mercredi 5 juillet 2017

Anne-Marie Beaudoin-Bégin
La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique
Montréal, Somme toute, coll. « Identité », 2017, 128 p., 14,95 $.

La langue : un chaos glorieux

Qui sommes-nous, aujourd’hui, pour croire que l’état de la langue actuel est la perfection, et que tout changement ou toute simplification est nécessairement une dégradation?

Après La langue rapaillée : combattre l’insécurité linguistique des Québécois qui a fait jaser les geôliers de notre langue, la linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin s’en prend à nouveau à une conception étroite du français dans La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique. S’il se trouve ici quelques redites, c’est pour mettre en perspective les éléments qui ont marqué l’évolution de sa réflexion sur la langue et les risques qu’elle a observés qu’elle s’enlise dans le non-dit.
Première constatation : la variation linguistique dépend de l’âge, du lieu, de la classe socio-économique, du moyen et de la situation de communication où une langue commune est utilisée. Ainsi, le français des Belges, des Français, des Haïtiens, des Québécois ou des autres territoires où il est parlé ne peut pas être exactement le même, car « language isn’t a formal system; language is a glorious chaos ».




L’auteure a observé, « au fil de ses études », que quatre facteurs « agissent sur l’évolution d’une langue : l’économie linguistique, les changements dans le milieu, les contacts sociaux et les interventions humaines. »
Le premier agent vise à dire « le plus de choses possible en déployant le moins d’effort possible ».
Le second est « souvent perceptible dans les variations générationnelles ».
Puis, les contacts sociaux soulignent que, dans les régions isolées de la mondialisation, divers aspects de la langue ont changé.
Enfin, il va de soi que les interventions humaines sont essentielles à son évolution, qu’elles soient extralinguistiques (lois ou autres mesures d’aménagement linguistique) ou intralinguistiques qui renvoient « aux arrêts des autorités langagières qui décident, consciemment, de créer de nouveaux mots pour remplacer d’autres jugés fautifs. »
Pour contextualiser son propos, la linguiste rappelle à grands traits l’origine du français — « François 1er, en 1539, a donc véritablement établi le français comme langue officielle»—et évoque diverses étapes de son évolution, dont celle où l’essentiel de ses règles a été dicté. On comprend alors que la langue parlée était soumise aux lois de la langue écrite, ce qui est toujours le cas, et que cela a entre autres effets d’encorseter son évolution.
« Une langue est en danger lorsque ses locuteurs arrêtent de la parler » parce qu’ils « sont tous morts » ou qu’ils « ne peuvent plus espérer être heureux dans cette langue. » L’anglais serait-il alors une véritable menace au français comme l’italien le fut jadis? Mais, de quel anglais parle-t-on, sinon d’une lingua franca, « une langue internationale, une langue véhiculaire » comme d’autres le furent à leur époque? Dire que l’anglais est plus facile que le français, c’est oublier qu’il peut être normal ou formal selon son usage, alors que le français est essentiellement une langue écrite, dogmatique.
Comment alors rendre la langue française attractive, attachante? L’auteure suggère « de libérer la langue française de ses entraves héritées des siècles passés. On pourrait délivrer la langue française de ses chaînes dorées qui l’empêchent d’évoluer. » Ne concluons pas trop vite qu’il s’agit de jeter aux orties les codes qui régissent l’usage du français, mais plutôt de les revoir en fonction du niveau de langue employé, lequel est fonction du type de discours requis par la situation. Par exemple, un pharmacien répondra différemment à une question si elle vient d’un collègue ou d’un client.

Anne-Marie Beaudoin-Bégin conclut que « la langue est avant tout un produit social, un magnifique monstre illogique et subjectif. Un chaos glorieux. » Comme l’éminent linguiste et lexicographe Alain Rey l’explique dans son remarquable essai historiographique L’amour du français (Points, 2009), elle est « contre les puristes et autres censeurs de la langue » qui pourraient en être les thuriféraires.

2 commentaires:

  1. Personnellement, elle m'a permis d'être moins intransigeante et ne pas vouloir à tout prix que la langue parlée soit la même que la langue soignée.
    Et à vous, merci de m'avoir appris le mot thuriféraire.

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  2. L'essai d'Alain Rey, dont il est question à la fin de la chronique, mérite d'être lu et réfléchi par quiconque s'intéresse à la langue française et la multiplicité qu'on lui refuse trop souvent.

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