mercredi 6 novembre 2019


Anne-Marie Beaudoin-Bégin
La langue racontée : s’approprier l’histoire du français
Montréal, Somme toute, 2019, 152 p., 16,95 $.

Racontez-moi le français – Histoire de langue(s)

La sociolinguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin a entrepris d’écrire une trilogie portant sur divers aspects de notre parlure. Il y eut La langue rapaillée : combattre l’insécurité linguistique des Québécois (2015) où elle détricotait nos craintes par-devers notre langue. Puis, La langue affranchie : se raccommoder avec l’évolution linguistique (2017) où elle suggère de nous libérer du carcan trop serré de la norme prescriptive. Pour compléter cette étude, elle revient aux racines de la langue française dans La langue racontée : s’approprier l’histoire du français.



D’entrée de jeu, l’autrice écrit : « Faire l’histoire d’une langue, c’est faire l’histoire des gens qui l’ont parlée, écrite, chantée, vécue. Un mot seul ne peut changer de sens comme par génération spontanée. Ce sont les personnes qui l’utilisent dans différents contextes qui, lui accordant de nouvelles connotations ou le rattachant à une nouvelle réalité, inconsciemment ou non, lui donnent un nouveau sens. »
Les titres des chapitres illustrent le parcours temporel de la langue française, des origines à nos jours. On constate ainsi qu’il est peu question d’évolution, mais d’un ensemble « de décisions arbitraires, d’accidents de parcours, de concours de circonstances. » On est loin du latin et du grec anciens qui n’en sont pas les seuls berceaux, comme on le répète si souvent.
« Si le français a été la "lingua franca" de prestige pendant longtemps, ce qui fait qu’il en garde encore les rubans et les paillettes, il n’est pas que ça, et il n’a pas été que ça. » D’ailleurs, il ne faut pas confondre "lingua franca" et langue française. En fait, "lingua franca" est la langue véhiculaire, celle qui permet aux populations de communiquer entre elles, du Moyen Âge au 19e siècle. Ainsi, avant l’unification linguistique des régions de France, chacune avait son propre dialecte, et cette quasi-uniformisation ne s’est pas faite en un jour, ni même en cent et mille.
À travers le temps et les lieux, on constate que le pouvoir politique et l’organisation sociale ont longtemps tenu la langue française en laisse en dictant son vocabulaire et ses règles. Selon l’essayiste, c’est la Révolution française (1789-1799) qui a, entre autres, permis à « la langue des gens ordinaires, des gens dont on ne parle pas dans les livres... de faire du français ce qu’il est aujourd’hui. L’histoire du français, c’est aussi leur histoire. C’est notre histoire. »
Anne-Marie Beaudoin-Bégin n’a jamais dérogé de son projet initial de rendre la langue parlée au Québec à ses locuteurs. C’est pourquoi La langue racontée décrit le chemin parcouru au cours des siècles, de la langue parisienne de la royauté et de la noblesse à celle que les colons français ont amenée en Nouvelle-France. On ne parle pas ici d’une langue encarcanée dans les règles strictes de l’écrit, mais d’une langue véhiculaire qui leur permettait de communiquer entre eux.
Je me souviens d’un texte de Jean-Claude Germain où il écrit que le territoire de la Nouvelle-France fut le premier où l’ensemble de la population dût parler français pour se comprendre, un français métissé va sans dire.
S’il a fallu des décennies sinon des siècles pour que la langue française évolue, c’est que les réseaux de communication étaient hermétiques, que le concept d’internationalisation n’était pas dans les cartons des États. Aujourd’hui, c’est l’idée de mondialisation qui a fait son chemin et que la langue anglaise, états-unienne faut-il croire, est devenu la "lingua franca", la langue véhiculaire par excellence non pas de quelques pays, mais bien de la planète tout entière.
Aujourd’hui, le français n’est plus le seul apanage de la France; d’ailleurs c’est le continent africain qui compte le plus de locuteurs français. De plus, Internet est devenu le principal vecteur des changements linguistiques, entre autres grâce à l’influence des réseaux sociaux. Le modèle de la langue française étant, depuis des lustres, la langue écrite laquelle s’appuie sur des règles édictées en vase clos et se base sur des logiques souvent incohérentes, il n’est pas étonnant qu’elles soient de plus en plus contestées.
Assistons-nous à une nouvelle révolution linguistique qui va en redonner le contrôle aux usagers? Chose certaine, la langue n’a jamais eu autant d’importance comme « outil de communication et de représentation, un vecteur d’identité, un matériau artistique ». Une langue vivante à laquelle les nouvelles technologies de l’information, notamment le téléphone intelligent, apportent un souffle nouveau et entraînent la remise en question de certaines de ses règles dans un espace spatio-temporel on ne peut plus différent de celui de tous les passés confondus.

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