Jean-François Caron
De bois debout
Chicoutimi, La Peuplade, coll. « Roman », 2017,
414 p, 26,95 $.
Oratorio pour un conteur
éphémère
Depuis 2006, l’écrivain
Jean-François Caron a proposé deux recueils de poésie et autant d’œuvres
narratives, tous biens reçus. Le printemps dernier, La Peuplade, éditeur de Chicoutimi
aux ouvrages remarqués, publia De bois
debout, un roman tant acclamé qu’il est en lice pour le Prix des libraires,
le Prix littéraires des collégiens 2018 et le Prix France Québec 2018. Voyons pourquoi
cette histoire soulève un tel engouement.
De bois debout, c’est d’abord une histoire de famille, parents et
progéniture, mais aussi la communauté que forment les citoyens de Paris-du-Bois,
petit village inventé baigné par la Petite-Seine, un clin d’œil intelligent et
utile à la Ville lumière. Ici, tout le monde connaît tout le monde, les secrets
de famille sont l’affaire de tous, chacun respectant la discrétion ou le
silence qu’ils exigent.
Les Marchant — André, Pauline et
le jeune Alexandre — y vivent. Leur secret à eux, c’est d’où vient
Fils-à-Broche, comme on nomme André à Paris-du-Bois, car il répare presque tout
ce qui se brise au village, des choses matérielles à la violence avinée des
hommes faite aux leurs. Cela, les péripéties du roman nous l’apprennent par le mouvement
répété de retours en arrière, un événement en évoquant un autre, puis un autre
et ainsi de suite jusqu’à donner vie au cœur de la trame du récit.
La situation initiale nous fait
témoins du décès d’André, tiré par un policier sous le regard ahuri de son fils.
Ne comprenant pas pourquoi on a fait un trou dans la tête de son père, le
garçon s’enfuit à toutes jambes, ignorant où sa course folle va le mener. Il
traverse un paysage sauvage, ce lieu mythique qui a fait vivre Paris-du-Bois jusqu’à
ce qu’on ferme la scierie et qu’elle n’attire plus que de rares villégiateurs. Embusqué
dans ce bois, au fin fond d’un rang, Alexandre se réfugie chez Tison, le grand
brûlé et grand lecteur.
L’histoire est simple, ce sont
les points de vue et les niveaux du discours qui lui confèrent son originalité,
sa vitalité. Il y a le jeu du temps et des lieux, entre passé et avenir, ici et
ailleurs, inventant leur chronologie dans la première partie du récit. On suit
la narration, on entend les dialogues ou les réflexions intérieures qui
engendrent des souvenirs. Plus la trame évolue, plus elle porte l’empreinte
d’André, comme si le compteur de l’existence de chacun avait été remis à zéro le
jour de sa mort.
Nous accompagnons Alexandre à
Québec dans la deuxième partie du roman où il vient étudier. Il apprend aussi
par bribes les devoirs, les obligations et les sentiments du quotidien. C’est grâce
au maire de Paris-du-Bois qui l’a pris en charge après le décès de ses parents,
qu’il dispose d’un petit pécule lui permettant de fréquenter l’université, puis
de devenir professeur. Pour combler ses temps libres et nourrir sa passion des
livres, il travaille dans une bouquinerie. C’est d’ailleurs grâce à
Jean-Pierre, le propriétaire du commerce, que nous apprenons plus tard qu’André
a autrefois fait des études en lettres, un petit mystère qui en alimente un
autre.
Douze ans se sont écoulés depuis
qu’Alexandre a quitté son patelin. Il y revient pour faire la paix avec le
passé en prenant possession du chalet que son défunt père a construit dans un
coin retiré où le fils n’a jamais mis les pieds. Au village, il retrouve celles
et ceux qu’il connaissait et aimait à l’adolescence, et dont il découvre leur
visage d’adultes. Les retrouvailles aplanissent certains doutes d’autrefois,
banalisent quelques inquiétudes et ouvrent les portes d’un univers assumé.
Le chalet enfin trouvé réserve une
surprise pour Alexandre : son père l’a conçu comme une bibliothèque à aire
ouverte, des rayons incrustés sur tous les murs. Il comprend alors que, malgré
le désaccord d’André de le voir lire sans arrêt durant son enfance, son père
partageait sa passion des mots des autres qui l’avait jadis mis à mal.
De bois debout mérite d’être louangé, car Jean-François Caron y crée
une nouvelle alchimie de la fiction, une osmose par laquelle le romancier donne
vie à sa propre littérature et un mode d’emploi renouvelé. Bref, une remarquable
épiphanie de son art d’écrire.