Pauline Vincent
La femme de Berlin
Québec, Alire, coll. « Romans », 2017, 309 p.,
15,95 $.
Victimes ou boucs-émissaire?
Pourquoi accorder de l’importance
aux collections de livres en format de poche? Simplement parce que la tradition
veut qu’on y réédite des ouvrages ayant marqué le lectorat, voire le milieu
littéraire. Il en va ainsi du roman de Pauline Vincent, La femme de Berlin, lancé en 1999, un récit qui m’a échappé dans la
cohue des parutions. Laissons-nous prendre par le réalisme de cette histoire
fascinante.
La Saguenéenne Claire Grenier,
mère de Lydia, a épousé le comte Hanz von Ems, un noble allemand, et le couple
a eu un fils, Karl. Lydia est devenue une von Ems et a reçu l’éducation d’une
jeune fille de son rang. Il en fut de même pour son demi-frère: à peine sorti
de l’enfance, il est envoyé dans une grande école, loin des siens, ce qu’il n’a
jamais accepté jusqu’à vouloir leur en faire payer le prix.
L’Allemagne de 1939 vit sous le
régime nazi et les visées d’Hitler sont de plus en plus probantes. Le comte von
Ems envoie sa femme et leur fille en Amérique pour les protéger d’une guerre imminente,
alors qu’il est lui-même pris dans un tourbillon politique qu’il n’a pas
choisi. Claire et Lydia sont à Montréal lorsque le conflit éclate et deviennent
des victimes collatérales du nazisme, la GRC ayant sous sa loupe tous les Allemands
installés au Canada.
Il y a une autre raison au départ
précipité des femmes von Ems : Lydia était enceinte et son statut social interdisait
une grossesse hors mariage. Elle avait aussi un secret : elle a été
victime d’un viol commis par son demi-frère Karl et s’est refusé d’en parler.
La GRC croit que deux femmes et
un poupon sont plus susceptibles d’espionner que n’importe qui d’autre. Les
policiers débarquent un jour chez elles et c’est ainsi que débute un purgatoire
sociopolitique qui, leur semble-t-il, ne finira jamais. Se succèdent alors des
personnages qui auront entre les mains la destinée de Claire et Lydia.
Plus la trame se développe, plus
l’auteure en accélère le rythme, multipliant les péripéties et les coups de
théâtre, sans altérer le réalisme de l’histoire. Ainsi, Claire, Lydia et son
jeune fils Pierre sont gardés en détention jusqu’à ce que la Comtesse soit
victime d’un AVC et que les autorités poussent Lydia dans ses derniers
retranchements, exigeant qu’elle se mette à leur service pour protéger sa mère
et son fils. N’ayant pas d’autre choix, la jeune femme accepte que les deux
personnes qu’elle aime le plus soient envoyées chez une sœur de Claire, au Saguenay,
pendant qu’elle est cantonnée au camp X pour y recevoir une formation
d’espionne.
Je ne raconte pas tout ici, mais,
si comme moi vous vous laissez happer par l’histoire, vous serez vite captivés
et votre attention sera retenue jusqu’à la chute de ce roman de genre, comme on
dit des récits policiers ou d’aventures. Pauline Vincent a su créer des
personnages crédibles au fur et à mesure des temps forts du récit, sans jamais
égarer le lecteur dans des méandres trop tortueux. Je crois qu’elle a fait ses
devoirs en appuyant sa fiction sur des faits méconnus de l’Histoire, comme ce
camp de formation d’espions et la venue de sous-marins allemands dans le
Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay.
Ce dernier événement permet une
tournure des événements à couper le souffle, faisant alterner l’action de Lydia
à Karl, de Karl à Lydia jusqu’à la chute du récit après un climax digne des
grands films racontant la guerre 39-45. Et cela sans perdre un iota de son
réalisme.
Les éditions Alire ont fait un
choix judicieux en rééditant La femme de
Berlin, et Pauline Vincent peut compter, sans aucun doute, sur une nouvelle
génération de lecteurs qui découvriront son talent de romancière en apprenant
quelques pages de notre histoire pas toujours reluisantes.