mercredi 18 décembre 2019

Élise Turcotte
L’apparition du chevreuil
Québec, Alto, 2019, 160 p., 21,95 $.

Les mots contre l’oubli

« Toute vérité n’est pas bonne à dire » apprenait-on autrefois aux enfants pour cacher la laideur de certaines évidences, secrets de famille ou silences complices de la société. Ces non-dits exposaient la vicissitude des hommes et des femmes, des hommes plus souvent qu’à leur tour.



C’est dans un tel malstrom que les personnages et l’action de L’apparition du chevreuil, le plus récent roman d’Élise Turcotte, sont pris dans un tourbillon qu’illustre une tempête de neige. La narratrice est écrivaine, comme l’autrice, sans que ce soit une autofiction.
Ce récit est fait de plusieurs tableaux tout en transparence, de l’avant à l’arrière-scène, de l’arrière à l’avant de l’imaginaire et de la réalité crue, directe. Un couple, leur garçonnet, les parents de l’épouse et de l’écrivaine se heurtent dans leurs convictions qui parfois s’opposent comme aimer ou haïr, être en paix ou en colère.
Le beau-frère est un tyran, toujours à rebrousse-poil quand il est question de sa belle-famille, surtout de son écrivaine de belle-sœur, la seule à tenir tête à ses diktats, la seule à ne rien lui laisser passer quand il est question de sa compagne et de leur fils.
Or, cet homme est de plus en plus vindicatif à son égard et profite du leader d’un groupe d’extrême droite, La Souche, pour répondre à son discours sur les réseaux sociaux qu’il juge trop féministe. La goutte qui fait déborder le vase d’insultes arrive quand Rock Dumont, son porte-voix, la menace.
La narratrice a un urgent besoin de prendre une distance de ses engagements sociaux politiques et du climat malsain qui pèse comme une chape de plomb sur la vie de sa sœur et de son neveu dont elle s’est fait la protectrice. Elle va donc passer quelques jours à la campagne dans un chalet prêté par un ami. L’endroit invite au calme, le paysage invitant à créer de la beauté.
Le beau-frère arrive inopinément pour en découdre avec elle. Il l’accuse de tous les maux de la terre, surtout d’encourager sa sœur à reprendre sa vie en main en la libérant de son emprise. Le ton des échanges est acrimonieux, la narratrice et lui refusant toujours de trouver un terrain d’entente.
Élise Turcotte, comme elle l’a souligné en entrevue, a peaufiné la forme du récit, un truisme, car on constate les divers plans qui, comme une image en 2 ou 3 dimensions, entrecroisent les lieux et les événements, l’avant et l’après, l’ici et l’ailleurs se confondant.
Le chalet par exemple, la narratrice s’y rend pour écrire, mais aussi, à un autre moment, pour confronter son beau-frère. L’appartement qu’habite sa sœur et son neveu existe aussi, mais sans qu’on puisse en définir les contours, sinon pour les imaginer comme les barreaux d’une prison que son époux lui a moralement fabriquée et dont elle hésite de s’enfuir.
La grande sœur doit comprendre que les menaces qui lui ont été faites s’adressent également à ses parents, à sa sœur et à son neveu pour qu’elle intervienne drastiquement. La séparation du couple et l’impossible entente concernant la garde du garçon bousculent les événements. Le père amène son fils dans une maison près du chalet où il est venu menacer la narratrice. Cette dernière comprend ce qui se trame dans l’esprit malade du père. Craignant pour la sécurité de l’enfant, elle réagit violemment à ses imprécations, car elle sait qu’il dispose d’une arme de chasse et elle craint qu’il en fasse usage.
Une autre dimension du roman, ce sont les rencontres de l’autrice et de sa psychologue dont les propos comblent l’espace entre les scènes où l’action tourne au drame, comme si ces consultations alimentaient le tourbillon intérieur ressenti par l’écrivaine. Ne serait-ce pas d’ailleurs pourquoi elle ne cesse de prendre en note le moindre détail de l’interaction qui se déroule entre sa sœur et son époux, comme si écrire donnait le poids de la réalité aux sentiments et aux émotions.
Enfin, il y a l’enfant qui, du début à la fin de la trame, apprend le poids de la vérité sur la balance des dures réalités de la vie, écarteler entre la bonté de sa mère et la cruauté de son père. Il serait facile de l’imaginer avec quelques cheveux gris à la fin du roman, quand le nouvel ordre de sa vie est établi et que sa tante approche le cervidé du titre.
L’apparition du chevreuil rappelle que rien n’est jamais ni fini ni gagné dans le domaine des relations homme-femme. La vigilance est toujours de mise. Comme l’écrit la narratrice : « Je n’écris pas pour dévoiler la vérité. Simplement, j’ai besoin de dessiner une ouverture afin qu’une vérité ne soit pas enterrée vivante. S’il existe un cimetière des mots arrachés aux êtres qui comprennent, je veux pouvoir m’y promener. »

1 commentaire:

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