Aki Shimazaki,
No-no-yuri
Arles, 2022, 176 p., 28,95 $.
Le monde selon Kyôko Niré
Observez l’univers narratif d’Aki Shimazaki et vous y trouverez des personnages et des décors tout en nuance comme des aquarelles dont l’artiste a volontairement laissé les couleurs se répandre l’une dans l’autre, se fusionnant ainsi en une harmonie totalisante. Cette façon de faire se répète d’une pentalogie à l’autre – « Le poids des secrets », « Au cœur du Yamato » et « L’ombre du chardon » – soit quinze romans parus entre 1999 à 2019.
L’autrice a entrepris une quatrième
suite avec Suzuran (2020) et Sémi (2021). Le premier récit gravite
autour de Anzu, une trentenaire qui semble imperméable à la cruauté du monde; mère
célibataire, elle, son fils et ses vieux parents animent de la trame. Ces derniers,
Tetsuo Niré et Fujiko Kajiyama, sont au cœur de la seconde histoire alors que la
maladie d’Alzheimer dégrade la santé de Fujiko, au point où ils ont dû vendre
la maison familiale et s’installer dans une RPA.
Plus on découvre la personnalité
de Kyôko, plus son narcissisme devient manifeste, malgré une ombre à la cage
dorée qu’elle s’est fabriquée. Plusieurs des éléments qui composent le portrait
de la jeune femme illustre cette espèce de vanité : son goût du grand
luxe, notamment au niveau de son apparence qu’elle soigne au plus haut point en
choisissant des vêtements de couturiers, un maquillage qui met en valeur sa très
grande beauté naturelle, laquelle attire sur elle le regard des hommes aussi
bien dans ses rencontres professionnelles que sur la rue. Bref, les « miroirs »
ne sont jamais loin d’elle.
Son travail l’amène à voyager dans
les capitales du monde où elle aménage toujours un moment de magasinage dans
les boutiques huppées dont elle connaît toutes les adresses. Les voyages, professionnels
ou personnels, font partie de son mode de vie et elle ne saurait s’en passer
même au détriment de sa famille. Il en va de même pour sa vie sentimentale, car
le mariage n’a jamais été un projet pour elle. Elle préfère avoir un amant,
préférablement marié, qu’elle n’invite jamais chez elle, les « love-hôtels »
lui convenant parfaitement. Elle supporte un partenaire pour un laps de temps,
mais finit toujours par couper les ponts, surtout s’il devient insistant.
À la Anderson, tout le personnel
la respecte tant pour sa personnalité qu’en raison de son poste de secrétaire administrative.
Elle a l’entière confiance de M. Smith, son patron avec qui elle travaille
depuis 13 ans; il ne saurait se passer d’elle aussi bien au bureau de Tokyo que
dans ses voyages à l’étranger. Il y a un très grand respect entre Kyôko et lui.
Elle entretient aussi une relation de confiance avec Mme K., la directrice du
service du personnel.
Un jour, L., un collègue, lui
apprend que M. Smith, en voyage aux États-Unis, ne reviendra pas au Japon et que
son adjoint, M. Glenn – que tout le monde appelle M. Green, car il est toujours
vêtu de vert –, prendra vraisemblablement la relève. Kyôko ne comprend pas de
ne pas avoir été avisé, pas plus que ce soit Glenn qui prenne une responsabilité
pour laquelle il n’a aucune disposition.
Mme K. la convoque pour lui
confirmer cette nouvelle, ajoutant que la santé de Helen Smith, l’épouse du PDG,
est en cause et que, oui, Glenn prendra le poste vacant. Du même souffle, elle
lui propose de devenir son adjointe au service du personnel, car elle prévoit
prendre prochainement sa retraite.
Kyôko ne sait trop quoi penser de
la situation. Un jour où elle rentre après avoir visité ses parents, elle est
surprise d’être interpelée à l’aéroport par M. Glenn. Ils conviennent de discuter
dès l’arrivée dans la capitale nippone. Cette rencontre permet à l’une et à l’autre
d’établir une relation de travail qui s’annonce harmonieuse. Lors de cette conversation,
Kyôko apprend que son nouveau patron parle couramment le japonais, qu’il visite
régulièrement son fils, lui qui est séparé de sa mère japonaise.
La secrétaire de direction respire
mieux en espérant que les choses se tassent pour le mieux. Or, chassez le
naturel et il revient au galop : Glenn, alias Green, devient de plus en
plus entreprenant avec sa secrétaire. Le « shanaï-ren’aï » – l’amour
entre employés d’une même entreprise – n’étant pas interdit chez Anderson,
cette relation ne doit jamais interférer dans le travail, Kyôko condescend à être
la maîtresse de son patron. Dès ce moment, les choses vont de mal en pis tant
pour elle que pour la compagnie Anderson. Aki Shimazaki démontre à nouveau son
talent de décrire des situations humaines complexes et de trouver des solutions
inventives.
Je ne serai pas un divulgâcheur et
je tairai comment l’autrice résout les divers nœuds gordiens qui se sont
attachés au fur et à mesure du récit que nous fait Kyôko Niré. Je me permets d’évoquer
un dénouement heureux pour le personnage central, car, suite à une conversation
avec sa sœur Anzu dont le très grand sérieux l’étonnera, elle comprendra
pourquoi elle tient tant à son autonomie dont le célibat en le point d’ancrage.
Aki Shimazaki n’a pas fini de
nous ravir grâce à ses miniatures qui nous donnent à observer la vie d’une
autre culture en mettant en scène des personnages aux valeurs basiques essentiellement
humanistes. Ici, Kyôko Niré donne l’impression d’un narcissisme démesuré jusqu’à
ce que l’on en comprenne l’origine et que son fonds culturel naturel émerge.
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