Jacques Boulerice
Dans ma voiturette
d’enfant
Montréal, Fides, coll. « Carnets », 2017, 280 p.,
22,95 $.
Des microcosmes à se
réinventer
La carrière littéraire de Jacques
Boulerice traverse, depuis quelques années, une période telle une urgence de
dire et de le faire à l’aune de l’âge et des souvenirs passés, présents et ceux
qu’on prépare avec grand soin pour la postérité des enfants et petits-enfants.
À cela s’ajoute une chronique hebdomadaire dans Le Canada français (Haut-Richelieu), à mi-chemin entre le billet
d’humeur et le récit de l’immédiat. C’est de cette atmosphère littéraire que se
libèrent les 58 chroniques du carnet intitulé Dans ma voiturette d’enfant, son plus récent ouvrage.
Tout est ici affaire d’une
écriture semblable au travail minutieusement attentif d’un horloger. Nous ne
sommes pas au rayon de l’autoportrait où l’instantanéité prime, mais dans
l’univers du plaisir de lire et de relire jusqu’à ce que la prose ne semble
plus avoir d’aspérité qui brouillerait l’œil ou l’intelligence de la lectrice,
du lecteur. Il y a, bien sûr, cette forme qui associe prose et poésie qui est
le propre de l’écrivain Boulerice, mais elle va ici au-delà des échanges
purement stylistiques en devenant un mode de penser ce qui est tracé sur la
page ou l’écran, un mode de vivre la poésie jusqu’à ce qu’il guide la main qui
écrit.
J’en prends pour exemple « Novembre
et le bon usage de la paille », ce récit du temps qui s’arrête, un instant
ou deux, pour ensuite mieux plonger en espérant une saison à venir, puis à
répéter cette attente comme un mantra garant de lendemains.
Souvent, d’un billet ou d’un
récit à l’autre, entre l’une ou l’autre des neuf « saisons » du
recueil, je me suis demandé à quelle heure de la vie arrive la belle et bonne
nostalgie, à l’opposé de la langueur et de la tristesse qu’elle évoque. Est-ce celle
où, enfant, on se rend seul à l’école de l’abc et des 1-2-3? Ou quand un
premier être cher décède? Lorsqu’on est obligé de faire un choix, le premier
d’entre tous qui portera à conséquence? J’ignore quand la nostalgie débarque
dans nos vies, mais il me semble que l’écrivain en a parsemé un grain ici, un
autre là, à la volée, pour que le livre en compose un bouquet complexe comme
peut l’être la vie.
J’avoue qu’en glanant au hasard un
mot, une phrase, une figure toute littéraire ou une image empruntée à une
réalité magnifiée, tous si présents dans ces récits, les premières paroles de La bohème, une chanson de Charles
Aznavour à la mode en 1965, me sont revenues : « Je vous parle d’un
temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Certes, on nous
les sert tout le temps ces mots, et c’est là le drame, car il y aura toujours
un avant, bien réel celui-là, faisant face à un présent approximatif et à un
futur interrogatif qu’il faut connaître ou imaginer.
Les événements qui inspirent
Jacques Boulerice, parfois de façon particulaire, sont bel et bien inscrits
dans le temps et dans l’espace, un truisme en littérature trop souvent négligé
par la critique. Le génie de l’auteur consiste alors à les propulser dans une
éternité rassurante, même quand elle est tout en points d’interrogation. Je
relis « Le dos large d’un parapluie » qui pourrait être une anecdote badine
vite oubliée, je constate que le regard qu’y pose le poète en l’enclavant dans
son univers transforme la banalité de ce non-événement en un microcosme que
chaque lecteur peut réinventer à sa guise.
Dans ma voiturette d’enfant ne serait pas de l’authentique
Boulerice sans quelques détours dans le giron familial, celui d’Urgel et
d’Alice, sa mère et sa tante décédée à 105 ans, celui de ses fils et
petits-enfants, sans oublier l’infatigable amoureuse. Comme je ne cesse de le
répéter, l’écrivain qui fait passer des bribes de sa vie à la créativité de la
fiction réincarne ces êtres dans une autre dimension, celle où on ne meurt
jamais autrement que par l’oubli ou le silence du possible lectorat.
Retardons-le en visitant les pages de cet authentique carnet.