Alain Saulnier
Les barbares numériques : résister à l’invasion des
GAFAM
Montréal, Écosociété, coll. « Polémos », 2022, 200
p., 20 $.
Victimes consentantes du vol de nos identités?
J’écris ces lignes avec, en bruit de fond, les tirs et explosions d’une ville d’Ukraine. Pendant ce temps, les réseaux sociaux commentent la guerre russo-ukrainienne, mais les voix sont discordantes. Certes, on ne cherche pas des informations unanimes, mais appuyées par sur les faits et respectant une éthique journalistique libre et reconnue.
À l’heure de la guerre en direct,
dont celle du Vietnam fut la première du genre, il faut savoir qu’un autre conflit,
alimenté par l’omniprésence des réseaux sociaux et la toute-puissance des GAFAM,
s’internationalise. Alain Saulnier, journaliste et universitaire, en discute
dans un essai fort bien documenté, Les barbares numériques : résister à
l’invasion des GAFAM.
Le sujet n’est pas réservé aux seuls
initiés des nouvelles technologies de l’information sur lesquelles règnent leurs
fabricants et développeurs d’applications. Il est de première importance de nous
y intéresser, car les GAFAM ont déjà un impact majeur sur notre vie quotidienne
de citoyens québécois et canadiens, sans que nous le sachions.
Un rappel s’impose : GAFAM
est un « acronyme dont les lettres correspondent aux 5 firmes numériques
dominantes du marché : Google (Alphabet; YouTube, Chrome, Android, Gmail,
etc.), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft ». Certaines personnes associées
à ces sociétés sont souvent évoquées : Mark Zuckerberg, le dirigeant de
Meta (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp, etc.); Jeff Bezos, à la tête d’Amazon
et ses multiples filiales; Tim Cook qui dirige l’empire Apple. On peut ajouter Elon
Musk qui a récemment projeté d’acquérir Twitter, alors qu’il est de notoriété
publique que le propriétaire de Tesla a le commentaire populiste facile, même s’il
veut donner sa version de la liberté aux usagers du réseau.
Il ne s’agit pas de démoniser ces
faiseurs de rêves, mais de comprendre l’emprise qu’ils ont sur nos valeurs, nos
règles ou nos lois. Au Canada, les radios et télédiffuseurs sont soumis aux "vieilles"
lois du SRTC, ce qui permet aux diffuseurs du WEB de régner sans aucun contrôle
étatique sur les contenus et les revenus qu’ils génèrent.
Parmi les effets dévastateurs, sinon
pervers – les mots ne sont pas trop forts – que ces « barbares numériques »
produisent, il y a notamment la perte énorme et constante de revenus pour l’État,
mais aussi pour les médias traditionnels. Alain Saulnier, qui a dirigé le
service de l’information radio-télé à Radio-Canada (2006-2012), rappelle la presque
disparition des journaux quotidiens et de plusieurs hebdos québécois au cours
des dernières décennies. La raison principale, c’est l’affaissement de leur
modèle d’affaires dont la vente de publicité était le moteur principal. À cela
s’ajoutent le désintérêt et la désaffection de la presse écrite par les moins
de 35 ans, lesquels délaissent aussi la télévision traditionnelle au profit des
services à la carte, comme ils ont fait en choisissant la musique en continu au
détriment des supports classiques.
La presse écrite québécoise est généralement
soumise à un code d’éthique, Le Canada français est un exemple. Si ces
règles ne sont pas toujours contraignantes, elles doivent tout de même
respecter la charte canadienne et québécoise des libertés. Or, les barbares numériques
étant internationaux, ces sociétés ne se croient pas soumises à quelques règles
que ce soit, sinon les leurs. Un exemple récent illustre cela : la Russie a
limité ou bloqué les réseaux Facebook et Instagram pour que la population n’ait
plus qu’une source d’information, celle de l’État russe. A contrario, on a reproché
à Facebook son inaction lors de l’émeute au Capitol états-unien.
Les barbares numériques :
résister à l’invasion des GAFAM n’a rien d’alarmiste. Il fait plutôt un
portrait lucide de l’état de lieux qui n’a rien de réjouissant pour la démocratie.
Comme l’explique Alain Saulnier, notre culture francophone est mise à mal, car,
entre autres, la règle des quotas de contenu francophone diffusé sur les ondes
n’est pas respectée. Puisque leur invasion est de provenance états-unienne, l’anglais
règne en maître. Dans ce contexte envahissant, la langue française est mise à
mal et menacée d’une éventuelle disparition.
Que dire des droits que des créateurs
et producteurs ne touchent pas, ou si peu. Cela a commencé avec la montée en
importance des GAFAM et le piratage de disques, d’applications, de livres et journaux,
etc. Le domaine culturel est le ferment de nos sociétés, de notre langue d’abord,
si nous ne trouvons pas rapidement une façon de protéger ses canaux de création
et de diffusion, ce sont les assises mêmes de nos sociétés qui sont menacées.
Alain Saulnier ne fait pas qu’observer
la situation, il suggère aussi diverses pistes d’actions pour nous permettre « de
résister à l’invasion des GAFAM » efficacement. La mise en application de
ces mesures est notre responsabilité aussi bien individuelle que collective,
quels que soient notre âge, nos connaissances des technologies de l’information
ou notre intérêt. Il en va de l’indépendance de notre langue et de notre culture
en tant que société francophone en Amérique.
Dernière heure. La volonté politique
canadienne de remédier aux effets délétères des réseaux sociaux s’est manifestée
le 5 avril dernier par le dépôt du projet de loi C-18 visant à forcer « des
plateformes numériques telles que Facebook à conclure des ententes d’indemnisation
"équitables" avec les salles de nouvelles afin de leur accorder une
compensation pour les revenus publicitaires générés par le partage de leur
contenu d’information. »
Plus remarquable du côté
politique : le 23 avril dernier, l’Union européenne a adopté « une
réforme historique contre la jungle numérique. Ce texte, discuté depuis près d’un
an et demi, doit responsabiliser les très grandes plateformes du numérique, par
exemple Facebook (Meta) ou Amazon, en les contraignant à supprimer les contenus
illégaux et à coopérer avec les autorités. »
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