Gilles Archambault
Mes débuts dans l’éternité
Montréal, Boréal, 2022, 120 p., 18,95 $.
« Un musée pour moi tout seul »
Qu’espère un chroniqueur littéraire pour sa nième rentrée automnale, sinon un grand, un très grand livre. Je suis comblé cette année par la parution de Mes débuts dans l’éternité (2022), un recueil de trente nouvelles signées Gilles Archambault. Je lui emprunte d’ailleurs le titre de l’une de ses proses qui, ma foi, résume bien l’ensemble du livre, lequel nous convie à visiter un musée où sont exposées des miniatures – deux, trois pages ou à peine plus – illustrant une situation tirée de la vie d’un personnage, réel ou imaginé, vieillissant, sinon très âgée.
Depuis Qui de nous deux? (2012),
le narrateur se demande, d’un livre à l’autre : Combien de temps encore?
(2017). La visite de ces autres rubriques de faits divers, sublimés par l’ironie
propre à l’écrivain ou teintés de nostalgie, se termine ainsi : « Depuis
peu, je préfère m’installer dans l’idée de ma mort. Combien de temps encore?
Mais, est-ce si important, dites?»
Ce qui avait les allures d’une
dernière quête a culminé dans les pages d’Il se fait tard (2021) où Gilles
Archambault paraphrase, avec à-propos, Thomas Mann dans Mort à Venise :
« À l’instant de ma mort, je souhaite être seul… Moi qui ne serais au
mieux qu’un honnête homme artisan des mots, je souhaiterais au moment de mon
entrée dans le néant revoir en un éclair des gestes de femmes, les tiens, Lise,
et entendre des voix d’enfants. Ce serait pour moi une mort presque convenable.
Mais je serais seul. Ne pas me donner un spectacle. »
Aujourd’hui, l’originalité de Mes
débuts dans l’éternité tient dans la variété des situations et des
personnages qui racontent ces nouvelles, chacun à sa façon, comme surgies de la
mémoire d’un instant passé, qu’il soit habité par un événement banal ou par le souvenir
d’une rencontre fortuite qu’on croyait oubliée. J’insiste : chacune de ces
trente nouvelles est comme une photo argentique marquant une « photo-finish »
(photo d’arrivée) du temps qui passe.
Un exemple de ces arrêts, celui
de Mathieu – tiré de "La fatigue du gladiateur" – qui « joue à
être écrivain… Même s’il écrit des romans, des nouvelles, il n’a jamais cru
bien longtemps faire partie du petit nombre d’écrivains qui comptent… À peine
a-t-il reçu quelques recensions favorables. » Ou cet autre – lu dans "Mon
chat" – où Sylvie a un jour apporté un chat à son père pour habiter sa
solitude et que le vieillard, d’abord récalcitrant à l’idée d’avoir un animal de
compagnie à ses côtés, finit par accepter : « Depuis deux ans toutefois,
nous vivons dans un appartement, Panthère et moi… Tout ce qu’on raconte au
sujet des chats est vrai. Panthère a pris possession de l’appartement. »
Je pourrais continuer à éveiller votre
curiosité par-devers les pages du dernier Gilles Archambault, chacune des nouvelles
rappelant en quelques images d’où jaillit cette petite lumière de l’intelligence
de l’écrivain qui brille dans son propos. Je reviens quand même à "Un
musée pour moi tout seul", car j’y retrouve toutes les nuances que le recueil
peint par petites touches selon la couleur des trames. Pas étonnant alors que l’ultime
quête soit ainsi résumée : « Rien ne me plairait autant que de visiter,
la nuit de préférence, un tout petit musée dans lequel seraient réunis des
objets, des photos, des souvenirs de ma plus lointaine enfance… J’aurais, l’espace
de quelques heures, la permission de retrouver ce qu’a été mon passé… Je serais
un spectateur, sans plus. Un spectateur ému. Ému, je l’ai été si souvent au
cours de ma vie. »