mercredi 20 janvier 2021

Hans-Jürgen Greif

Insoumissions

Montréal, Québec Amérique, coll. « Littérature d’Amérique », 2020, 328 p., 26,95 $ (papier). 17,99 $ (numérique).

L’avenir devant soi

Parmi les ouvrages lus en fin de 2020, il y a le roman de Hans-Jürgen Greif intitulé Insoumissions. Je connais un peu de l’importante carrière universitaire de l’auteur et de ses collaborations à diverses revues universitaires et grand public, dont Québec français, Entre les lignes ou Nuit blanche. Aujourd’hui, ce professeur émérite d’études germaniques et françaises est retraité de l’Université Laval et s’adonne, entre autres, à la philanthropie dans le domaine des arts et lettres, et à l’écriture.


 

Venons-en au roman aux teintes autobiographiques. Dès le prologue, nous voilà en Sarre, un des seize landers ou états de l’Allemagne, situé non loin de la frontière française, une région qui a déjà été sous protectorat français. Nous sommes en mai 1956, dans la maison familiale, probablement à Völklingen, ville d’origine de l’auteur. Celui-ci met en contexte ce qu’étaient les rapports familiaux sous la férule d’un père autoritaire.

Les seize chapitres qui suivent sont balisés par des lieux et des dates, précises ou non, de l’été 1967, dans le quartier Dahlem de Berlin, à Québec en octobre 2019. Le livre a les allures d’un journal personnel, mais il s’agit plutôt d’un recueil d’éphémérides, d’événements ayant jalonné la vie du narrateur à ce jour.

Cela débute par les études, la recherche d’un travail, les plaisirs, les déceptions, le radicalisme de certains concitoyens, etc. À cette époque, le narrateur, appelons-le Hans, s’intéresse à un groupe de gens déplacés durant la guerre qui cherchent à obtenir justice de l’état allemand; il joue auprès d’eux le rôle de secrétaire et de responsable du mémoire sur lequel leur requête s’appuiera. Il rencontre, dans ce groupe, Adelheid von Bennewitz, directrice d’une agence littéraire avec laquelle il reste en contact par la suite, et qu’il entend parler d’Irina Grothe, « un modèle de fortitude et de constance frisant l’opiniâtreté » (p. 40).

Quand on lui propose de venir enseigner à l’Université Laval de Québec, l’occasion est trop belle pour s’éloigner de certains irritants. Il n’hésite donc pas et le voilà dans la Vieille Capitale dès la deuxième semaine d’août 1969. À peine est-il descendu d’avion que débute une suite d’événements inattendus. Non seulement il n’y a personne pour l’accueillir, mais Mme Keller, la directrice qui l’a engagé, n’est plus en poste et c’est un certain Grigori Levitski qui la remplace. Hans comprend : « je suis dans un pays à la technologie avancée, mais aux comportements étranges qu’il me tarde à déchiffrer » (p. 55).

Le directeur Levitski et son épouse, une certaine Irina dont nous connaissons déjà un peu l’histoire, sont au centre de plusieurs de ses soucis. Levitski profite des premiers mois au Québec du jeune professeur pour connaître son point de vue sur des sujets de politique étrangère et sur ses rapports avec l’autorité. Ce faisant, il veut s’assurer qu’il soit fidèle à son mode de gestion, qui se résume en « diviser pour mieux régner ». On constate que les réunions départementales sont éminemment politiques, que le chantage et les coups fourrés sont monnaie courante. Le narrateur doit donc naviguer en eau trouble, lui qui espérait mener à bien d’importants travaux universitaires déjà en marche. Heureusement pour lui le fonctionnement de la bibliothèque à laquelle il a accès l’enchante, les règles de consultation des ouvrages étant beaucoup plus libres qu’en Allemagne.

La vie dans la Capitale nationale le surprend de jour en jour. Installé dans un demi-sous-sol, les propriétaires font tout pour lui faciliter l’existence, ce qui s’avère pratique entre autres quand sa vieille Coccinelle lui pose problème ou que l’hiver arrivé, il n’a pas le vestimentaire nécessaire.

Si la vie avec ses collègues ou ses étudiants lui convient, le pire désagrément lui vient d’Irina Levitski qui ne cesse de l’inviter ou de lui téléphoner. Au cours d’un souper en tête-à-tête, elle lui raconte sa vie parisienne, ses années épuisantes dans le domaine des articles de luxe, sa séparation d’avec Gricha devenu un véritable parasite – blessure de de guerre débilitante, ne pouvant avouer « avoir terminé sa carrière militaire avec le grade de lieutenant de la SS », aventures amoureuses à répétition –, les études de son époux à l’Université de Montréal, bref tout « ce que Adelheid et les expatriés à Dahlem aimeraient savoir. » (p. 118)

La première année au Québec, 1969-1970, le temps lui manque de mieux connaître la province, mis à part le quotidien d’un universitaire et d’un chercheur, la vie d’une capitale dont les fonctionnaires rythment la cadence. À peine a-t-il fait une brève escapade au Manoir Saint-Castin et à Chicoutimi.

Les vacances de l’été 1970 se déroulent en Allemagne. Il y retrouve le docteur Gontrand à qui il a envoyé le mémoire commandé par les expatriés; Thorsten, le fils du docteur; et bien sûr, son amie Adelheid. Il en profite aussi pour visiter Karl et Michèle qu’il a connus à Québec. Karl a été victime du régime Levitski qui l’a piégé pour qu’il ne puisse renouveler son contrat. Heureusement, il avait prévu le coup et « obtenu une généreuse bourse d’études du Conseil de recherches en sciences humaines du gouvernement canadien. »

De retour au Québec à la fin d’août, il s’installe dans un édifice patrimonial, un appartement qu’il partage avec Ben, un collègue; ce dernier occupe l’étage et lui le rez-de-chaussée. Un autre locataire semble avoir déjà squatté les lieux : la chatte Salomé.

La guerre froide des Levitski et de leur clan est plus vive que jamais. Hans doit même consulter les autorités de la faculté pour remettre de l’ordre dans certains faits dont son directeur a tordu la vérité.

Arrivent les événements d’Octobre 1970 qui s’avèrent d’une grande importance sur sa perception du Québec. Il se sent obligé de suivre l’actualité presque d’heure en heure et de faire des liens avec ce qui se passe en Allemagne au même moment.

Un imprévu survient en 1971 : l’Université Laval effectue des changements majeurs dans l’organisation de certains départements, dont celui dirigé par Levitski. Non seulement ce dernier est-il rétrogradé au poste d’enseignant, mais des professeurs, dont le narrateur, sont associés à l’enseignement de la littérature française et allemande.

Hans-Jürgen Greif, l’écrivain comme le narrateur, est un éminent intellectuel, un humaniste boulimique de littérature, de recherches, d’explorations et de découvertes. Bref, tout ce qui fait de lui un érudit. Ne craignez pas, son autofiction n’est pas un ouvrage hermétique réservé à quel qu’élite patentée. Au contraire, Insoumissions nous fait partager l’univers d’un homme, de sa jeunesse à sa maturité, dont la détermination est à la hauteur de ses aspirations et de ses engagements humanistes.

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