jeudi 29 juin 2017

Jean-Paul Dubois
Si ce livre pouvait me rapprocher de toi
Paris, Seuil, coll. « Points », 2000, 224 p., 12,95 $.

Se faire tout un cinéma

Littérature et cinéma sont, depuis longtemps, des partenaires d’œuvres artistiques, du multimédia avant l’heure. J’ai récemment vu Le fils de Jean, une production franco-québécoise du réalisateur Philippe Lioret inspirée de Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, de l’écrivain français Jean-Paul Dubois. Marqué autant par la trame que le jeu des acteurs — je rappelle que Gabriel Arcand a remporté le prix de la Meilleure interprétation, Premier rôle masculin pour son rôle de Pierre dans ce film lors du gala de Québec Cinéma 2017 —, j’ai profité de vacances européennes pour lire le roman.




On ouvre le livre et nous voilà dans l’univers de Paul Peremülter. Héros et narrateur du récit, c’est lui le « me » du titre, celui qui écrit le « livre » qui, espère-t-il, le rapprochera de son père décédé au Québec. Fulbert Peremülter y passait 2 mois par année pour y pêcher tout son saoul et il s’est noyé lors d’un séjour sans qu’on retrouve son corps.
Paul a 48 ans. Divorcé d’Anna Davenport, il est l’auteur de plus d’une douzaine de romans. Il n’a pas d’enfant, car, selon les médecins, son sperme n’a pas les qualités requises pour assurer sa paternité. Au mi-temps de sa vie, il part pour l’Amérique où il va vivre de divers boulots. Les lieux du Canada ou des États-Unis et les gens qu’il rencontre influencent sa réflexion existentielle. C’est le cas du riche floridien paranoïaque qu’il va abandonner dans une foule, ou de cet autre qui a tout quitté pour vivre sur une île isolée après qu’un bête accident lui a ravi sa femme et leur enfant.
Il a aussi côtoyé Wymore et Ickles qui ont lynché un Noir sans qu’il ait décelé leur racisme congénital. Troublé par cet événement, il vient au Québec rencontrer Jean Ingersöll, un ami d’enfance de son père avec qui ce dernier venait pécher.
Sans être tout à fait celui du film, ce Jean accompagne Paul dans la quête de son père qui le mènera au-delà de ses inquiétudes et de ses espoirs mal définis. Dubois a recours à la double narration pour nous rapprocher de sa pensée : une voix hors champ qui s’adresse à Paul plutôt qu’aux lecteurs, une voix qui est celle de Fulbert Peremülter vilipendant son fils comme celui-ci le souhaite secrètement.
Un jour, Jean projette de vieux films super-8 sous les yeux étonnés de Paul. C’est ainsi qu’il apprend pourquoi son père tenait tant à sa visite annuelle en Mauricie: il y avait une autre famille. Paul a une sœur, Linda, qu’il viendra à rencontrer.
Ayant loué le chalet où Fulbert avait ses habitudes, Paul explore les environs et rencontre un couple de chasseurs-pêcheurs dont le sang-froid devant le corps d’un animal transpercé d’une flèche d’acier ajoute à son trouble intérieur. Il s’isole de plus en plus, allant jusqu’à s’aventurer dans ce qu’on appelle « les bois sales », une forêt d’une telle densité que personne n’ose s’y risquer.
Il s’y hasarde donc, car, selon lui, mettre ainsi sa vie en péril est un ultime geste initiatique qu’il souhaite, intérieurement, être une libération de toutes ses craintes, de toutes ses peurs et de tous ses regrets. Les temps forts et cruels de ces deux semaines d’aventure dans un univers inconnu sont racontés sans artifices, nous permettant d’entrer littéralement dans l’esprit et le cœur de Paul. On comprend alors que son ultime but est de devenir le héros de son père.
Les aventures qu’il relate depuis son départ de Toulouse forment la trame du livre qui, souhaite-t-il, le rapprochera de son père et lui permettra de tisser les liens qui lui avaient échappé jusqu’alors. Ce n’est d’ailleurs pas en vain que J.-P. Dubois fait référence à la littérature, ici et là dans son récit, à son pouvoir d’évocation et à son impuissance de toujours transformer l’imaginaire en réalité.

Un film tiré de la littérature m’a rarement déçu, car je crois qu’il n’est que le résultat de la lecture du cinéaste qui n’est pas nécessairement la même pour tous. C’est pourquoi, sans attente, j’ai été ravi par la trame de Si ce livre pouvait me rapprocher de toi et le style vif de l’écrivain qui nous entraînent dans l’intimité du cœur et de l’esprit de ses personnages.

jeudi 22 juin 2017

Max Férandon
Hors saison
Québec, Alto, 2017, 168 p., 20,95 $ (papier), 13,99 $.

Un peu, beaucoup, à la folie

Le romancier Max Férandon, après Monsieur Ho (2008) et Un lundi sans bruit, nous propose Hors saison, toujours chez Alto, la maison phare d’Antoine Tanguay installée dans la Capitale nationale.
Après un séjour en Chine, puis à Saint-Priest-la-Brume, un « petit coin de Creuse, un mirage suspendu, une miette de l’Hexagone », l’auteur installe une ribambelle de personnages en plein cœur de Québec et leur fait vivre une succession de péripéties qui m’ont semblé être de l’ordre du polar culinaire, nouveau genre s’il en est.




Rien de fade au goût d’Antoine Paradis, chef réputé devenu végétarien et conseiller culinaire auprès de diverses sociétés, dont des lignes aériennes qui souhaitent attirer la clientèle avec une valeur ajoutée à leur menu en vol. Paradis a bonne réputation dans le milieu, hormis pour Boilard, le redoutable critique culinaire qui a souvent assassiné ses plats.
Le chef connaît tout du quartier où il habite, et tous connaissent le maître queux dans ce microcosme de société avec restos, estaminets, librairie, caisse pop et même « Au Bonheur de Noël », une boutique célébrant le commerce qu’engendre cette fête l’année durant. Un matin, l’étalagiste Laurie-Ann fait une macabre découverte : Jacques Jodoin, le préposé à l’entretien, git sur le plancher de la boutique. Policiers et ambulanciers s’amènent, constatent le décès du pauvre homme et nous lancent dans l’enquête qui va être menée jusqu’à la fin du roman.
Marina Duhaime, la chef aux enquêtes spéciales, et son adjoint Bienville héritent du dossier. Outre Laurie-Ann, l’inspectrice doit interroger le propriétaire, le comptable et le personnel d’« Au Bonheur de Noël » pour connaître leurs occupations au cours des dernières heures, mais aussi pour évaluer leur façon de voir le défunt. Toutes et tous ont un alibi, et avouent connaître peu ou pas Jodoin puisqu’il travaillait de nuit.
Et Antoine Paradis? Il a connu Jodoin à l’époque où ce dernier était plongeur dans un resto et le chef n’a de lui que de bons souvenirs. Cependant, écoutant la rumeur du quartier après deux semaines d’une enquête qui tourne en rond, il croit de son devoir de contacter Marina Duhaime et de lui faire part de ses observations, car il ne peut pas croire qu’on a assassiné un si vaillant garçon.
Inutile de dire que la policière n’a rien à faire des bonnes intentions du chef Paradis, mais, puisque sa mère écoutait autrefois l’émission de télé de ce dernier et qu’elle doit faire avancer ses recherches, elle accepte de le rencontrer. De discours en palabres, l’improbable duo Duhaime-Paradis se forme, sous condition de respecter les règles que le travail de la détective impose.
Ce sont les personnages imaginés par Férandon qui vont lever le voile sur cette triste histoire qui devient de plus en plus drolatique au fur et à mesure que l’auteur précise le contour de leur personnalité. Outre les gens d’« Au bonheur de Noël », il y a le critique Boilard, déjà mentionné; Bill O’Neil, employé de la tabagie Latulippe, « centre névralgique du Vieux-Québec » où Paradis s’informe des racontars et ouï-dire; et l’octogénaire Samuel Gingras, propriétaire de la librairie La Romancerie; Claudia Gervais, directrice des comptes à la caisse pop du quartier; etc.

L’intrigue de Hors saison me semble bien ficelée, sur fond d’humour et d’abus de figures de style, dont les calembours remarqués dans le précédent opus qui sont ici décuplés. Comme le veut le dicton populaire « trop, c’est comme pas assez », surtout qu’ici ce trop est synonyme d’euphémisme. Certes, le ton est léger, la trame cohérente et les personnages, ma foi, des archétypes caricaturaux. Suffit-il de passer un bon moment littéraire pour qu’un roman soit encensé, même s’il souffre de quelques faiblesses dont une logorrhée verbale? Surtout, ne gâchez pas votre plaisir et aventurez-vous dans l’univers déjanté que Max Férandon nous propose sur un air d’été et de vin rosé.

mercredi 14 juin 2017

Yvan Lamonde, Marie-Andrée Bergeron, Michel Lacroix et Jonathan Livernois
Dictionnaire des intellectuel.les au Québec
Montréal, PUM, coll. « Corpus », 2017, 348 p., 49,95 $.

Histoire des malaimés

Peut-on dire que les intellectuels sont des damnés de la terre québécoise? Question de perceptions ou de préjugés, on se méfie trop souvent de ces gens qui donnent l’impression d’être au-dessus de la mêlée populaire. Pourtant, toute société démocratique a un réel besoin des réflexions de ces femmes et de ces hommes pour discuter et faire évoluer sa pensée sociale, politique, culturelle et plus. C’est ainsi que quatre d’entre eux, issus du milieu universitaire — Y. Lamonde, M.-A. Bergeron, M. Lacroix et J. Livernois —, se sont adjoint une solide équipe d’auteurs pour écrire cet indispensable Dictionnaire des intellectue.les au Québec.
Cet essai s’appuie sur une longue réflexion, de nombreuses discussions et d’intenses négociations pour fixer le cadre de leur recherche et, de là, le contenu de l’ouvrage. Il mérite ainsi que tous celles et ceux qui s’intéressent à l’évolution de la pensée d’ici prennent le temps de consulter les « 137 entrées exhaustives » qui le composent.




Certes, il n’y a ni diplôme ni certification attestant qu’une personne est un intellectuel, mais on considère généralement que les individus « dont la profession comporte essentiellement des activités de l’esprit » sont de facto des intellectuels. On pense aux universitaires, aux écrivains, aux philosophes et à d’autres acteurs de la scène publique, sans distinction de genre.
Il aurait été impossible aux auteurs de constituer un dictionnaire rendant justice à cette armada de penseurs sans dépasser les limites du bon sens de publier leur travail en un seul livre de dimension raisonnable. C’est pourquoi ils se sont donné des règles strictes pour établir qui allaient être les candidates et candidats qui y seraient inscrits.
Il y aurait d’abord des individus, mais aussi des mouvements sociaux ou littéraires et même des périodiques considérés comme des phares par et pour certaines générations, du 18e au 21e siècle.
Ils ont, bien sûr, défini ce qu’était « l’intellectualisme » de ceux qui allaient constituer leur corpus selon des « considérations théoriques, historiques et éthiques ». Allant plus loin dans l’expression de leurs choix, ils ont mesuré ou pondéré « l’importance de chaque personne ou phénomène collectif » et les ont catégorisés en trois blocs leur consacrant 500, 1000 ou 1500 mots selon l’influence de chacun.
Un des premiers constats des auteurs fut le peu de place que les femmes semblent avoir occupée dans le milieu intellectuel. « La fin du 19e voit enfin une première cohorte de femmes investir l’espace public et y tenir un discours médiatisé […] Par le journalisme, la fiction et l’essai, ainsi que la création d’associations féminines (…) puis la lutte politique pour l’égalité des droits (dont celui de vote), les femmes négocient leur "contournement" de l’assignation patriarcale à la sphère domestique et au rôle de mère ou d’épouse. » Les premières d’entre elles à être ainsi reconnues ont pour nom Joséphine Marchand, A.-M. Huguenin (Madeleine), Robertine Barry et, plus tard, Fernande Saint-Martin et Nicole Brossard pour ne nommer que celles-là.
J’ai consacré de longs moments, au demeurant fort éducatifs, à découvrir les 137 entrées du Dictionnaire des intellectue.les. Je l’ai consulté simplement d’une lettre à l’autre ou, plus historiquement, d’une entrée à une autre, chacune m’appelant à faire des liens entre elles pour dégager les tendances d’une époque ou d’un mouvement idéologique.

On ne peut que saluer le travail remarquable de l’équipe ayant réalisé cet ouvrage de référence qui résume de façon circonstanciée l’histoire des femmes et des hommes dont l’engagement intellectuel, social, artistique ou politique a fait la société québécoise d’aujourd’hui, ce qui nous permet d’établir des relations égalitaires avec d’autres sociétés.

mercredi 7 juin 2017

Elizabeth Wilhide
Tout sur le design
Montréal, Hurtubise, 2017, 578 p., 39,95 $.

Esthétique pratique, pratique de l’esthétisme

Je vous ai amené, fin février, dans l’univers de Julien Hébert, père du design moderne au Québec. Depuis, j’ai eu diverses occasions de constater à quel point le souci de donner cette plus-value à des objets utilitaires du quotidien, comme à des projets de grande envergure, permettait à ces créations de dépasser leur seule utilité. Ainsi, on observe le souci d’une esthétique au quotidien, d’une pièce de mobilier à l’architecture du nouveau pont Champlain en passant par les ordinateurs ou les cellulaires.
Mon intérêt pour l’harmonie et la beauté environnante a été de nouveau interpelé par le livre de Elizabeth Wilhide, Tout sur le design, sixième titre de la collection encyclopédique «Tout sur» publiée, en traduction, par Hurtubise.




Le livre lui-même, de son aspect purement visuel (mise en page, typographie, illustrations, etc.) à l’organisation de sa riche matière, interpelle le lecteur, suscite son intérêt et retient son attention page après page. Du moins, c’est ce que j’ai ressenti.
L’introduction, incontournable ici, balise les significations du mot design en en donnant diverses applications et des exemples élaborés plus loin. Cela nous permet de faire un déblayage des idées reçues sur le sujet et d’être plus attentifs à l’enseignement que l’ouvrage prodigue.
Le sujet étant très vaste et l’auteure n’ayant pas la prétention d’en épuiser la matière, elle l’a développé en s’appuyant sur l’ordre chronologique, de la naissance et de l’évolution du design, le divisant en six périodes: l’émergence du design (1700-1905), l’ère des machines (1905-1945), l’identité et la conformité (1945-1960), le design et la qualité de vie (1960-1980), la contradiction et la complexité (1980-1995) et l’ère numérique de 1995 à aujourd’hui.
N’y a-t-il pas eu un souci minimal d’esthétique avant le 18e siècle? Qu’il suffise d’évoquer les fresques ornant la grotte de Lascaux, en France, qui datent de l’ère du paléolithique, et l’on comprend que le souci de beauté a toujours transcendé l’utilitarisme des objets comme des lieux. Cependant, la constance d’une telle préoccupation est venue plus tard, à l’époque de la révolution industrielle des années 1700, alors que la vie quotidienne n’était plus uniquement occupée à satisfaire les besoins primaires.
Les deux premiers siècles de l’ère industrielle permirent notamment la transformation de matériaux en usine, tel le bois cintré, et la production en série. L’auteure précise qu’« en 1835-1836, un rapport de la Commission parlementaire des arts et des manufactures de Grande-Bretagne révèle que la France, l’Allemagne et d’autres pays concernés par la production manufacturière soutiennent et encouragent "l’art du design" et "les bons principes du goût." »
Les années 1900-1945 sont marquées par une révolution du design et de ses champs d’application. Mentionnons le Bauhaus, la mythique école de design allemande, l’Art déco ou les préoccupations esthétiques des fabricants d’électroménagers pour voir poindre la modernité des après-guerres.
Conséquences positives de ces horribles conflits, les multiples reconstructions sur le territoire européen et l’éveil à l’esthétique de nouvelles applications. Par exemple, le graphisme, qui s’est trouvé de nouvelles fonctions au fil de la découverte de techniques, ne cessera de se développer au point où il est aujourd’hui un des principaux partenaires des nouvelles technologies.
Je pourrais multiplier les secteurs de l’activité humaine sur lesquels le design a eu et a toujours une influence majeure, sinon déterminante. Je vous suggère plutôt de lire Tout sur le design dont Elizabeth Wilhide a dirigé la rédaction, ce qui vous permettra de documenter et d’enrichir votre compréhension du rôle que le design joue dans nos vies quotidiennes.