Anne-Marie Beaudoin-Bégin
La langue affranchie,
se raccommoder avec l’évolution linguistique
Montréal, Somme toute, coll. « Identité », 2017,
128 p., 14,95 $.
La langue : un
chaos glorieux
Qui
sommes-nous, aujourd’hui, pour croire que l’état de la langue actuel est la
perfection, et que tout changement ou toute simplification est nécessairement
une dégradation?
Après La langue rapaillée : combattre l’insécurité linguistique des
Québécois qui a fait jaser les geôliers de notre langue, la linguiste
Anne-Marie Beaudoin-Bégin s’en prend à nouveau à une conception étroite du
français dans La langue affranchie, se
raccommoder avec l’évolution linguistique. S’il se trouve ici quelques
redites, c’est pour mettre en perspective les éléments qui ont marqué l’évolution
de sa réflexion sur la langue et les risques qu’elle a observés qu’elle s’enlise
dans le non-dit.
Première constatation : la
variation linguistique dépend de l’âge, du lieu, de la classe socio-économique,
du moyen et de la situation de communication où une langue commune est
utilisée. Ainsi, le français des Belges, des Français, des Haïtiens, des
Québécois ou des autres territoires où il est parlé ne peut pas être exactement
le même, car « language isn’t a formal system; language is a glorious
chaos ».
L’auteure a observé, « au
fil de ses études », que quatre facteurs « agissent sur l’évolution
d’une langue : l’économie linguistique, les changements dans le milieu,
les contacts sociaux et les interventions humaines. »
Le premier agent vise à dire « le
plus de choses possible en déployant le moins d’effort possible ».
Le second est « souvent
perceptible dans les variations générationnelles ».
Puis, les contacts sociaux
soulignent que, dans les régions isolées de la mondialisation, divers aspects
de la langue ont changé.
Enfin, il va de soi que les
interventions humaines sont essentielles à son évolution, qu’elles soient
extralinguistiques (lois ou autres mesures d’aménagement linguistique) ou
intralinguistiques qui renvoient « aux arrêts des autorités langagières
qui décident, consciemment, de créer de nouveaux mots pour remplacer d’autres
jugés fautifs. »
Pour contextualiser son propos,
la linguiste rappelle à grands traits l’origine du français — « François 1er,
en 1539, a donc véritablement établi le français comme langue officielle»—– et évoque diverses
étapes de son évolution, dont celle où l’essentiel de ses règles a été dicté. On
comprend alors que la langue parlée était soumise aux lois de la langue écrite,
ce qui est toujours le cas, et que cela a entre autres effets d’encorseter son
évolution.
« Une langue est en danger
lorsque ses locuteurs arrêtent de la parler » parce qu’ils « sont
tous morts » ou qu’ils « ne peuvent plus espérer être heureux dans
cette langue. » L’anglais serait-il alors une véritable menace au français
comme l’italien le fut jadis? Mais, de quel anglais parle-t-on, sinon d’une lingua franca, « une langue
internationale, une langue véhiculaire » comme d’autres le furent à leur
époque? Dire que l’anglais est plus facile que le français, c’est oublier qu’il
peut être normal ou formal selon son usage, alors que le
français est essentiellement une langue écrite, dogmatique.
Comment alors rendre la langue
française attractive, attachante? L’auteure suggère « de libérer la langue
française de ses entraves héritées des siècles passés. On pourrait délivrer la
langue française de ses chaînes dorées qui l’empêchent d’évoluer. » Ne
concluons pas trop vite qu’il s’agit de jeter aux orties les codes qui
régissent l’usage du français, mais plutôt de les revoir en fonction du niveau
de langue employé, lequel est fonction du type de discours requis par la
situation. Par exemple, un pharmacien répondra différemment à une question si
elle vient d’un collègue ou d’un client.
Anne-Marie Beaudoin-Bégin conclut
que « la langue est avant tout un produit social, un magnifique monstre
illogique et subjectif. Un chaos glorieux. » Comme l’éminent linguiste et
lexicographe Alain Rey l’explique dans son remarquable essai historiographique L’amour du français (Points, 2009), elle
est « contre les puristes et autres censeurs de la langue » qui
pourraient en être les thuriféraires.
Personnellement, elle m'a permis d'être moins intransigeante et ne pas vouloir à tout prix que la langue parlée soit la même que la langue soignée.
RépondreEffacerEt à vous, merci de m'avoir appris le mot thuriféraire.
L'essai d'Alain Rey, dont il est question à la fin de la chronique, mérite d'être lu et réfléchi par quiconque s'intéresse à la langue française et la multiplicité qu'on lui refuse trop souvent.
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