Jacques Godbout
De l’avantage d’être
né
Montréal, Boréal, 2018, 288 p., 27,95 $.
De l’autobiographie
comme tableau de chasse
L’histoire littéraire nous
apprend que Les confessions de Jean-Jacques
Rousseau fut la première autobiographie et que les exégètes y observent « une
visée apologétique ». En lisant De
l’avantage d’être né, le dernier ouvrage de Jacques Godbout, il m’a semblé
révisé des leçons sur ce genre de récit, parfois semblable à l’autofiction ou
même à l’égoportrait à la mode.
Jacques Godbout, à l’âge
vénérable de 85 ans, dit avoir « entrepris un inventaire systématique de
ma vie publique. De l’avantage d’être né
décrit de façon chronologique, à partir de mes livres et de mes films,
rassemblés par ordre de parution sur une étagère de ma bibliothèque, naissance,
éducation, formation, publication, travail, activités littéraires ou
cinématographiques et sociales. Le parcours d’un intellectuel de la Révolution
tranquille: c’est mon acte de contrition.»
Avec sa prose souple et vivante
qui séduit depuis L’aquarium (1962)
ou Salut Galarneau! (1967), l’écrivain
dresse la liste de ses activités personnelles et professionnelles triées sur le
volet de ses réussites ou de ses insuccès. Le récit tient de l’énumération, année
après année, d’éphémérides marquantes ou, plus prosaïquement, du tableau de
chasse.
L’écrivain a probablement écrit cette
fresque pour laisser à ses enfants, et aux leurs, le souvenir de la vie d’un
intellectuel à un moment charnière de la société québécoise avec, en
arrière-plan, une éducation chrétienne dont il faut gommer les tares en la transformant
en État laïque.
Il précise avoir écrit ce livre « pour
conjurer la peur d’une démence et découvrir un peu de la cohérence dans le
travail d’une vie. L’ouvrage peut contenir des inexactitudes; les souvenirs
s’emmêlent parfois. » Soyons avertis et doutons raisonnablement des
anecdotes relatées avec trop de précision, sans pour autant gâter le plaisir de
lire l’ouvrage.
L’humilité n’ayant jamais été, selon
la rumeur du milieu, la première qualité de l’auteur, il n’en demeure pas moins
qu’il a eu, à ce jour, une carrière remarquable qui a sûrement été jalousée.
Professeur, rédacteur, journaliste, écrivain, cinéaste, éditeur, gestionnaire
et grand voyageur: c’est là un résumé sans nuances de son fonds de commerce. On
n’est donc pas surpris que l’essentiel du livre fasse la narration des divers
projets et aux réalisations qui ont marqué les époques de sa vie.
N’oublions pas que Jacques
Godbout a eu les éditions du Seuil comme éditeur, le même qu’Anne Hébert, et
que ses fréquentes visites aux bureaux parisiens de la rue Jacob lui ont permis
des rencontres littéraires exceptionnelles. Souvenons-nous de sa carrière à
l’ONF et, dans ce contexte, son compagnonnage avec des gens remarquables comme
Florian Sauvageau, le père du journalisme québécois contemporain.
Que dire de son apport à la
création de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec, et son rôle d’éditeur
et de membre du CA des éditions Boréal? Comment oublier ses chroniques dans L’actualité, tout comme celles du
regretté Gilles Marcotte, pour l’intelligence de leurs analyses sociales ou
littéraires.
De l’avantage d’être né nous convie ainsi au récit de l’épopée d’un
intellectuel ayant marqué la société québécoise depuis les années 1960, une rare
occasion dont il faut tirer des leçons sur l’évolution sociopolitique et
culturelle de ce pays qui n’en est pas un, sinon par ce qu’en ont fait des
femmes et des hommes de la trempe et de la génération de Jacques Godbout. Puis,
je partage l’opinion de Gilles Archambault qui veut que « les récits
autobiographiques ne valent que s’ils témoignent d’une profonde émotion de
vivre, d’une angoisse existentielle » (En
toute connaissance) et qui s’avère ici.