Marie-Hélène Voyer
L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la
laideur au Québec
Montréal, Lux, 2022, 216 p., 24,95 $.
Défense et illustration du patrimoine bâti
Longer lentement la rue Dugas, à Joliette, m’est devenu un pèlerinage mémoriel au pays de mon enfance dont une brève halte devant la maison qui m’a vu grandir (1952-1968) est le zénith. La préservation de cette maison de brique rouge, 70 ans après sa construction, est un bonheur, car elle incarne un heureux temps jadis.
Une telle nostalgie n’est hélas pas l’apanage du patrimoine bâti québécois en général. Si l’historien et journaliste Jean-François Nadeau le rappelle fréquemment dans les pages du Devoir, l’essayiste Marie-Hélène Voyer jette un regard périphérique, et fort critique, sur l’état actuel de notre patrimoine bâti dans L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec.
L’autrice a des lettres et cela
est perceptible du début à la fin de son livre tant par des références sociolittéraires
– j’y reviendrai – que par son style assumé empruntant au pamphlet lorsqu’elle manifeste
sa désillusion devant le peu d’importance accordée à ce que nos aïeux, d’hier à
aujourd’hui, ont érigé sans craindre de se salir les mains pour le mieux-être
des leurs tout en pérennisant leur passage sur terre. D’une certaine façon, d’une
génération à l’autre, ces constructions étaient aussi des formes d’art populaire.
L’essai tourne autour de six
pivots, chacun observant divers aspects du « sacre de l’oubli et de la
laideur au Québec » : « Ressouvenirs », « Laidismes »,
« Nostalgies sélectives », « Démolitions en série », « Après
nous le déluge » et « Ressouvenirs (bis) ». On comprend, entre
autres, que les édiles municipaux et les promoteurs immobiliers ont peu ou pas
d’intérêt dans la préservation des travaux anciens. Ce qu’on ne peut détruire à
coups de pelle mécanique, on l’abandonne en espérant qu’il s’autodétruira. Après,
on viendra niveler le sol sans être dérangé par les écohistoriens, l’important étant
de faire évoluer les municipalités en augmentant les revenus générés par les taxes
et ainsi leur donner des allures d’une modernité souvent passagère.
Un des exemples qui fait toujours
image, c’est le sort réservé au Vieux-Québec dont les lieux historiques ne sont
souvent que l’expression d’un certain « façadisme ». Autrement dit, on
a sauvé la face pour préserver l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO,
car à Québec « on se spécialise dans des simulacres vouer à donne une idée
abstraite de l’authenticité, et où se décline une pléthore de copies et de faux,
destinés à vendre un idéal romantique et calcifiant de la ville plutôt que d’en
préserver les assises historiques en la relaçant dans la trame assumée du
présent et du passé. Un peuple ayant ainsi fait table rase du passé pour se
construire un présent en toc annonce à coup sûr qu’il a renoncé à transmettre
quoi que ce soit à l’avenir. » (100-101)
Que dire des villes en bordure du
Saint-Laurent qui ont fréquemment préféré voir s’y établir commerces et
entreprises que d’en préserver le patrimoine, ce bien commun qu’est le majestueux
fleuve. Rimouskoise, M.-H. Voyer n’est pas tendre envers cette ville phare du
Bas-Saint-Laurent qui, comme trop d’autres, n’a pas choisi de protéger ses
berges de développements urbains à courte vue. Cela m’a rappelé certaines rives
du Richelieu.
Je soulignais plus haut les nombreuses
références littéraires de l’autrice, lesquelles lui servent à mettre en
perspective certaines de ses observations. Qu’il s’agisse de citations tirées
de Jacques Ferron, Fernand Dumont, Arthur Buies ou d’autres, toutes ont en
commun une mise en perspective historique de notre « habitude des ruines ».
Ainsi, Buies écrit dans « Promenades dans le Vieux-Québec » (1890) :
« … on prend aisément pour l’amour de l’antique une monomanie puérile qui
s’exerce incessamment sur une foule de petits objets sans importance, qui s’y
perd et s’y noie, en laissant de côté les grands traits, les grands souvenirs,
les véritables monuments de l’histoire et les leçons qu’ils renferment. » (107)
En cours de lecture, la Bibliothèque
Saint-Sulpice, sise rue Saint-Denis à un jet de pierre de la Grande
Bibliothèque, m’est apparue. J’y ai fait des classes de chroniqueur littéraire
en participant à des lancements, des expositions et d’autres activités du genre.
Comme tant d’autres, je désespérais qu’on trouve une vocation pour cet édifice digne
d’autre chose que la décrépitude dans laquelle on le laissait sombrer. Il
deviendra, a-t-on annoncé en grande pompe, le Musée de la chanson en laissant
miroiter d’importants investissements. J’aimerais y croire.
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