Jacques Savoie
#Maria
Montréal, Boréal, 2019, 328 p., 27,95 $.
Faire du vrai avec du faux
J’ai gardé un bon souvenir des
romans de Jacques Savoie, tant ceux écrits pour des jeunes que destinés aux
adultes, dont Le cirque bleu, Les ruelles de Caresso ou Les
soupes célestes. Comme tant d’autres, je revois avec plaisir le classique de
Mankiewicz, Les portes tournantes tiré d’un roman de Savoie et dont il cosigna
le scénario. Dans ce contexte, j’étais curieux de voir où l’œuvre de l’écrivain
était rendue après toutes ces années.
Intitulé #Maria, la
curiosité a suscité mon intérêt pour l’histoire de Mathias Fort qui, à priori, me
semblait exhaler les parfums au goût du jour, du mouvement #MeToo, de l’état
lamentable de l’environnement à la politique états-unienne actuelle qui confond
le vrai du faux par l’intermédiaire de la vérité alternative. Il y a aussi que
le romancier a dédié son récit à Maria Schneider, comédienne française qui, à
19 ans, fut la vedette de Dernier tango à Paris (1972), le film de Bertolucci
dans lequel elle a été réellement sodomisée par Marlon Brando, un viol sur grand
écran dont elle ne s’est jamais complètement remise.
Mathias Fort, personnage principal
du roman, a fait des études en littérature avant d’être repêché par le Service
canadien du renseignement de sécurité. Son rôle au SCRS était « d’imaginer
des scénarios catastrophes susceptibles de se produire, des drames qui n’étaient
pas encore arrivés, mais qui étaient dans l’air du temps. » Son
répartiteur, son seul lien physique avec l’organisme, était le sergent Éric
Lagacé. Outre les lettres, Fort a dû faire l’école de police à Nicolet, afin d’y
apprendre l’abc de la clientèle qu’il allait devoir étudier et, surtout,
prévoir les prochains mouvements sur l’échiquier sociopolitique.
Les rapports entre Mathias et Lagacé,
d’abord cordiaux, deviennent presque filiaux, le sergent ajoutant à sa
formation sa propre expérience. Pas étonnant que leur relation soit ainsi, Mathias
ayant vécu une enfance difficile, sa mère Rébecca, musicienne à l’OM, ayant
quitté tôt le domicile familial, et son père Olivier, « vétérinaire
méticuleux et incompris », ne s’étant jamais vraiment préoccupé de son
fils dont il avait pourtant la responsabilité.
Le rôle de Mathias au sein du
SCRS ressemblait à celui d’un devin, c’est pourquoi il devait observer toutes
les situations politiques susceptibles d’influencer, pour le meilleur ou pour
le pire, celles du Canada. Ainsi, quelques années « après l’apparition de
la téléréalité, Mathias s’était intéressé à la puissance de cette proposition
médiatique. » La relation de Fort et Lagacé s’éroda et il a suffi d’une
erreur pour qu’il suspende Mathias.
L’événement survint au moment où
ce dernier remettait en question un travail que le passionnait de moins en moins
et qui rencontra Jerry Leblanc, un retraité du SCRS, qui lui fit comprendre qu’il
y avait une vie après les services secrets. Une suite de quiproquos allait le
conforter, malgré lui, dans son désir d’un nouvel avenir, surtout qu’on venait de
lui apprendre que l’héritage de son père s’était multiplié considérablement avec
les années puisqu’il n’avait jamais touché aux sommes investies.
La suspension terminée sans avoir
eu de contact avec son répartiteur, Mathias avait décidé de quitter son emploi sans
savoir ce qu’il allait faire, sinon qu’il était financièrement à l’aise. Un
coup de téléphone d’Éric Lagacé le convoquant à une rencontre le surprit; il
décida de s’y rendre pour annoncer à son répartiteur qu’il abandonnait le
service. La réunion allait se tenir au bureau 101 et le mot de passe était « Je
viens de la part de Xavier ». À partir de ce moment-là, l’aventure
rocambolesque de Mathias Fret débute véritablement.
Arrivé sur place, il se retrouve
devant Chloé, une secrétaire à qui il chuchote le mot de passe; ce qu’elle en
comprend n’a rien à voir avec ce que Mathias imagine. Elle l’amène dans une
salle de production cinématographique où, apprend-il, on travaille sur un film intitulé
« 5G ». On lui présente Philippe, le premier assistant, qui est fort
inquiet, car Malcom Dunn, vedette masculine du film, a été arrêté et mis en
résidence au St-James, l’hôtel du Vieux-Montréal où il logeait. Philippe explique
à Mathias que Dunn est accusé d’agression sexuelle dans la foulée de #MoiAussi
et que Rebecca Swanson, la vedette féminine, a quitté le plateau pour retourner
chez elle à Los Angeles. Le film n’est pas terminé et on ignore ce qui va
arriver pour la suite des choses.
Mathias Fort ignore tous des rouages
de la production cinématographique. Mais devant l’inquiétude de Philippe et des
autres membres de l’équipe, il voit poindre à l’horizon des solutions à la
situation, lui qui a l’habitude de prévoir l’avenir surtout de ses plus sombres
moments. Ainsi, une suite de renversements de situation survient, allant d’un
nouveau scénario écrit « à bout portant », c’est-à-dire improvisé au
fur et à mesure des événements, mais impliquant toujours Dunn que Swanson. Les membres
de l’équipe cinématographique retrouvent leur travail, de nouvelles images sont
tournées avec un téléphone cellulaire et les médias sociaux sont mis à profit
pour susciter l’intérêt à la nouvelle version du film.
Mathias devient, un peu malgré
lui, producteur et réalisateur du simple fait qu’il rachète un projet qui était
sur le point de faire faillite. C’est à ce moment que son condo passe au feu et
que, s’y rendant, il remarque que son répartiteur et d’autres membres du SCRS
sont sur place, ce qui sème un doute dans son esprit: sa démission de l’organisme
et son nouveau travail seraient-ils la cause de l’incendie?
Parmi les faits qui animent l’action
du roman de J. Savoie, il y a la rencontre de Mathias avec Rima, aide-maquilleuse
très près d’Angelo, le coiffeur de plateau, lui-même très près de Mme Swanson.
Il y a aussi que Mathias connaît Rima, rencontrée grâce à un réseau semblable à
Tender, alors qu’il avait aussi décidé de prendre en main sa vie amoureuse.
Dire que #Maria a tout d’un
scénario de film est un euphémisme, surtout grâce à toutes les péripéties et tous
les rebondissements de l’histoire que Savoie raconte avec brio. Cela se résume en
une mise en abyme, une histoire dans l’histoire, ici un film dans le film, un chassé-croisé
entre la vérité et le mensonge où ce qui est faux devient la vérité, et certaines
vérités des mensonges éhontés. Certes, il y a les accusations portées contre
Dunn, mais il y a aussi un incident diplomatique entre le Canada et les États-Unis
que le SCRS veut éviter à tout prix, un incident au dénouement aussi surprenant
que vraisemblable. Cela sans parler du rôle déterminant des médias sociaux dans
la diffusion du drame réellement vécu par Mme Swanson semblable à celui de
Maria Schneider dont le nom sera retenu d’ailleurs comme titre final du film.
Sans oublier, l’intérêt que cette médiatisation suscitera auprès des
organisateurs du festival du film de Locarno, en Suisse, où le film sera
projeté en première mondiale.
Il n’y a, somme tout, qu’un noyau
de personnages que l’auteur a si bien typé qu’on reconnaît chacun très
rapidement, pouvant presque prévoir leurs réactions et leurs actions. Dire que #Maria
est aussi cinématographique que l’histoire qu’il raconte est près de la réalité,
sinon de la vérité, car Jacques Savoie est passé maître dans l’art du récit
réaliste où chaque geste et chaque dialogue s’enchaînent selon une logique
implacable. Bref, #Maria est dans l’ici et maintenant hyperréaliste au
point d’emprunter des causes et des noms d’individus issus du quotidien
sociopolitique actuel.
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