Geneviève Blais
Une histoire dans une histoire
dans une
Montréal, Poètes de brousse,
coll. « Poètes de brousse », 2024, 104 p., 22,95 $.
La poésie n’a pas de frontières
S’il peut sembler plus simple d’observer l’évolution d’une œuvre picturale que littéraire, il n’en demeure pas moins que toute œuvre artistique profite généralement du passage des ans et d’une certaine maturité créatrice sans pour autant dénaturer son élan premier.
Cette réflexion m’est venue en
ouvrant Une histoire dans une histoire dans une, le sixième recueil de
Geneviève Blais. En exergue, une citation d’Elena Ferrante, femme de lettres
italienne : « Le temps est un souffle, pensais-je, aujourd’hui c’est
mon tour, dans un instant celui de ma fille, c’est arrivé à ma mère, à tous mes
ancêtres, peut-être cela était-il encore en train d’arriver à elles comme à
moi, simultanément, cela se pourrait. »
Ces mots appellent ceux de Blais
qui se les approprie dans les vers de trois poèmes – « Vienna »,
« Vives-eaux » et « Veiller » – lesquels s’harmonisent en
des images de femmes semblables dans leurs différences en se passant le témoin
invisible de l’existence dans une course à relai infinie.
Cela m’a rappelé La danse du
figuier (Mémoire d’encrier, 2021), premier recueil d’Emné Nasereddine, dont
l’intensité poétique de l’image de trois femmes hissées en haut du mat des
souvenirs faisant ainsi flotter les étendards de Téta, la grand-mère, de Fadwa,
la mère, et d’Emné, « la fille qui dit la tendresse de celles qui l’ont
précédé ».
La sororité des deux écrivaines se
poursuit un peu ici dans un décor semblable :« Elle s’est Vienna,
c’est la femme / qui connaît le sable et les tempêtes / qui
pioche des tunnels jusqu’à vos rétines // Elle veille les
vautours / qui tournent au-dessus de son corps. » Il en sera
tout autrement de l’image des hommes : « Les hommes
arrivent / ils érigent une charpente. // Ils agrippent
Vienna la traînent / la soulèvent entourent son cou / la
soulèvent les pieds sur le baril / la soulèvent tirent la
corde / la soulèvent son corps à la verticale. // La
laissent tomber. »
L’image forte de mère et de fille
prend une autre dimension dans « Vives-eaux », le second poème du
recueil. Lisez : « Des affiches sont placardées sur les murs d’un
village, une mère et son enfant sont recherchées. Les rumeurs ne parlent que de
ça : une marâtre, une damnée, une fascination. On dit que ça fait partie
de son ADN. » Cette vindicte populaire ne semble pas convenir au
personnage de la mère et de son enfant-fille, car l’aînée porte l’enfant dans
une nage longue et périlleuse dans les eaux d’une mer inhospitalière jusqu’à
une mangrove, tout aussi hostile. Leur survie compromise, que fera la mère?
« Elle couche son enfant-fille sur le dos, lui caresse doucement la tête.
Elle s’éloigne. Elle voudrait renoncer à son idée qui devient une obsession qui
devient sangsue qui devient halètement. Elle tente de penser à autre
chose. »
Le troisième et dernier poème
s’intitule « Veiller », comme dans « prendre soin de ». La
voix qui lit cette prose poétique est aussi celle d’une mère qui, cette fois,
se préoccupe de son enfant-fille. « Ton enfance s’éloigne en même temps
que tes mains des miennes. Les miennes, mes mains, elles tracent le contour de
ta peau, grattent un peu aussi, traversent le derme. Et s’enfoncent. Jusqu’à
cette odeur mammifère. » La tension du propos est soutenue, car d’autres
dangers guettent l’enfant malgré la vigilance de la mère. Des dangers qu’abrite
la forêt environnante qui appelle la fillette ou était-ce elle-même qui le
fait. « Avant que tu ne portes les dizaines ou que ma main pende seule en
traversant la rue, je récupère tout ce que je peux d’unités de
toi. / Je m’en fais un habit, une beauté. »