mercredi 4 décembre 2019

Jean-Simon Desrochers
Les limbes
Montréal, Les Herbes rouges, coll. « Roman », 2019, 328 p., 26,95 $ (papier), 18,99 $ (numérique)

Vie et mort d’un héros

Pour l’enfant que je fus, l’Église nous apprenait que les limbes étaient le no man’s land où séjournait l’âme des enfants décédés non-baptisés; c’est pourquoi on s’empressait de baptiser l’enfant naissant, sinon c’était l’errance éternelle. Heureusement, ce n’est pas ce sens que l’écrivain Jean-Simon Desrochers prête à ce mot en le faisant le titre de son plus récent roman, Les limbes.



Contextualisons l’emploi de ce mot en observant la trame de cette histoire qui se déroule en bonne partie dans ce qu’on appelait alors le Red Light métropolitain, de 1939 à 1980. Le boulevard Saint-Laurent était au cœur de ce territoire propice à tous les péchés de la terre, de la prostitution au commerce des drogues, de la vente d’alcools frelatés aux tables de jeux interdits.
Un enfant naît au début de l’histoire, sa mère Alma décède au même moment. La Meilleur, comme on l’appelait dans le milieu, était mal-en-point avant d’être enceinte, conséquence d’une vie mouvementée de prostituée et d’abus de toutes sortes. Rita Malarche, sa tenancière de patronne, l’affectionne au point de ne pas vouloir abandonner le nouveau-né à un orphelinat, surtout qu’il faudrait expliquer le décès de sa mère et que son géniteur était inconnu. Rita décide qu’elle et une de ses filles vont se relayer pour prendre soin du poupon.
Nous ne sommes pas ici dans la caricature, ni le jugement péremptoire sur une microsociété, mais bien dans l’humanisme de gens simples. C’est là que l’enfant fait ses premiers pas entouré de femmes, surtout jeunes, qui n’ont pas toutes la fibre maternelle. Rita et Janine assument le rôle de mère à tour de rôle, ce qui, plus tard, obligera le garçonnet à expliquer qu’il a deux mamans alors que ses camarades ont une mère et un père.
De ne pas avoir été baptisé a pour conséquence immédiate qu’il n’a pas d’existence reconnue et surtout pas de nom. Rita qui a réponse à tout lui impose un prénom et un nom : Michel Best. Michel parce qu’elle affectionne l’image qu’il évoque, Best parce que sa mère a longtemps été considérée comme La Meilleur. L’enfant deviendra vite Ti-Best pour tous, sauf pour Rita bien sûr.
Le récit de la petite enfance de Michel dans un lupanar est l’occasion d’événements cocasses, souvent résultats de situations improbables pour un bambin de son âge. Jamais le romancier n’abuse de ces situations, restant dans la vraisemblance imaginée de l’époque, du milieu et des gens rencontrés. Outre les femmes de Rita, il y a aussi son frère, homme de main pégriot qui protège le commerce familial, et M. Santini, chef de la mafia italienne dont la tenancière est la maîtresse d’occasion.
L’Italien n’est pas que le parrain du milieu, il est aussi celui de Michel, c’est-à-dire qu’il le prend sous son aile et veille à son éducation en matière de crimes intelligents, par exemple qu’il devienne un policier sur le « payroll » de l’organisation.
Mais avant, il y a les jeux d’enfance et d’adolescence avec une bande d’amis maîtres d’une ruelle où tout le monde connaît tout le monde, ce qui oblige à respecter les uns plus que les autres comme s’il était question de classes sociales. Michel Best n’est pas batailleur, mais il apprend vite à se faire respecter. Il faut dire qu’il est le plus intellectuel du lot, Janine, sa deuxième mère, l’ayant pris sous sa férule bien avant qu’il soit scolarisé. Il savoir que Janine a été enseignante avant de se prostituer et qu’elle n’a pas perdu ses vertus de professeur. C’est pourquoi elle exige de son pupille la lecture quotidienne de dix pages de dictionnaire qu’elle lui fait réciter, de même que quelques autres exercices éducatifs.
Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que l’ado Best s’ennuie à l’école où il arrive qu’il en sache plus que l’enseignant. Quand viendra le temps de quitter l’école, il en connait bien plus que ses amis. C’est notamment le cas en matière de sexualité car, depuis le jour où il a découvert une porte dissimulée entre deux murs, il peut observer jusqu’à plus soif les ébats de deux protégées de Rita. C’est vers la même époque qu’il se met à dessiner ce qu’il voit et qu’un ami vend ses œuvres à des collégiens nantis. Un peu d’argent de poche peut servir à bien des causes, entre autres à soudoyer les copains moins riches. Plus tard, cela lui permettra d’acheter un appareil photo sophistiqué et d’utiliser ce nouveau médium pour élargir son commerce de photos osées.
Un jour, après un séjour à la campagne en compagnie de Rita et de M. Santini, son parrain lui fait part des projets d’avenir qu’il a pour lui. Michel Best deviendra policier et, le temps venu, rendra service à son protecteur. Il fournira des informations, mais il ne doit jamais être impliqué dans un geste criminel de quelque nature que ce soit.
Après la formation de policier de l’époque, Michel se retrouve en uniforme à arpenter un quartier qui n’a plus rien de semblable avec ce qu’il a connu. Le Red Light a été complètement détruit pour faire place à une modernisation à la Jean Drapeau. Les bordels sont devenus des maisons de chambre et des centres de callgirls.
Le policier Best s’ennuie de toujours faire la ronde qu’on lui assigne. C’est pourquoi il fait en sorte de s’installer au guidon d’une moto, puis de devenir inspecteur. Partout où il passe, il laisse sa marque de travailleur déterminé à réussir ses affectations. Sa vie professionnelle l’occupe tant qu’il a peu de vie sociale.
Un jour, il rencontre et sympathise avec Raphaël. Ce dernier est un intellectuel politisé, curieux de la montée du nationalisme façon RIN. Michel ayant grandi dans un monde où les Anglais n’avaient aucun droit – Montréal était alors symboliquement séparé en deux, l’ouest du boulevard Saint-Laurent était le territoire des anglos, l’est, celui des canadiens-français – il s’intéresse à la politique dont Raphaël est friand. Pendant un temps, les deux compères fréquentent des assemblées où ils entendent, par exemple, Pierre Bourgault. Aussi longtemps que son action politique n’entre pas en conflit avec son travail de policier, il peut faire ce qu’il veut, surtout que ce militantisme mou fait l’affaire du clan Santini.
Grâce à Raphaël, il fait la connaissance de Michèle, sa cousine. Politisée et friande de littérature, elle est une découverte pour Best qui n’a jamais croisé une telle femme. Pas étonnant alors qu’ils deviennent amants.
Côté professionnel, arrivent les limbes du titre : des enquêtes non-résolus. Pour Michel Best, elles sont des échecs qui, en s’accumulant, érodent sa confiance. D’un crime à l’autre de cette nature, ses collègues, puis ses patrons lui adressent des reproches comme ils n’avaient pu le faire jusqu’alors.
Comme si ces problèmes-là ne suffisaient pas à ternir sa réputation et à devenir un souci de tous les instants, ses amis indépendantistes flirtent avec le FLQ naissant et sont envoyés en prison. Sa relation avec Michèle bat de l’aile.
Jean-Simon Desrochers ne perd jamais de vue la vraisemblance de l’histoire, jusque dans les plus petits détails de la vie quotidienne des années 1950 à 1970. Si bien que l’image du policier Best, son attitude aussi bien que ses habitudes n’ont rien de caricatural. Je pense ici au vocabulaire et aux expressions qu’il met dans la bouche de ses personnages qui conservent leur truculence sans tomber dans la bouffonnerie. Certains passages sont en joual convenu, mais jamais inutile, pas plus d’ailleurs que quelques sacres appropriés à la trame. Le rythme de l’écriture du romancier, notamment son phrasé, entraîne celui de l’histoire, si bien qu’il donne l’impression d’être nous-mêmes des personnages en marge de ce qui nous est raconté.
Arrive un nouveau personnage : maître Wanda Flanagan. Qui est cette avocate anglophone? Que vient-elle faire dans cette jungle que sont devenues la douzaine d’enquêtes non résolues qui empêchent l’enquêteur de dormir? De prime abord, Me Flanagan n’est que de passage comme d’autres personnages du roman. Après quelques apparitions, le temps d’attirer et de retenir l’attention de Michel, nous découvrons la complexité du personnage.
L’ultime question qui finit par nous assaillir : est-elle reliée aux meurtres non résolus d’une quelconque façon? C’est le policier qui nous a soufflé cette question à l’oreille, entre le doute et la quasi-certitude, les siens d’abord. Les dernières sections du roman sont consacrées à ce chassé-croisé entre la découverte de nouvelles victimes et les rencontres de Wanda et Michel. Même lorsque ce dernier remarque un dénominateur commun à tous ces meurtres, il est impuissant à le relier avec son amie.
L’intrigue est menée de main de maître du début à la fin de Les limbes. Même pour un non-lecteur de polar, l’histoire que propose J.-S. Desrochers est à la fois une fresque historique d’un Montréal d’une autre époque que celle mettant en scène un homme qui n’a d’autre choix que de réussir ce qu’il entreprend. C’est du moins ce qu’il croit et ce qui embrouille la clairvoyance dont il a toujours fait preuve jusque-là. Humain trop humain, aurait dit Friedrich Nietzsche.

1 commentaire:

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