Yves P Pelletier
Déboussolé
Montréal, VLB, 2022, 232 p., 24,95 $.
La vie heureuse d’un cabotin
Quand les propositions éditoriales saisonnières me parviennent, je les passe en revue pour scruter l’horizon littéraire et attiser ma curiosité même à l’affut. Suivent les demandes de services de presse en variant les genres, les éditeurs et les auteurs nouveaux ou anciens, mais en pensant d’abord à vous, lectrices et lecteurs, avec qui je partagerai mes lectures.
Il arrive qu’un titre m’attire sans savoir pourquoi. Débousselé, une nouveauté printanière de VLB éditeur, m’a ainsi interpelé parce qu’il évoque une certaine liberté dont la pandémie nous a privés. Puis, j’ai constaté que l’auteur était Yves P Pelletier, celui-là même qui harmonise mes dimanches matin grâce à Dans tous les sens, une émission musicale diffusée sur les ondes d’ICI-Musique.
L’ouvrage se résume ainsi : « Laval,
avril 1981. Dans sa chambre d’ado attardé, un jeune homme aux allures de
lévrier afghan remplit son gros sac à dos beige. Il s’apprête à partir à la découverte
du monde. Éveil des sens, aspirations bédéistiques et cinématographiques,
débuts de Rock et Belles Oreilles, vie de tournée, mésaventures amoureuses,
rencontres, deuils, grandes amitiés… Dans un récit sensible et drôle, Yves P
Pelletier, voyageur invétéré, met sa jeunesse à plat et son âme à nu. »
D’abord dire qu’Ordinaire,
la chanson de Charlebois, convient aussi à l’auteur, « un gars ben ordinaire »
dans les récits qu’il fait de sa vie de 1981 à 1993. Candeur, naïveté,
sentiment de l’imposteur, créativité exacerbée, altruisme constant, pelleteux de
nuages, « ramasseux », un peu con, etc. Je pourrais ainsi aligner tous
ces qualificatifs moqueurs qu’on donnerait à un beau-frère imaginaire, cette image
que Yves P. semble entretenir, lui qui est tout sauf prétentieux.
Les pages de son journal intime
qu’il ouvre sous nos yeux parlent de lui va sans dire, mais surtout de celles et
ceux avec qui il partage le meilleur et le pire de ce que la vie réserve dans
son jardin intérieur de prépubère et de jeune adulte qui cherche à s’assumer. Au
cœur de cette quête identitaire, il y a la liberté difficile à acquérir et
encore plus difficile à protéger et à conserver. C’est au sein de sa famille
que ces apprentissages essentiels se font : papa et maman voient à l’éducation
et l’école, là on fait les premiers pas de l’instruction promesse d’un avenir
heureux.
Yves P n’est pas fils unique, il
a une sœur aînée et un
petit frère. Chez les Pelletier, c’est maman Janine qui coordonne la vie
familiale. « C’est clair, ma mère m’a éduqué dans l’espoir de faire de moi
son "homme idéal". » Cela rappelle que Yves P est né en 1961 et que
le matriarcat a alors généralement le plein pouvoir sur l’éducation des
enfants. Certes le père s’y intéresse, mais il n’est pas sur le terrain du
quotidien.
Le « Préambule » de ce
journal épars – on se promène de mois en années, de ville en ville, avec
toujours ce fil d’Ariane qui nous ramène à l’essentiel grâce au sens aigu d’organisation
de l’auteur – décrit l’état d’esprit du narrateur en avril 1981, alors qu’il
est sur le point de s’évader de sa chambre de Laval et qu’il est conscient « d’être
un clown, une bibitte» inscrit en communication à l’UQAM comme un noyau dur de
sa génération instruite des leçons de Pierre Bourgeault ou de Pierre Foglia.
Ce qui intéresse alors Yves P, c’est
la bédé. Il s’y adonne sans grande conviction tout en nourrissant l’espoir de
devenir le Hergé du Québec. Voyager est une constante préoccupation, non pas les
plaisirs touristiques ordinaires, mais la découverte d’autres cultures et des
populations qui leur donnent vie. Rappelons-nous qu’un vent de changement
souffle alors sur l’Europe dont la chute du mur de Berlin allait devenir l’ultime
symbole.
Une question vous vient sûrement
à l’esprit : et RBO, Rock et Belles oreilles? Débousselé n’est pas la
petite ou la grande histoire de ce groupe qui reste à écrire. C’est plutôt le récit
des premières performances d’un groupe d’étudiants qui font de l’improvisation humoristique.
Petit à petit, la personnalité scénique de RBO se développe, les spectacles se
multiplient, les tournées s’organisent au Québec puis en Europe, les émissions
de radio et de télé s’amènent. Yves P a beaucoup d’amitié et d’affection pour cette
joyeuse bande de camarades, mais ce qu’il raconte est mis en perspective de sa
propre quête identitaire, son besoin viscéral de solitude étant souvent mis à
mal dans les projets du groupe.
C’est d’ailleurs là un des effets
du vedettariat dont il pourrait se passer : être reconnu sur la rue, dans
les commerces ou dans les files d’attente au cinéma ou à un spectacle. Il évite
ces situations, se montre courtois devant l’enthousiasme des admiratrices ou des
admirateurs. Point.
C’est un peu de cette notoriété
et les 60 $ hebdomadaires, que lui procurent les engagements de RBO, qui lui
permettent de voyager plus fréquemment. Avant ce pécule (!), l’étudiant Pelletier,
sans grande ressource financière, a appris à se débrouiller pour aller voir
comme était la vie à l’étranger grâce aux divers programmes favorisant les échanges
ou les stages à l’étranger. La France, d’abord, pour y mettre à l’épreuve son
talent de bédéiste, mais aussi l’Italie, la Pologne, l’Allemagne et la Finlande.
Les auberges de jeunesse, les rencontres de filles et de garçons avec qui il se
lie d’amitié en passant outre à sa grande timidité : l’univers de Yves P se
bâtit ainsi et devient une communauté à laquelle il restera fidèle au-delà des
rencontres furtives.
Ai-je écrit timidité? Partout
dans ces récits, on relève le manque de hardiesse du narrateur et les ennuis
que cela lui a causés, surtout dans ses relations amoureuses, cette quête aussi
importante dans sa vie que tout autre projet. Son sens de l’autodérision lui
permet de passer outre à cette gêne dont certains des personnages qu’il a créés
avec RBO ont hérité. La recherche de l’âme sœur occupe une place importante durant
la douzaine d’années racontées dans le livre et elles ont en commun d’être rarement
simples à vivre. C’est d’ailleurs parce qu’à 61 ans il peut prendre du recul
par rapport aux gens et aux événements qu’il raconte et parvient à faire ce
bilan d’une période charnière de sa vie.