Perrine Leblanc
Gens du Nord
Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2022, 192 p.,
27,95 $ (papier), 21,99 $ (numérique).
Du côté de Belfast en Irlande
Parmi les expressions socio récurrentes récentes, il y a « appropriation culturelle ». Ainsi, qu’a-t-on pu dire ou écrire de Gens du Nord, le plus récent roman de Perrine Leblanc dont l’action et les personnages qui l’animent gravitent autour de l’Irlande du Nord et de la République d’Irlande dont le conflit permanent entre les populations implantées sur un même territoire qu’une guerre de religion, parfois larvée, sépare depuis des lustres? Or, l’écrivaine n’a rien à se reprocher du côté de l’appropriation, car l’histoire qu’elle raconte dépasse largement l’affrontement de ces deux contrées en illustrant comment il dépasse les frontières de son champ de bataille, l’île irlandaise.
Perrine Leblanc me semble avoir emprunté
le parcours d’une étudiante disciplinée qui ne laisse rien au hasard, l’écriture
étant pour elle un chantier qui se prépare très soigneusement, de la cueillette
d’informations factuelles et déterminantes à l’action la plus percutante que
cette quête lui impose et qui s’incarne dans une action aux multiples rebondissements
dont les personnages imaginés tisseront les arcanes.
Je souris quand une romancière ou
un romancier intitule chacun des segments de son histoire, car n’y voyant
généralement peu ou pas d’intérêt. Or, ce n’est pas ici le cas, le titre de chacun
des 29 chapitres jetant un éclairage cru sur ce qui y est raconté. Par exemple,
« Dans un cottage près de Belfast » situe la trame initiale et l’action
qui s’y déroule. Rien n’est inutile dans l’écriture de P. Leblanc, son souci du
détail factuel et son usage des mots comme des figures d’iceux ne peuvent être autres
que ceux qu’elle a choisis : du grand art.
Revenons aux Gens du Nord
et retenons le nom de Samuel Gallagher, écrivain irlandais réputé, dont l’exécution
sommaire, si tant est, lance l’action du roman. « Gallagher revendiquait
dans la mort son appartenance à l’IRA [Irish Republican Army]. Vivant, il avait
été du côté de la résistance poétique; sa résurrection en combattant changeait
l’homme qu’il avait été en martyr de la cause irlandaise. »
Or, il appert que deux Canadiens,
Anne Kelly et Paul Higgins, nourrissent le projet de tourner un documentaire sur
Gallagher. Pour y parvenir, l’un d’eux doit se rendre en Irlande recueillir sur
le terrain les informations essentielles à la réalisation du projet, dont des
rencontres avec des membres de sa famille et de gens qui l’ont connu. On
comprend les embûches qui se dressent devant eux, étrangers au conflit
irlandais.
Parallèlement à la quête des
documentaristes, il y a celle de François Le Bars. « En 1991, [ce] journaliste
français, [proche des services secrets français], jaloux de son indépendance,
trouve son compte dans les poudrières du monde et les histoires d’amour vécues
comme des parenthèses. Attiré par le récit, animé par le besoin d’informer ses
lecteurs et séduit par le jeu, il se lie sur le terrain avec des hommes qui
renseignent l’État et d’autres qui militent pour la décolonisation en Irlande
du Nord. »
Le destin de Kelly et Le Bars se
croise en une relation improbable dans le contexte d’une poudrière sociopolitique.
« Tu sais [de dire Le Bars], un jour, sur le terrain, on m’a bandé les
yeux en me racontant l’exécution sommaire de la veille. J’ai parlé à des hommes
furieux, armés jusqu’aux dents, mais pas fous. J’ai bu du thé brûlant et du
café bien noir avec des hommes qui maniaient la kalachnikov et l’ArmaLite comme
ils priaient Allah cinq fois par jour ou Dieu avant de se mettre au lit le
soir. J’ai traversé des villes en guerre avec des hommes et des femmes qui
avaient tué la veille ou le matin même et qui tueraient encore, pour une cause
grande comme un peuple. »
D’autres personnages les accompagnent,
les soutiennent ou les découragent dans la mission à haut risque dans laquelle
ils s’aventurent, c’est-à-dire le sort de « l’écrivain Samuel Gallagher,
militant du rattachement de l’Irlande du Nord à la République Irlande, est
enlevé par un groupe paramilitaire protestant nord-irlandais, mais son
exécution échoue grâce à un agent britannique infiltré. » Parmi les rencontres
que Le Bars et Kelly feront, à Belfast ou ailleurs en île d’Irlande, la
lectrice ou le lecteur québécois retrouveront des traits de caractère de
certains concitoyens dont les ancêtres furent envoyés ici ou en Australie sous
prétexte de les sortir de la famine extrême dans laquelle ils étaient enlisés. Peu
importe l’importance des personnages dans l’économie de l’œuvre, même les plus
vindicatifs, tous auront un humanisme qui transcendera leur engagement.
On ne perd jamais de vue l’objectif
de la documentariste Kelly de mieux connaître la personnalité de l’écrivain
Gallagher au cœur de son projet de film et, en même temps qu’elle, nous découvrons
le secret qui se cache derrière son « exécution sommaire ».
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