Amel Zaazaa et Christian Nadeau (dir.)
11 brefs essais contre
le racisme : pour une lutte systémique
Montréal, Somme toute, 2019, 160 p., 18,95 $.
Quand les mots
deviennent des maux
J’avais une dizaine d’années lorsque
j’ai croisé un premier noir, portier d’un grand hôtel de la métropole, rue
Sherbrooke. J’ignorais tout de la notion de race même à l’endroit des « Indiens »
des séries états-uniennes. La montée du nationalisme québécois ne m’a jamais
inspiré d’anglophobie, car j’avais des amis anglophones et que j’ai fait mes
études en lettres françaises et québécoises à McGill. Comment alors le concept
de racisme est-il apparu dans mon schéma de réflexion, sinon par son omniprésence
des médias?
Alors qu’on discute encore des
signes religieux dans l’espace public, m’arrive 11 brefs essais contre le racisme : pour une lutte systémique,
un collectif dirigé par Amel Zaazaa et Christian Nadeau. Cet ouvrage a toutes
les qualités requises pour alimenter une réflexion collective sur des sujets au
cœur des débats, souvent plus émotifs que pondérés.
Qu’est-ce que le racisme? Ce sont
des attitudes et des actions concrètes qui créent et entretiennent le racisme
jusqu’à le rendre systémique, c’est-à-dire omniprésent dans l’ensemble de nos
habitudes sociales et des lois qui les encadrent. Rappelons-nous Adrien Arcand,
antisémite et partisan du nazisme, dont le discours trouvait jadis des oreilles
attentives et dont certaines leçons sont hélas toujours à la mode.
Outre les communautés racisées – amérindiens,
noires, hispanos, asiatiques ou autres –, les projecteurs du racisme visent aussi
les individus pratiquant une religion – dont l’islam et le judaïsme. Le texte d’Idil
Issa, « Islamophobie et racisme », est très éclairant sur ce sujet,
rappelant les effets pervers des événements du 11-Septembre 2001 dont la
stigmatisation de gens pratiquant l’islam, peu importe leur origine. Un facteur
qui engendre et entretient le racisme systémique, c’est, à mon avis, la
généralisation de cas particuliers, notamment de gens radicalisés.
Tourner les coins ronds donne
parfois bonne conscience. Par exemple, cela nous permet d’oublier que nous pratiquons
un racisme colonial à l’endroit des Amérindiens, un sujet abordé dans « Racisme
et peuples autochtones. Décoloniser les esprits par l’éducation » par
Widia Larivière. J’emploie l’expression de racisme colonial, car c’est la
situation des populations dont les ancêtres sont arrivés sur un territoire en
tant que colonisateurs et qui font perdurer un état l’esprit inacceptable, exacerbé
en temps de vagues migratoires entre pays et entre continents comme celles que
la planète connaît actuellement.
Il faut être aveugle ou insensible
aux événements qui se produisent aux frontières ou, par exemple, aux traversées
en Méditerranée pour refuser de croire qu’il y a une résurgence du racisme
systémique et qu’il faut d’abord l’enrayer de nos habitudes individuelles, puis
des us et coutumes de notre société. « Lutter contre le racisme systémique
consiste donc à identifier et à combattre par tous les moyens les lignes de
fracture raciste au sein de notre société », d’écrire Lucie Lamarche et
Christian Nadeau dans « Antiracisme et interdépendance des droits ».
Ils rappellent plus loin qu’« au Québec, ce sont les minorités racisées qui
chaque jour sont poussées à la marge économique, sociale et culturelle ».
Comment prendre le temps d’écouter
les individus racisés, sinon qu’en leur donnant accès à des plateformes sur lesquelles
s’exprimer. C’est ce que fait Rodney Saint-Éloi et sa maison d’édition Mémoire
d’encrier dont « la seule et unique mission [est] de donner forme aux voix
fragiles, de donner corps aux corps invisibles, de laisser la place à l’imaginaire
qui a fait de nous des femmes et des hommes dignes. »
Ne faisons pas les autruches :
il y a un discours raciste planétaire dont il faut se dissocier même si son
écho est répété ad nauseam dans les bulletins d’information, les réseaux
sociaux n’étant que la pointe d’un iceberg. On crie haro sur certains signes
religieux et on ferme les yeux sur d’autres dans une hypocrisie collective qui
ressemble de plus en plus à de la mauvaise foi. Or, je crois que lire 11 brefs essais contre le racisme :
pour une lutte systémique amène et nourrit une réflexion sur ce vaste sujet,
puis à changer nos attitudes personnelles et sociales racistes, un jour à la
fois. Cette préoccupation me semble aussi importante que celle de l’environnement,
le racisme systémique étant un véritable pollueur social.
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