler cette volonté de changement qui devra nous inspirer si nous souhaitons "réanimer" notre réseau, lui redonner un peu du sens perdu en cours de route. » Outre l’inspirante COVID, le « Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé », mis de l’avant par le ministre Dubé en mars 2022, a amené l’essayiste à relire « Vital », la troisième partie de son essai Privé de soins paru dix ans plus tôt, qui engageait une réflexion nécessaire sur l’état du système de santé, tout en souhaitant que les mises à niveau de plusieurs de ses composantes soient effectuées dans un délai raisonnable.

On comprend que cette réflexion et les changements suggérés n’ont pas porté fruit et qu’il est grand temps d’y voir, au risque que le paquebot nommé SANTÉ ne sombre, ses soignants et ses malades étant déjà à bord des canots de sauvetage.

Le vaste chantier de réflexions que l’auteur-médecin échafaude et les suggestions qui les transforment en actions concrètes, sont élaborées en 22 séquences relativement brèves – ce faisant, l’auteur fait œuvre de pédagogie sans prendre son lectorat de haut –, chacune d’entre elles s’intéressant à une composante spécifique du système de santé, la majorité insistant sur les malades et les soignants. De plus, cela illustre parfaitement le réalisme du Dr Vadeboncœur, chaque séquence débute par un cas-clinique approprié à la réflexion ou à la discussion qui y sont développées.

Prenons un exemple. « Une idée simple inspire notre système de santé public : il faut collectivement prendre soin des gens. Tout l’édifice est fondé sur cette base. En théorie, du moins. // Parlez-en à Geneviève, une jeune femme dont le cœur a déjà été opéré deux fois en bas âge, qui se présente un soir à l’urgence à bout de souffle, en train de se noyer dans l’eau qui s’accumule dans ses poumons. » (17) La patiente s’en est sortie au bout de la nuit, mais cela ressemble à une situation habituelle (« business as usual ») : « D’où, peut-être, devant ces enjeux humains effrayants, une tentation technocratique de le réduire parfois à des paramètres comptables – indicateurs de performance, budget, croissances, critère d’efficience… » (18) Je retiens ici le « parfois » même s’il est de moins en moins rare. Au lieu de la Geneviève évoquée par Dr Vadeboncœur, j’aurais pu écrire le nom de mon père que le responsable du service a voulu renvoyer à la maison après moins de douze jours aux soins palliatifs … parce qu’il n’était pas encore décédé. Je ne blague pas et vous épargne les détails.

Ce que je retiens des diverses observations que l’essayiste partage et les pistes de solutions aux problèmes soulignés, c’est le manque de cohésion et de cohérence dans les soins apportés. « Trop de cuisiniers gâtent la sauce », peut-on dire. En priorisant le malade et en décloisonnant les services et les soins spécifiques de chacune des unités, le système pourrait retrouver son efficacité.

L’exemple que Dr Vadeboncœur donne fait image, à mon avis, ce sont les GMF, les Groupes de Médecine Familiale où médecins, infirmières praticiennes (super infirmières), pharmaciens, travailleurs ou travailleuses sociales, unissent leurs efforts sur le dossier des malades qui consultent leur unité, chacun apportant son point de vue professionnel sur les cas. Ainsi, une des séquences du livre s’intéresse à la « déprescriptions » de médicaments, une pratique sur laquelle un pharmacien clinicien peut jouer un rôle déterminant, car vient un temps où il n’y a plus lieu de prescrire la médication parce que la maladie n’existe plus ou qu’elle a changé ses manifestations.

Si certains se demandent le point de vue de l’auteur sur ses consœurs et confrères, médecins spécialistes ou généralistes, apprenez qu’il est critique à leur égard et le rôle qu’ils jouent parfois dans la lenteur ou la lourdeur d’opération du système sans tenir compte de toute la paperasse qu’ils sont tenus de remplir, ce qui pourrait être fait par quelqu’un d’autre. Aussi important, sinon plus, l’absence d’un dossier médical québécois informatisé disponible pour l’ensemble du corps médical ou des personnes autorisées; l’accès à tel dossier accélérerait le traitement où que soit le malade sur le territoire de la province.

Alain Vadeboncœur ne propose pas de pilule miracle pour guérir notre système de santé, mais il suggère une approche différente d’opérer (sans jeu de mots). Citant le gériatre et ancien ministre, Réjean Hébert, il rappelle que : « L’un des moyens éprouvés pour améliorer l’efficience du système de santé est la réduction de la duplication et de la fragmentation des services et l’amélioration de la continuité des soins. » (75)

Je conclus cette chronique en citant in extenso l’essayiste : « Pour prendre soin des maux en quelques mots, il faut simplement soigner sans nuire, en agissant dans la continuité, pour que la personne malade reçoive du bon soignant des soins pertinents et des médicaments utiles, au moment indiqué et dans le lieu approprié, en visant le bon niveau de soins, en favorisant la vraie prévention et en apprenant des erreurs; il faut aussi coordonner l’ensemble et préserver l’accès aux soins, en assurant un financement public suffisant et des ententes professionnelles plus efficaces, pour que chacun se responsabilise, en jaquette ou pas, et s’engage dorénavant à penser globalement et agir localement. » (15)

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