Yves Thériault
Contes pour un homme seul
Montréal, Le dernier havre, 2019, 209 p., 12,95 $.
Yves Thériault : métier écrivain
Il m’est arrivé de suggérer à de
jeunes collègues s’interrogeant sur les fictions, parues avant la Révolution tranquille,
susceptibles d’intéresser leurs collégiens d’élèves. Pour eux, pas question de
revenir sur ce qu’ils considéraient comme « l’ennuyeuse littérature du
terroir ». J’évoquais spontanément le nom d’Yves Thériault. Certains
étaient alors dubitatifs et je compris qu’on leur avait imposé Agaguk à
un âge où ce roman est trop grand pour des lecteurs peu ou pas préparés.
Connaissaient-ils
les récits brefs de Thériault? Contes pour un homme seul, le premier
ouvrage du prolifique auteur paru en 1944, ou Œuvre de chair, paru en 1975,
ne leur disaient rien. Je les ai parfois mis au défi de lire quelques-unes de
ces histoires et de m’en reparler. Leurs commentaires furent aussi élogieux que
leur incompréhension de n’avoir jamais entendu parler de ces narrations à l’écriture
et aux images d’une simplicité désarmante.
J’ai recensé plusieurs des ouvrages
de l’auteur parus les dernières années de sa vie, dont La quête de l’ourse
et La femme Anna et autres contes. Je profite aujourd’hui d’une réédition
en format poche des Contes pour un homme seul aux éditions Le dernier
havre, une maison tenue avec fierté par l’écrivaine et traductrice Marie-José
Thériault, qui est aussi fille de l’écrivain.
Cette nième édition est accompagnée
d’une étude en guise de préface signée Laurent Mailhot; il jette un regard
éclairant sur diverses dimensions qu’épousent les textes. L’universitaire écrit
entre autres : « L’atmosphère des Contes pour un homme seul
est un climat dont la température monte ou descend sur les objets, sur les
corps, dans les esprits. […] au lieu d’exposer, de décrire, d’expliquer, Yves
Thériault évoque, souligne d’un trait, suggère fortement, grâce à une "savante
discontinuité dans la notation" qui contribue à heurter, à surprendre. »
Cela m’a rappelé la présentation
que Gilles Archambault a faite d’une précédente édition où il soulignait qu’avec
ce livre Thériault « accédait en quelque sorte… à la littérature. Dès l’entrée
on remarqua l’originalité de son style. Il apportait au conte une verdeur
indéniable, un ton tout à fait inusité. »
J’ai relu ces contes et ressenti un
plaisir semblable aux retrouvailles avec un vieil ami. Plus que jamais, ces
phrases de l’écrivain m’ont touché : « J’ai souvent regretté la
pureté qui était mienne au moment d’écrire ces contes. J’étais hors de tout
milieu littéraire, inconnu de tous ou à peu près, je n’avais aucune véritable
renommée, et j’écrivais pour ainsi dire, comme l’oiseau chante, pour rien, pour
personne. Pour moi-même. C’est ce que j’appelle pureté. Il est dommage qu’inexorablement
l’on doive la perdre un jour. »
On ne dira jamais assez
l’importance de l’œuvre d’Yves Thériault dans notre littérature. Je crois que l’institution
qui chapeaute notre patrimoine écrit a le devoir de faire lire et même relire ses
œuvres. J’aimerais aussi entendre les commentaires de la nouvelle génération d’auteurs
et d’autrices inuits à une époque où l’appropriation culturelle est pointée du
doigt, une notion inconnue au moment où parurent Agaguk (1958) et Ashini
(1960).
Et vous monsieur le chroniqueur
quels sont vos livres préférés d’Yves Thériault? Outre ses contes, il m’arrive
de relire Aaron (1954) qui raconte le conflit entre un grand-père juif et
son petit-fils, entre la tradition et la modernité. Que dire de La fille
laide en cette ère de l’image et de l’éphémère? Au-delà du personnage que Thériault
s’est créé à une époque où faire le métier d’écrivain n’était pas sérieux, il a
façonné une œuvre gigantesque, remarquable tout en devenant le forgeron d’une véritable
littérature nationale.
Collectif, sous la direction
de Renald Bérubé
Cahiers Yves Thériault 2
Montréal, Le dernier havre, 2019,
298 p., 14,95 $.
Il valait la peine de réunir un aréopage d’universitaires
pour « souligner par des textes critiques le 75e anniversaire
de la parution des Contes pour un homme seul ce qui pourrait s’appeler un devoir
de mémoire littéraire », comme Bérubé le souligne. Les études mettent à « l’avant-scène l’écriture
brève de l’auteur, ses contes, récits et nouvelles, ses "Mille et une
façons d’épater" pour reprendre les mots de Michel Lord. Dès 1944, grâce
aux contes, Thériault va étonner, fasciner et déranger. Son personnage du
Troublé demeure une création qui résiste aux interrogations, les multipliant en
lui-même. Personnages, lieux et langage des textes courts de Thériault sont au cœur
de ce Cahier; à quoi s’ajoute la publication de deux inédits, dont l’un écrit
en anglais, langue que l’écrivain a pratiquée sans qu’on ne s’y attarde trop et
qui est aussi le sujet d’un article. »
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