mercredi 20 novembre 2019

Yves Thériault
Contes pour un homme seul
Montréal, Le dernier havre, 2019, 209 p., 12,95 $.

Yves Thériault : métier écrivain

Il m’est arrivé de suggérer à de jeunes collègues s’interrogeant sur les fictions, parues avant la Révolution tranquille, susceptibles d’intéresser leurs collégiens d’élèves. Pour eux, pas question de revenir sur ce qu’ils considéraient comme « l’ennuyeuse littérature du terroir ». J’évoquais spontanément le nom d’Yves Thériault. Certains étaient alors dubitatifs et je compris qu’on leur avait imposé Agaguk à un âge où ce roman est trop grand pour des lecteurs peu ou pas préparés.
Connaissaient-ils les récits brefs de Thériault? Contes pour un homme seul, le premier ouvrage du prolifique auteur paru en 1944, ou Œuvre de chair, paru en 1975, ne leur disaient rien. Je les ai parfois mis au défi de lire quelques-unes de ces histoires et de m’en reparler. Leurs commentaires furent aussi élogieux que leur incompréhension de n’avoir jamais entendu parler de ces narrations à l’écriture et aux images d’une simplicité désarmante.



J’ai recensé plusieurs des ouvrages de l’auteur parus les dernières années de sa vie, dont La quête de l’ourse et La femme Anna et autres contes. Je profite aujourd’hui d’une réédition en format poche des Contes pour un homme seul aux éditions Le dernier havre, une maison tenue avec fierté par l’écrivaine et traductrice Marie-José Thériault, qui est aussi fille de l’écrivain.
Cette nième édition est accompagnée d’une étude en guise de préface signée Laurent Mailhot; il jette un regard éclairant sur diverses dimensions qu’épousent les textes. L’universitaire écrit entre autres : « L’atmosphère des Contes pour un homme seul est un climat dont la température monte ou descend sur les objets, sur les corps, dans les esprits. […] au lieu d’exposer, de décrire, d’expliquer, Yves Thériault évoque, souligne d’un trait, suggère fortement, grâce à une "savante discontinuité dans la notation" qui contribue à heurter, à surprendre. »
Cela m’a rappelé la présentation que Gilles Archambault a faite d’une précédente édition où il soulignait qu’avec ce livre Thériault « accédait en quelque sorte… à la littérature. Dès l’entrée on remarqua l’originalité de son style. Il apportait au conte une verdeur indéniable, un ton tout à fait inusité. »
J’ai relu ces contes et ressenti un plaisir semblable aux retrouvailles avec un vieil ami. Plus que jamais, ces phrases de l’écrivain m’ont touché : « J’ai souvent regretté la pureté qui était mienne au moment d’écrire ces contes. J’étais hors de tout milieu littéraire, inconnu de tous ou à peu près, je n’avais aucune véritable renommée, et j’écrivais pour ainsi dire, comme l’oiseau chante, pour rien, pour personne. Pour moi-même. C’est ce que j’appelle pureté. Il est dommage qu’inexorablement l’on doive la perdre un jour. »
On ne dira jamais assez l’importance de l’œuvre d’Yves Thériault dans notre littérature. Je crois que l’institution qui chapeaute notre patrimoine écrit a le devoir de faire lire et même relire ses œuvres. J’aimerais aussi entendre les commentaires de la nouvelle génération d’auteurs et d’autrices inuits à une époque où l’appropriation culturelle est pointée du doigt, une notion inconnue au moment où parurent Agaguk (1958) et Ashini (1960).
Et vous monsieur le chroniqueur quels sont vos livres préférés d’Yves Thériault? Outre ses contes, il m’arrive de relire Aaron (1954) qui raconte le conflit entre un grand-père juif et son petit-fils, entre la tradition et la modernité. Que dire de La fille laide en cette ère de l’image et de l’éphémère? Au-delà du personnage que Thériault s’est créé à une époque où faire le métier d’écrivain n’était pas sérieux, il a façonné une œuvre gigantesque, remarquable tout en devenant le forgeron d’une véritable littérature nationale.



Collectif, sous la direction de Renald Bérubé
Cahiers Yves Thériault 2
Montréal, Le dernier havre, 2019, 298 p., 14,95 $.
Il valait la peine de réunir un aréopage d’universitaires pour « souligner par des textes critiques le 75e anniversaire de la parution des Contes pour un homme seul ce qui pourrait s’appeler un devoir de mémoire littéraire », comme Bérubé le souligne. Les études mettent à « l’avant-scène l’écriture brève de l’auteur, ses contes, récits et nouvelles, ses "Mille et une façons d’épater" pour reprendre les mots de Michel Lord. Dès 1944, grâce aux contes, Thériault va étonner, fasciner et déranger. Son personnage du Troublé demeure une création qui résiste aux interrogations, les multipliant en lui-même. Personnages, lieux et langage des textes courts de Thériault sont au cœur de ce Cahier; à quoi s’ajoute la publication de deux inédits, dont l’un écrit en anglais, langue que l’écrivain a pratiquée sans qu’on ne s’y attarde trop et qui est aussi le sujet d’un article. »

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