mercredi 11 juillet 2018


Jacques Godbout
De l’avantage d’être né
Montréal, Boréal, 2018, 288 p., 27,95 $.

De l’autobiographie comme tableau de chasse

L’histoire littéraire nous apprend que Les confessions de Jean-Jacques Rousseau fut la première autobiographie et que les exégètes y observent « une visée apologétique ». En lisant De l’avantage d’être né, le dernier ouvrage de Jacques Godbout, il m’a semblé révisé des leçons sur ce genre de récit, parfois semblable à l’autofiction ou même à l’égoportrait à la mode.




Jacques Godbout, à l’âge vénérable de 85 ans, dit avoir « entrepris un inventaire systématique de ma vie publique. De l’avantage d’être né décrit de façon chronologique, à partir de mes livres et de mes films, rassemblés par ordre de parution sur une étagère de ma bibliothèque, naissance, éducation, formation, publication, travail, activités littéraires ou cinématographiques et sociales. Le parcours d’un intellectuel de la Révolution tranquille: c’est mon acte de contrition.»
Avec sa prose souple et vivante qui séduit depuis L’aquarium (1962) ou Salut Galarneau! (1967), l’écrivain dresse la liste de ses activités personnelles et professionnelles triées sur le volet de ses réussites ou de ses insuccès. Le récit tient de l’énumération, année après année, d’éphémérides marquantes ou, plus prosaïquement, du tableau de chasse.
L’écrivain a probablement écrit cette fresque pour laisser à ses enfants, et aux leurs, le souvenir de la vie d’un intellectuel à un moment charnière de la société québécoise avec, en arrière-plan, une éducation chrétienne dont il faut gommer les tares en la transformant en État laïque.
Il précise avoir écrit ce livre « pour conjurer la peur d’une démence et découvrir un peu de la cohérence dans le travail d’une vie. L’ouvrage peut contenir des inexactitudes; les souvenirs s’emmêlent parfois. » Soyons avertis et doutons raisonnablement des anecdotes relatées avec trop de précision, sans pour autant gâter le plaisir de lire l’ouvrage.
L’humilité n’ayant jamais été, selon la rumeur du milieu, la première qualité de l’auteur, il n’en demeure pas moins qu’il a eu, à ce jour, une carrière remarquable qui a sûrement été jalousée. Professeur, rédacteur, journaliste, écrivain, cinéaste, éditeur, gestionnaire et grand voyageur: c’est là un résumé sans nuances de son fonds de commerce. On n’est donc pas surpris que l’essentiel du livre fasse la narration des divers projets et aux réalisations qui ont marqué les époques de sa vie.
N’oublions pas que Jacques Godbout a eu les éditions du Seuil comme éditeur, le même qu’Anne Hébert, et que ses fréquentes visites aux bureaux parisiens de la rue Jacob lui ont permis des rencontres littéraires exceptionnelles. Souvenons-nous de sa carrière à l’ONF et, dans ce contexte, son compagnonnage avec des gens remarquables comme Florian Sauvageau, le père du journalisme québécois contemporain.
Que dire de son apport à la création de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec, et son rôle d’éditeur et de membre du CA des éditions Boréal? Comment oublier ses chroniques dans L’actualité, tout comme celles du regretté Gilles Marcotte, pour l’intelligence de leurs analyses sociales ou littéraires.
De l’avantage d’être né nous convie ainsi au récit de l’épopée d’un intellectuel ayant marqué la société québécoise depuis les années 1960, une rare occasion dont il faut tirer des leçons sur l’évolution sociopolitique et culturelle de ce pays qui n’en est pas un, sinon par ce qu’en ont fait des femmes et des hommes de la trempe et de la génération de Jacques Godbout. Puis, je partage l’opinion de Gilles Archambault qui veut que « les récits autobiographiques ne valent que s’ils témoignent d’une profonde émotion de vivre, d’une angoisse existentielle » (En toute connaissance) et qui s’avère ici.

jeudi 5 juillet 2018


Jean-François Poupart
Lire la poésie
Montréal, Poète de brousse, coll. « Essai libre », 2018, 136 p., 18 $.

« Qu’attendez-vous de la poésie? »

Qui lit encore de la poésie, me demande-t-on? À mon avis, plus de lecteurs qu’on ne le croit. Bon an mal an, des éditeurs, petits et grands, publient de dix à vingt recueils. On organise des soirées de lecture partout au Québec et le public répond à ces invitations à découvrir les qualités littéraires des œuvres.




Où en est ce genre malaimé en 2018? En guise de réponse, j’ai ouvert Lire la poésie, un « essai libre » de Jean-François Poupart. Poète, essayiste, musicien et professeur de littérature dans un cégep, il a cofondé les éditions Poète de brousse, avec Kim Doré, en 2004. Cette maison a, entre autres, publié Une éducation bien secondaire (2013), un essai percutant de la regrettée Diane Boudreau, et des recueils de poésie de Geneviève Blais et Philippe More.
La poésie alors? Première constatation: « Lire la poésie, c’est être à l’écoute d’une musique. La poésie et la musique servent à entrer dans le cœur des femmes et des hommes, à façonner leur sensibilité et, ainsi, à changer le monde. » Pour nous accompagner, l’auteur nous fait « le don de cette clé aux grands voyages de la poésie, telle est ma volonté la plus chère. »
Il rappelle que la rime est, depuis la nuit des temps, ce qui distingue la poésie de la prose. « En 2018 [note-t-il], la rime est encore pour la grande majorité, l’élément central du poème. » En quelque sorte, « la rime est immortelle ».
J.-F. Poupart raconte son cheminement sur les routes parfois sinueuses et pleines d’embûches qui l’ont mené à sa conception et sa pratique de la poésie. Le premier cycle universitaire et l’enseignement qu’on y faisait alors l’ont révolté, surtout l’analyse formaliste du poème, alors à la mode. Il a continué sa quête en écrivant et en allant découvrir ailleurs d’autres façons de comprendre ou d’interpréter la poésie. Il est ainsi parti étudier à Paris où le poète et essayiste Yves Bonnefoy fut son maître de thèse de doctorat.
Cette rencontre, souvent racontée, fut déterminante sur l’ensemble de sa carrière de poète, d’écrivain et d’éditeur. J’y vois comme un effet initiatique qui l’a, entre autres, amené à déclarer : « La poésie est le plus haut degré de la parole humaine, l’art le plus humain qui soit. » En ces temps où la parole est mise à mal, un tel enseignement mérite notre propre réflexion et, surtout, notre engagement.
Lire la poésie n’étant pas à proprement parler un essai didactique, l’auteur donne des exemples concrets de poètes et d’œuvres qu’il a croisés sur sa route et qui l’ont marqué. Outre « Présence d’Yves Bonnefoy », une lettre d’opinion visant à souligner le décès du Français en juillet 2016, son propos va au cœur du sujet, lire de la poésie, Poupart s’intéresse à Phèdre, la tragédie de Racine dont il scrute la poétique, et au père du surréalisme André Breton en quête de l’or du temps comme lui.
Impossible de terminer cette recension, sans souligner l’éloquent épilogue où il est question du colloque tenu autour du thème « À quoi bon les poètes en temps de détresse? », à Paris en novembre 2016. L’idée ici n’est pas de faire le verbatim de la rencontre, mais de nous transmettre l’essence des échanges comme l’a si bien fait Julia Kristeva (http://www.kristeva.fr/a-quoi-bon-des-poetes.html en temps de détresse?). Pour elle, il « était donc inévitable, indispensable qu’on ailler chercher le poète quand l’humanité s’écroule, et qu’on lui demande à lui, et à lui en premier lieu, non pas d’être ou de ne pas être, mais tout simplement de recommencer. »
Lire la poésie évoque ultimement un mode de vie, une façon d’appréhender le monde dans sa plus pure réalité qu’il faut sans cesse réinventer sans autres artifices que les rêves libérateurs.