Mark Fortier
Devenir fasciste : ma
thérapie de conversion
Montréal, Lux, 2025, 144 p.,
24,95 $.
Vaut mieux en rire… jaune
J’écris ces lignes un rare lundi matin ensoleillé. Si le soleil brille de tous ses feux sur un ciel bleu azur, la planète économie brûle de toutes ses bourses depuis que le pyromane en chef s’amuse à allumer des incendies partout sur terre, même sur une île où vivent de pauvres manchots solitaires.
Heureusement pour nous, le sociologue et éditeur Mark Fortier nous invite, sur le ton de l’ironie et du sarcasme, à Devenir fasciste en exposant sa thérapie de conversion. Je résume le propos de son essai en suggérant de regarder l’état actuel de l’univers par l’autre bout de la lorgnette, comme s’il était possible de voir l’envers de ce monde et d’imaginer que nous l’observons du point de vue de l’avaleur de feu, tout en appliquant cette règle d’économie 101 : « If you can’t beat them, join them ».De prime à bord, changer ainsi de
camp peut sembler contreproductif pour quiconque souhaite ardemment éteindre le
brasier. Mais, quand on y réfléchit plus sérieusement, on réalise que le feu de
l’extrême droite couvait depuis des décennies et qu’il suffisait de craquer une
allumette ou même de souffler sur les braises dormantes pour que tout s’enflamme.
L’incendie minait les démocraties
petit peu par petit peu. Les pays libres n’avaient pas prévu un service
incendie capable de répondre à la pire, à la plus vaste déflagration. Surtout
pas que l’explosion vienne de la plus grande économie qui soit.
Cela dit, que fait-on? Mark
Fortier en convient : « Que de plaisir j’aurais eu à tenir quelques
années encore mon modeste rôle d’esprit libre sur la scène de la vie!...
Franchement, s’il n’en avait tenu qu’à moi, j’aurais placé ma vie sous la production
de la loi de l’inertie… » Mais comment faire semblant quand la démocratie
vacille en faveur de l’extrême droite un peu partout sur la planète : en
Italie, en Argentine, en Hongrie, en Inde, en Suède, en Italie, en Turquie, même
en France et maintenant aux États-Unis? L’exemple des politiques de Meloni en
Italie et d’Orbán en Hongrie que l’auteur rappelle est aussi vrai que
déconcertant.
Ce qui peut surprendre encore,
c’est l’empressement des personnes les plus riches de capituler devant le
nouveau maître de la Maison-Blanche et de son attenance de Mar-a-Lago.
Contrôlant les nouvelles techniques de l’information à l’échelle planétaire,
ils s’assuraient ainsi de confirmer leur toute-puissance et d’avoir un allié de
taille si certains pays voulaient leur imposer de quelconques redevances. Et je
ne parle pas ici d’Elon Musk, une institution à lui seul.
Dans ce sympathique contexte,
l’essayiste choisit de se ranger du côté des puissants et de devenir fasciste
en nous expliquant en quoi consiste sa thérapie de conversion, cette expression
à la mode, mais dans de tout autres contextes.
« La première étape de la
thérapie de conversion au fascisme, c’est le lâcher-prise. Le sujet doit
s’ouvrir intérieurement au changement, laisser agir en lui la peur,
s’abandonner aux petites lâchetés et aux compromissions opportunes. Cela ne va
pas de soi. Heureusement, des personnalités exemplaires nous montrent comment
on peut accepter le changement par degrés, subrepticement, sans coup d’éclat. »
Pour effectuer un changement
aussi radical, l’essayiste doit d’abord être en informer les siens. Le chapitre
intitulé « Heil Romane! » s’adresse à sa fille à qui il donne le
cours d’histoire "fascisme 101". Tour d’horizon des pays où le
totalitarisme fait loi, d’hier avec Mussolini à aujourd’hui avec les dirigeants
mentionnés précédemment. Un peu d’ironie pour détendre l’atmosphère : les
techniques du salut fasciste et le port de la chemise brune. Plus sérieusement,
l’interdit du fascisme politique imposé dans certains pays d’Europe est une loi
peu ou pas appliquée.
« La nature apparemment
insaisissable du fascisme autorise plusieurs analystes à douter de la réalité
d’une version contemporaine de cette doctrine. Ceux-ci soulignent notamment
l’absence, dans les mouvements analogues d’aujourd’hui, de ce qui a jadis tenu
lieu d’identité du fascisme : la culture du combat et de la
violence. » Certes l’état d’esprit belliqueux du fascisme pur et dur n’est
peut-être pas en activité, mais il veille sous le boisseau. Pensons entre
autres à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021.
La droite radicale est peut-être
ce qu’il y a de plus près du fascisme, car elle « veut réduire les impôts,
elle poursuit des politiques d’austérité, supprime les barrières
réglementaires, soumet les communautés aux froids calculs de l’intérêt et aux
impitoyables conditions de la compétition entre les entreprises. » De
plus, partout « nous assistons à l’avènement d’une "démocratie de
mise en scène", spectaculaire, télévisuelle, instagrammable, qui conserve
les rituels de la méthode démocratique sans son idéal. Une démocratie sans
démocratie. »
Bref, l’être « sans dessein
intellectuel qu’est la personnalité autoritaire n’est, hier comme aujourd’hui,
que la figuration politique d’une société démocratique privée de
substance. » « Les leaders populistes sont pour la plupart des figures
carnavalesques. Ils n’ont pas un caractère héroïque. Ils affichent sans
complexe leur grossièreté, leur forfanterie, leur fourberie, leur indécence…
Ils prennent la réalité à rebrousse-poil, inversent toutes les significations,
se permettent toutes les provocations. Les ressorts habituels de la raison et
de sa critique n’ont pas d’emprise sur eux. »
M’est-il nécessaire de préciser
que ces observations et bien d’autres formulées dans l’essai conviennent
parfaitement à l’actuel président états-unien, dont l’essayiste trace un
portrait aussi grotesque que le personnage lui-même et de sa façon erratique
d’exercer le pouvoir.
Le titre des chapitres suivants
de Devenir fasciste : ma thérapie de conversion parlent d’eux-mêmes
– l’étrange agonie du démocrate, les libertariens ou les vertus de l’égoïsme,
on les pendra avec leur langue et la dictature – et nous guide vers
l’impossibilité de devenir fasciste à laquelle l’auteur en arrive, trop de
conditions inhérentes à ce totalitarisme lui étant impossible à respecter,
particulièrement de s’isoler de ses semblables pour se concentrer sur son
unique lui-même.
« Bien entendu, ce "journal
de conversion" est une satire, un pamphlet cinglant et comique qui s’en
prend aux fascistes, mais en premier lieu à tous ceux qui ont laissé la
démocratie se dissoudre. L’auteur s’y compose une psyché autoritariste et
s’efforce d’adhérer avec enthousiasme aux convictions de la droite radicale. Il
offre surtout un portrait saisissant de la dégradation de nos institutions et
une description affligeante de ce qui point lorsque l’on cesse de résister.
Heureusement, la thérapie échoue, laissant tout de même ce qu’il faut de raison
pour ne pas céder entièrement au désespoir. »
Lire Devenir fasciste :
ma thérapie de conversion, l’essai de Mark Fortier, est non pas une
thérapie de conversion stricto sensu, mais une bonne dose d’un remède inscrit
au compendium de tous les apothicaires, voire des disciples d’Esculape :
l’ironie. Croyez-moi, cela fait le plus grand bien en nous insufflant une
énergie nouvelle.
Si cette lecture ne vous suffit
pas, je vous suggère Le cas Trump : portrait d’un imposteur
(Écosociété, 2025), un essai d’Alain Roy, qui entre littéralement dans l’antre
de la bête.
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