mercredi 27 décembre 2017

Meilleurs vœux à toutes et tous.
Que 2018 soit à la hauteur de vos attentes!
De retour le mercredi 10 janvier pour vous entretenir de Michel Dallaire, de l'idée à l'objet (du passage, 2017).

mercredi 20 décembre 2017

Francis Leclerc
Pieds nus dans l’aube. Du roman au grand écran, photos de Daniel Guy
Montréal, Fides, 2017, 132 p., 29,95 $.

 Quand l’adolescence déjoue l’enfance

Un film tiré d’un roman n’est jamais autre chose que la lecture qu’en a faite le cinéaste. C’est aussi différent que d’être lecteur et spectateur. Or, Francis Leclerc a choisi Pieds nus dans l’aube, premier roman de son père Félix, paru en 1946, pour en faire du cinéma. C’était un défi multiple, entre autres parce que le livre n’est pas un roman classique, mais une suite de nouvelles qui décrivent une fresque poétique de la vie d’un enfant en Mauricie.
Le réalisateur s’est associé avec le conteur Fred Pellerin pour mettre en mots les personnages et les images qu’il a choisies pour animer le récit. Il a aussi proposé à Daniel Guy, vieux compagnon des plateaux de tournage, de documenter le tournage à sa guise. Cela fut la genèse de Pieds nus dans l’aube : du roman au grand écran.


Ce livre n’a rien de comparable sur le rayon des beaux livres. Ni revue de tournage ni album souvenir, c’est un ouvrage insaisissable comme le roman de Leclerc. On y trouve le récit de la démarche artistique du cinéaste, les techniques de photographie utilisées par Daniel Guy, une séquence de dialogues de Pellerin-Leclerc et une entrevue de ce dernier avec P. Douville pour la Fabrique culturelle (https://www.lafabriqueculturelle.tv/).
Le texte du cinéaste nous fait passer de l’autre côté du miroir, cette partie étamée de la démarche créative entre littérature et cinéma. À cela s’ajoute en filigrane le rapport de filiation entre Francis et son père Félix. Il y a là de la timidité et du respect enveloppés de mille précautions tant l’émotion que j’ai ressentie est grande. Cela est aussi perceptible dans l’extrait du scénario retenu pour le livre.
Les photographies sont une exposition de petits chefs-d’œuvre que le roman et des moments intangibles du tournage ont inspirés à Daniel Guy. Nul besoin de longues explications quand on lit «Le point de vue du photographe», le récit de cette aventure artistique parallèle au film avec comme objectif d’illustrer le livre. J’ignorais la technique des photos en sténopé (« petit trou dans la paroi d’une chambre noire, servant d’objectif photographique »), mais j’ai vite compris que ce procédé exigeait une lenteur à l’opposé du rythme d’un plateau de tournage.
Il a donc fallu que le photographe ait recours à un plan B et multiplie les procédés pour capter la lumière de ses mises en scène. Cette première étape, aussi laborieuse fût-elle, ne l’a pas empêché de faire toutes les manipulations nécessaires au transfert des images sur les supports appropriés. Puis, l’éditeur Fides a poursuivi ce travail d’artisan en choisissant d’imprimer le livre sur du papier de grande qualité, du «Roland Enviro Satin 160M». Le résultat est tout simplement remarquable.
Un très beau livre, vous dis-je, à la hauteur d’un des pères de la culture québécoise, Félix Leclerc.




Le petit livre bleu (Bibliothèque québécoises, 2017) par Félix Leclerc. De Vaudreuil à l’Île d’Orléans, Félix Leclerc a été par-dessus tout un grand écrivain dont les œuvres chantées ont fait oublier ses contes, fables, romans, pièces de théâtre et maximes. On se souvient de Pieds nus dans l’aube, mais peu de Moi, mes souliers qui en est, en quelque sorte, la suite, et dont Jean Giono signa la préface. En 1961, il publie Le calepin d’un flâneur chez Fides, son éditeur le plus important; il a ainsi réuni des aphorismes qu’on étiqueta maximes à l’époque où les règles morales étaient comme une ultime reconnaissance de la littérature des bien-pensants et des curés. Puis paru, en 1979, Le petit livre bleu ou Le nouveau calepin du même flâneur. Ce livre revient sans avoir pris une ride, il semble même avoir vu au-delà des contingences un peu de l’avenir du Québec.





Dernier calepin (Bibliothèque québécoises, 2017) par Félix Leclerc. Publié quelques mois après le décès de l’écrivain en 1988, cet ultime recueil d’aphorismes a des allures de testament littéraire. En ouvrant ce livre, j’ai entendu « la voix violoncelle » dont parle Nathalie Leclerc dans La voix de mon père. J’y ai lu ces images brèves faites d’une écriture dont il avait seul le savoir-faire, la tournure. J’ai pris plaisir à l’imaginer interprétant les dialogues ou les monologues des saynètes éparpillées à travers les pages du Dernier calepin. Cela m’a rappelé que le barde aurait aimé qu’on se souvienne de lui comme un homme de théâtre. Encore dans ce recueil, comme dans nombre de ses chansons, on constate à quel point il a le sens du jeu, du duel entre le passé et le présent, l’espoir et le chagrin. Je partage l’avis que ce calepin « est empreint d’une certaine nostalgie » irrémédiable en vieillissant.


Réjean Ducharme
Le lactume, dessins inédits de l’auteur présenté par Rolf Puls
Montréal, Éditions du passage, 2017, 248 p., 44,95 $.
Puisque nous sommes au rayon de ces livres-là, je vous invite à visiter le site des Éditions du passage pour y admirer, Le Lactume, le dernier livre du regretté Réjean Ducharme paru à titre posthume (http://www.editionsdupassage.com/fr/livre/nouveautes/104/le-lactume). Présenté par Rolf Puls, l’éditeur québécois de Gallimard qui publia Ducharme, cet album de dessins fut envoyé à Robert Massin, alors directeur artistique de Gallimard, en 1966. Il était accompagné de la note suivante : « Veuillez ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins, je ne sais pas plus dessiner qu’écrire. Seulement, est-ce qu’il ne suffit pas d’être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains? »
Pour les passionnés de l’œuvre de Ducharme et les bibliophiles, je rappelle que Lanctôt éditeur a publié en 2004, Tropoux des œuvres de la collection Forget-Georgesco réalisées par l’écrivain sous son pseudonyme d’artiste visuel, Roch Plante.
Tout est dit. Il ne reste qu’à parcourir lentement ce musée de papier, scrutant ce cahier à colorier et les notes qui les accompagnent.

mercredi 13 décembre 2017

Philippe Lavalette
Petite Madeleine
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 168 p., 23,95 $.

Comment faire son cinéma

Le cinéaste conçoit, scénarise, puis réalise un récit en trois dimensions. Philippe Lavalette est cinéaste et, en écrivant Petite Madeleine, il a animé l’histoire d’une lignée de femmes au destin tragique et aux aventures teintées des couleurs du temps passé.
Il y a d’abord Madeleine Fargeau, modèle de Modigliani (1884-1920). Le 4 janvier 1909, une de ses amies accouche d’une enfant qu’elle ne veut, ni ne peut garder. Madeleine conduit le nouveau-né à l’Assistance publique qui lui attribue son nom à elle.




À peine sevrée, on place bébé Fargeau chez les Tissier, jardiniers du château Devay. La vie chez ces gens est acceptable, surtout que Madeleine doit fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. Survient la guerre 14-18. Des recruteurs à la recherche de main-d’œuvre pour les bourgeois lui proposent de monter sur Paris. Elle refuse nette, préférant travailler sur une autre ferme de la région.
Les choses sont différentes chez les Denizieu où elle trouve Basile, un garçon de son âge dont la présence fait émerger des émotions qu’elle ignorait. Il veut la marier et qu’ils aient des enfants, ce qu’elle croit impossible. Arrive Roger Levasseur avec qui « elle connaît le premier vertige amoureux ». Enceinte, elle doit quitter les Denizieu et retourner chez les Tissier qui la reçoivent comme si elle était leur propre fille.
Philippe Lavalette a inséré, dans la trame, des lettres imaginaires adressées à Madeleine dans lesquelles il fait le lien entre sa propre vie et ce qu’il sait d’elle. Ces passages ressemblent à un monologue que l’écrivain dédie à sa grand-mère dont il a fini par retrouver la trace à travers un dédale de non-dits et de secrets de famille.
Revenons aux Tissier. Vieillis, ils n’ont plus l’énergie d’accompagner Madeleine, jeune maman. Survient le décès d’Émilie Courot qui laisse dans le deuil Paul, son jeune mari. On les présente et, les six mois de deuil passés, ils se marient, Paul reconnaissant Jeannine l’enfant née hors mariage.
Le couple a deux autres filles, Geneviève et Rolande. Jeannine « sera la seule à rompre sans équivoque le pacte de loyauté transmis de mère en fille » en refusant d’avoir à son tour un enfant de père inconnu. La guerre 39-45 arrive, Paul est envoyé dans une usine de munitions qu’il fuit avant qu’une bombe lui barre la route.
Jeannine « travaille à une chaîne de montage de téléphone noir à roulette », à Paris. Heureuse et libre, elle fait partie d’un club de marche et, lors d’une sortie, elle rencontre Jacques, tombe sous son charme et devient enceinte. Pas question d’être mère célibataire à son tour, elle traîne son compagnon à la mairie où ils s’épousent.
Rolande et Geneviève habitent toujours la maison familiale. La lettre d’un notaire fait croire à Madeleine qu’un bienfaiteur souhaite que Geneviève poursuive des études supérieures à ses frais. La veuve accepte ignorant que des proxénètes ont repéré sa fille et qu’elle deviendra vite la préférée des playboys de bonne famille. Quant à Rolande, aussi établie à Paris, elle veut améliorer son sort et profite de ses jours de congé pour suivre des cours de dactylographie. Après quoi « elle décroche sans difficulté un poste de dactylo dans un cabinet d’ingénieurs ». C’est sa façon de tourner le dos à son milieu, une décision qu’elle scelle en épousant un de ses patrons sans inviter les siens.
L’histoire se termine au MoMA de New York où la fille du romancier et son compagnon admirent Nu couché au coussin bleu, une toile de Modigliani dont la vraie Madeleine Fargeau fut le modèle. La jeune femme, prise d’un malaise soudain, comprend qu’elle est enceinte, continuant ainsi la tradition familiale.

Un roman est une œuvre en deux dimensions, celle de l’écrivain et celle du lecteur. Plus ces deux pôles se rapprochent, plus la fiction rejoint la réalité. Cela se produit avec Petite Madeleine grâce à la contextualisation du récit qu’apporte l’expérience cinématographique de Philippe Lavalette. Son roman n’est pas un scénario, mais une histoire animée par des techniques littéraires et d’autres, propres au cinéma.

mercredi 6 décembre 2017

Matthieu Simard
Ici, ailleurs
Québec, Alto, 2017, 128 p., 20,95 $.

L’agonie du lendemain

Depuis Échecs amoureux et autres niaiseries (Stanké, 2004), Matthieu Simard a fait paraître six romans, dont Ça sent la coupe porté à l’écran par Patrice Sauvé. L’univers qu’il a créé gravite autour de la vie de couple, des enjeux de la séduction à la constance du désir amoureux. Avec Ici, ailleurs (Alto, 2017), il va aux limites de ce lien affectif et de ses manifestations. Entrons dans cette histoire!
Marie et Simon, un couple mi-trentaine s’installe dans un village au destin tragique. Ainsi, la maison qu’ils ont achetée a une histoire qu’ils ignorent, comme nous les motifs qui les ont poussés à l’exil. Ces « pourquoi » auxquels ils ne cherchent pas vraiment de réponse deviendront malgré eux la quête de sens qu’ils n’ont d’autre choix que de mener.




N’eût été l’urgence que l’écriture de Simard suggère et le rythme qu’elle impose au récit, j’aurais mis le roman de côté, l’élément déclencheur me semblant traîner en longueur. J’ai heureusement compris à temps l’importance de cette lenteur assumée, essentielle à Marie et Simon comme aux autres personnages du récit.
Tous ont un destin qui affronte celui des autres, ce qu’on découvre petit à petit, et il ne peut en être autrement. Que ce soit Madeleine la restauratrice, Lyne la barmaid, Fisher le garagiste et homme à tout faire, l’épicier, les Lavoie ou Alice la sourde-muette, chacun vit dans sa bulle, incapable de communiquer avec les autres. Le paysage du village, le garage de Fisher, le bar, l’antenne cellulaire et la maison du vieux habitée par Marie et Simon sont comme une partition sur laquelle s’écrit l’histoire.
Marie et Simon se racontent, à tour de rôle. Ils partagent ainsi leur point de vue sur une situation de plus en plus dramatique qui met leur couple en péril. Pourquoi des urbains comme eux se sont-ils retranchés dans un petit village? « Nous nous sommes sauvés de la foule pour enterrer nos petites peines et cultiver nos grands espoirs dans la tranquillité rurale, mais nous avions oublié que c’est dans le désert que les bombes font le plus de bruit », de dire Marie.
Tout le monde connaît tout le monde et l’histoire de chacun dépend de celle des autres. Il y a là une consanguinité aux effets pervers que les villageois ne veulent pas partager avec des étrangers. Il y a, par exemple, l’impossible amour entre la restauratrice et l’épicier, lui qui a tout fait pour qu’elle s’intéresse à lui. Puis, Fisher, celui qui assaille Marie dès leur première rencontre au bar et sous les yeux sidérés de Simon, vit une solitude abyssale qui ne l’empêche pas de rendre service à tout un chacun. Quant à la famille Lavoie, elle vit en marge de ses concitoyens et son bonheur ruisselant donne des hauts le cœur à leur entourage; surtout qu’ils squattent souvent le parc du village frappé d’une malédiction. Quant à Alice, elle impose son silence pour se préserver des jugements et de la vindicte populaire que lui vaut un triste événement du passé.
Que font là Marie et Simon alors qu’ils portent le fardeau de leur propre peine? Leur exil aura sur eux l’effet d’un tourbillon qui emporte tout sur son passage. Ils n’ont d’autre choix que d’apprivoiser le décès Marguerite, leur fille, ce pourquoi ils ont fui la ville. C’est la tristesse du couple qui rapproche Alice de Simon, car la jeune femme comprend le vertige qu’il ressent au point de lui expliquer pourquoi on la croit sourde et muette.

Ici, ailleurs est, à mon avis, une œuvre de maturité, une histoire dont la trame a obligé Matthieu Simard de choisir et peser tous les mots, toutes les images de son discours littéraire afin qu’ils communiquent les faits, mais aussi l’état d’esprit de chacun des personnages. Le romancier les amène ainsi à développer une solidarité autour des malheurs communs, ce qui exclut Marie et Simon, les repoussant jusque dans les tranchées de la mort où git leur fille. Il ne pouvait en être autrement.