mercredi 21 septembre 2022

 Marie-Hélène Voyer

L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec

Montréal, Lux, 2022, 216 p., 24,95 $.

Défense et illustration du patrimoine bâti

Longer lentement la rue Dugas, à Joliette, m’est devenu un pèlerinage mémoriel au pays de mon enfance dont une brève halte devant la maison qui m’a vu grandir (1952-1968) est le zénith. La préservation de cette maison de brique rouge, 70 ans après sa construction, est un bonheur, car elle incarne un heureux temps jadis.

Une telle nostalgie n’est hélas pas l’apanage du patrimoine bâti québécois en général. Si l’historien et journaliste Jean-François Nadeau le rappelle fréquemment dans les pages du Devoir, l’essayiste Marie-Hélène Voyer jette un regard périphérique, et fort critique, sur l’état actuel de notre patrimoine bâti dans L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec.

L’autrice a des lettres et cela est perceptible du début à la fin de son livre tant par des références sociolittéraires – j’y reviendrai – que par son style assumé empruntant au pamphlet lorsqu’elle manifeste sa désillusion devant le peu d’importance accordée à ce que nos aïeux, d’hier à aujourd’hui, ont érigé sans craindre de se salir les mains pour le mieux-être des leurs tout en pérennisant leur passage sur terre. D’une certaine façon, d’une génération à l’autre, ces constructions étaient aussi des formes d’art populaire.

L’essai tourne autour de six pivots, chacun observant divers aspects du « sacre de l’oubli et de la laideur au Québec » : « Ressouvenirs », « Laidismes », « Nostalgies sélectives », « Démolitions en série », « Après nous le déluge » et « Ressouvenirs (bis) ». On comprend, entre autres, que les édiles municipaux et les promoteurs immobiliers ont peu ou pas d’intérêt dans la préservation des travaux anciens. Ce qu’on ne peut détruire à coups de pelle mécanique, on l’abandonne en espérant qu’il s’autodétruira. Après, on viendra niveler le sol sans être dérangé par les écohistoriens, l’important étant de faire évoluer les municipalités en augmentant les revenus générés par les taxes et ainsi leur donner des allures d’une modernité souvent passagère.

Un des exemples qui fait toujours image, c’est le sort réservé au Vieux-Québec dont les lieux historiques ne sont souvent que l’expression d’un certain « façadisme ». Autrement dit, on a sauvé la face pour préserver l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, car à Québec « on se spécialise dans des simulacres vouer à donne une idée abstraite de l’authenticité, et où se décline une pléthore de copies et de faux, destinés à vendre un idéal romantique et calcifiant de la ville plutôt que d’en préserver les assises historiques en la relaçant dans la trame assumée du présent et du passé. Un peuple ayant ainsi fait table rase du passé pour se construire un présent en toc annonce à coup sûr qu’il a renoncé à transmettre quoi que ce soit à l’avenir. » (100-101)

Que dire des villes en bordure du Saint-Laurent qui ont fréquemment préféré voir s’y établir commerces et entreprises que d’en préserver le patrimoine, ce bien commun qu’est le majestueux fleuve. Rimouskoise, M.-H. Voyer n’est pas tendre envers cette ville phare du Bas-Saint-Laurent qui, comme trop d’autres, n’a pas choisi de protéger ses berges de développements urbains à courte vue. Cela m’a rappelé certaines rives du Richelieu.

Je soulignais plus haut les nombreuses références littéraires de l’autrice, lesquelles lui servent à mettre en perspective certaines de ses observations. Qu’il s’agisse de citations tirées de Jacques Ferron, Fernand Dumont, Arthur Buies ou d’autres, toutes ont en commun une mise en perspective historique de notre « habitude des ruines ». Ainsi, Buies écrit dans « Promenades dans le Vieux-Québec » (1890) : « … on prend aisément pour l’amour de l’antique une monomanie puérile qui s’exerce incessamment sur une foule de petits objets sans importance, qui s’y perd et s’y noie, en laissant de côté les grands traits, les grands souvenirs, les véritables monuments de l’histoire et les leçons qu’ils renferment. » (107)

En cours de lecture, la Bibliothèque Saint-Sulpice, sise rue Saint-Denis à un jet de pierre de la Grande Bibliothèque, m’est apparue. J’y ai fait des classes de chroniqueur littéraire en participant à des lancements, des expositions et d’autres activités du genre. Comme tant d’autres, je désespérais qu’on trouve une vocation pour cet édifice digne d’autre chose que la décrépitude dans laquelle on le laissait sombrer. Il deviendra, a-t-on annoncé en grande pompe, le Musée de la chanson en laissant miroiter d’importants investissements. J’aimerais y croire.

Marie-Hélène Voyer fait œuvre utile grâce aux diverses observations et analyses qu’elle propose dans L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Peut-on lui reprocher la passion que lui inspire le patrimoine bâti québécois laissé pour compte? Certes pas, car la passion est une énergie essentielle à tout engagement. Lire cet essai non seulement peut, mais doit nous faire réfléchir et, dans la mesure du possible, donner naissance à des actions de mobilisation citoyennes comme celles observées en France pour encourager la sauvegarde du patrimoine bâti.

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