Éric C. Plamondon
Bizarreries du banal. 13 histoires
étranges
Montréal, Sémaphore, 2022, 192
p., 26,95 $.
La pièce manquante du puzzle
Avant d’ouvrir le recueil Bizarreries du banal : 13 histoires étranges, écrites par Éric C. Plamondon, je me suis demandé ce que signifiait le mot bizarrerie pour l’auteur et, plus généralement, pour la littérature. Les mots science-fiction et fantasy m’ont alors interpelé, le premier étant un genre « qui se base sur les conséquences des découvertes de la science pour prévoir ou imaginer l’avenir », le second un genre « qui mêle des aspects de l’épopée, du merveilleux et du fantastique ». Dans un cas comme dans l’autre, comme pour tous les autres genres littéraires, il y a toujours place à la bizarrerie, la singularité d’un livre, voire d’une œuvre étant même fort recherchée.
La lectrice ou le lecteur
passionné de romans d’intrigues ou de polars sont habitués à lever une à une les
pierres dévoilant les morceaux du puzzle qui mèneront à la solution de l’énigme
policière ou d’espionnage. Or, ce n’est pas sur ces registres-là que joue Éric
C. Plamondon, mais, a contrario, en éliminant une des pièces du casse-tête (l’intrigue)
dont il a tracé jusque-là le pourtour, de là l’étonnement suscité.
La voie sur laquelle chaque récit
nous entraîne est celle de son titre où on ne décèle aucune trace d’ésotérisme.
Voyez et imaginez : une journée entre amis, le réparateur de télé, le
reliquaire, l’actrice, les lunettes, ascenseurs, l’invitée, patriotes, verdure,
l’accident, récit descriptif, circulez! et le visage.
Quelques exemples tirez de ce
corpus, sans pour autant dévoiler la clé de leur bizarrerie particulière. La
quatrième histoire, intitulée « L’actrice », raconte comment Mary
Victoria Langstrom est parvenue à devenir l’artiste la plus récompensée de sa
profession, déclassant largement toute compétition. Comment est-elle parvenue à
se hisser tout en haut du firmament des stars? C’est ce qu’elle raconte à
Laurent Palquier, venu directement de Paris pour l’interviewer : « Eh
bien, je fais comme tout le monde dans le métier, j’imagine. J’étudie le rôle,
je me représente le personnage avec tous ses détails, son histoire personnelle
et son contexte, pour en arriver à le considérer comme un être bien réel. C’est
un peu comme si je lui insufflais la vie avant de lui prêter mon corps pour l’exprimer.
Je me renseigne aussi parfois auprès de gens qui ont un vécu semblable à mon
personnage. Puis je le pratique. Il faut beaucoup de travail. »
Jusque-là pas rien d’étonnant,
sinon des propos presque triviaux dans la bouche d’une actrice. Les choses se
compliquent quand vient le temps d’interpréter un personnage venu tout droit de
l’imaginaire d’une ou d’un auteur, un personnage ayant une personnalité
littéraire unique comme Miss Marple, l’héroïne au cœur de douze romans d’Agatha
Christie. Dans pareilles situations, Mary V. convoque un groupe d’amis à sa
maison de campagne où ils jouent au ouija, une planche « censée permettre
de communiquer avec les esprits ». Nous ne sommes pas pour autant, à cette
étape du récit du moins, dans un univers l’ésotérique. C’est dans la phase
suivante que l’écrivain élimine, sous nos yeux, la pièce maîtresse, disons… du
ouija, ce que nous comprendrons à la toute fin de l’histoire.
Deuxième exemple, celui du récit
intitulé « Patriotes ». Après une brève mise en situation, nous accompagnons
des soldats d’un pays imaginaire combattant des militaires d’un autre État, lui
aussi imaginaire, opérant une manœuvre périlleuse. L’action se joue en quelques
minutes, au son des « ta-ta-ta-ta-ta-ta » des mitraillettes des uns
et celui des autres. Il y a aussi les brefs échanges entre combattants pour
repérer des collègues d’opération ou pour situer la position d’un tireur d’élite
ennemi. C’est aussi trépidant que la chute est imprévisible. Comment dire? Comme
un ballon qui éclate au milieu d’une fête.
Dernier exemple : « Les
lunettes » et son tour de passe-passe venu tout droit du monde de la
science-fiction dont je parlais plus haut. Oui, j’ai souligné que les bizarreries
d’Éric C. Plamondon n’étaient pas de ce genre littéraire, néanmoins l’écrivain n’en
emprunte pas moins certains effets de l’imaginaire. Les seize pages de récit
débutent sur un événement courant, des lunettes oubliées et récupérées par un individu
qui aime la monture « métallique noire et branches larges incrustées de bois
blanc : elles ont vraiment du style. Et l’image qu’elles rendent… Ça m’a
tout de suite faire penser aux lunettes 3D au cinéma. » Les chaussant fièrement,
il remarque un curieux « petit point rouge », alors qu’il observe la
jonction du coussin et du dossier » de son vieux sofa. Il tente de se
saisir du point rouge, impossible! Dès qu’il enlève les lunettes, le point rouge,
tel un pointeur laser, disparaît. « Ça m’a rappelé ce livre que j’aimais
tant, à la petite école, dans lequel nous devions regarder avec des lunettes de
cellophane rouge pour révéler des écritures et dessins imprimés à l’encre bleu
pâle, qui étaient cachés derrière des enchevêtrements de motifs, rouges aussi. »
C’est là la clé ouvrant le pouvoir
secret des lunettes oubliées : grosso modo, elles permettent de voir
au-delà du regard que l’œil de l’humain ne peut saisir. Et plus encore. Moi qui
ne suis absolument pas friand de science-fiction, je me suis laissé prendre au
jeu inventé par l’écrivain qui consiste à explorer, puis à exploiter de belle
façon les pouvoirs de ces lunettes. À nouveau, tous les éléments de l’histoire
se tiennent dans la mesure où on joue le jeu. Mais, entre vous et moi, qui n’aime
pas un bon numéro de prestidigitation?