François Désalliers
Le surveillant
Montréal, Druide, coll.
« Alinéa », 2025, 360 p., 27,95 $.
La vie étourdissante de Samuel Paquin
Un livre qui retient notre attention ne signifie pas qu’on suivra chacun des projets suivants de l’auteur. Il arrive cependant qu’une nouvelle création apparaisse sur le radar lecture et que l’argumentaire de l’éditeur donne envie de renouer avec l’écrivain.
Cela m’est récemment arrivé avec
un nouveau roman de François Désalliers, Le surveillant. J’ai de bons
souvenirs de L’homme-café (2004) et Un été en banlieue (2006),
deux de ses précédents récits.
Aussi bien le dire d’entrée de
jeu : Le surveillant est une histoire dont la trame est menée de
main de maître tout au long de ses 355 pages. Un « page-turner »,
comme on dit dans le jargon littéraire. Au cœur du récit, le personnage de
Samuel Paquin, alias Sam, le surveillant du titre qui veille sur le
stationnement de la mairie d’une ville de banlieue. Outre le personnel cadre et
quelques autres employés de la municipalité, il y a les contribuables qui
passent pour diverses rencontres avec des gestionnaires de services.
Sam est d’une ponctualité
métronomique. Tous les matins, il arrive au travail, va ranger son lunch dans
le frigo de la cafétéria du personnel et salue Béatrice Ntoumi, l’agent de
sécurité d’origine congolaise avec qui il est d’excellents rapports. Après
avoir enfilé la veste fluorescente, il intègre son poste et s’assure que les espaces
réservés aux cadres sont libres et que ceux des gens de passage sont libres,
sauf pour le temps alloué. Il doit aussi s’assurer qu’aucun autre véhicule ne
se gare.
Il accueille quotidiennement la
directrice des ressources humaines, Élaine Trudeau, dite ET, une femme d’humeur
généralement massacrante. Puis, c’est l’arrivée de Ginette Bourdon, DG de la
ville; on apprend au fil de l’histoire qu’elle est la conjointe de Luc Boutin,
député et ministre, et mère de Marc. Il y a aussi Victor, l’informaticien, un
homme discret et d’agréable commerce, avec qui Sam aime bavarder.
On découvre rapidement l’habitude
de Sam de se saisir d’une remarque ou d’un avis et d’en faire une description
détaillée, sans donner l’impression qu’il fait étalage de son savoir; il
s’approprie ainsi un élément d’une conversation pour le situer dans le temps et
dans l’espace, comme s’il se parlait à lui-même.
Sam est un solitaire. Outre Lucie
Bernier, la propriétaire du duplex où il habite avec qui il a une relation
quasi filiale, il voit peu de gens en dehors du travail. Grand lecteur, il passe
beaucoup de temps à alimenter ses connaissances. Il faut dire que la vie de Sam
n’a pas été un long fleuve tranquille, lui qui, enfant, a perdu ses parents et
son frère dans un accident de la route, et que ses grands-parents ont veillé à
son éducation.
Après des études en théâtre, il a
accumulé les petits rôles durant sa vie active. Retraité de 65 ans, son emploi
de surveillant lui permet de joindre les deux bouts sans inquiétude. Un jour
qu’il est au travail, Rachel, une ancienne camarade d’études et une amoureuse
du moment, passe le saluer. Selon Sam, Rachel l’a quitté pour faire un voyage à
l’étranger et ils ne se sont jamais revus depuis. Elle lui parle de sa fille
Laura, de son petit-fils Thomas et de Patrick Paquin, le père de ce dernier qui
fut, comme lui, surveillant du stationnement avant de disparaître inopinément. Cette
situation convient à Rachel qui n’a jamais eu d’atomes crochus avec son gendre,
mais il n’en va pas de même pour Laura qui ne s’est jamais remise de cette
disparition et qui croit que les forces de l’ordre ont bâclé l’enquête pour le
retrouver.
L’histoire de Patrick Paquin a
fait grand bruit, car qu’il travaillait alors pour la municipalité. Le soir, il
peignait, son art avait une certaine réputation, sans suffire à faire vivre sa
famille.
Pourquoi Rachel raconte-t-elle
cela à Sam? Chose certaine, c’est là que les péripéties se mettent à dévaler à
vitesse grand V, à peine ralenties par le rythme de vie hyper structuré de Sam.
Nous nous habituons à ce curieux personnage au fil de l’évolution de la trame
évolue et que le mystère qui semble l’auréoler s’élucide. Je ne souffle mot de cette
énigme, sinon que Désalliers fait preuve d’ouverture d’esprit et d’humanisme à
l’égard des gens « différents » en ayant créé le personnage de Sam et
d’en avoir fait le héros du roman.
Outre le va-et-vient régulier
dans un stationnement d’hôtel de ville, les citoyens qui tentent de s’y garer
sans raison ou les étudiants qui le traversent en faisant les pitres, le
travail de Sam convient, malgré le froid de l’hiver ou la chaleur estivale que l’ilot
de verdure dissipe légèrement. Ce qui le trouble cependant, c’est ce qu’il
entend au sujet des précédents surveillants qui, outre le disparu Poulin, se
sont succédé sans raison apparente.
Il faut dire que Laura a tenu à lui
raconter de vive voix la disparition de Patrick, parvenant à le convaincre Sam de
l’aider à résoudre cette énigme; elle lui confie même tous les documents
qu’elle a amassés sur cet événement. Entre-temps, Rachel lui a révélé la
véritable raison de leur rupture et de son un hypothétique voyage : elle
était enceinte de lui, Laura est sa fille et Thomas, son petit-fils.
L’accumulation des événements et,
conséquemment, des péripéties ne confond pas le lecteur, puisque les mêmes
personnages sont impliqués dans la majorité d’entre eux.
Sam, sensible aux arguments de
Laura – est-elle sa fille ou non? –, s’est mis en tête de reprendre l’enquête
où les policiers l’ont abandonnée. Avec l’aide de Lucie, sa propriétaire qui le
considère comme son fils, il affiche sur le mur de sa cuisine une arborescence des
informations connues sur l’histoire de Patrick Poulin, avec les photos et des
articles tirés des journaux de l’époque, pour tenter de voir clair à travers
ces données.
Comme si cela ne suffisait pas,
Sam pose des questions à ce sujet à Béatrice, la gardienne de sécurité, et à Victor,
l’informaticien. Il visite aussi un bar-resto où le disparu avait ses habitudes
et questionne le personnel. Il ose même interroger ET qui le rabroue en lui
disant que la disparition était chose du passé et que les policiers avaient
conclu à un geste volontaire puisque le couple Meunier-Poulin battait de
l’aile.
Plus Sam pose de questions, plus cela
énerve certaines gens. Un jour, rentrant chez lui, un pick-up le renverse sans
s’arrêter. Amener d’urgence à l’hôpital en compagnie des policiers, Sam apprend
qu’il a non seulement été frappé, mais qu’il a fait une crise cardiaque au même
moment. Sans cet accident, il n’aurait peut-être pas survécu à ses ennuis
cardiaques qui étaient graves au point qu’il a dû être opéré.
Croyant pouvoir identifier le
conducteur de la camionnette grâce à une toile peinte par Poulin qu’il a vue
chez Laura, il en informe les détectives chargés de l’enquête : il s’agit,
selon lui, du député-ministre Boutin, l’époux de la DG de l’hôpital. Cela
n’arrange rien, car enquêter sur un élu, ministre en plus, n’est jamais simple.
Dans ce dossier, Luc Boutin a un alibi en béton et cette piste est vite
oubliée. C’est la journaliste Natasha Lévis qui vient en aide à Sam lorsqu’il
la rencontre pour lui demander des informations sur la disparition, qu’elle lui
précise certaines d’entre elles et en ajoute de nouvelles jamais divulguées.
Plus les péripéties évoluent,
plus le mystère semble s’épaissir. Ce sont là des nuages temporaires, car le
romancier sait bien nous tenir en haleine en faisant converger les différentes
pistes que les enquêtes – celles des forces de l’ordre, de Sam et ses amis – explorent
dans une seule et même direction visant à résoudre l’énigme entourant la
disparition de Patrick Poulin. À cela s’ajoute la disparition de Béatrice
Ntoumi, sans oublier l’accident de Sam lui-même et une certaine Pauline Lavoie,
dite la muette, qui de surveillante du stationnement est devenue femme de
ménage de l’hôtel de ville.
Plus Samuel Paquin amasse de
nouvelles preuves, plus il bouscule les gestionnaires de la ville, plus ces
derniers perdent patience, si bien qu’un jour ils le renvoient. Le libellé de
la lettre de congédiement est plein de faux prétextes et prouve, d’une certaine
façon, que Sam a compris leur stratagème. Il manque un élément clé aux preuves
accumulées, une donnée qui peut se trouver dans l’ilot de verdure. Il lui faut
convaincre les corps policiers, municipaux et provinciaux, de la nécessité de
fouiller ce lieu.
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