mercredi 17 avril 2024

Steve Poutré

Lait cru

Québec, Alto, 2023, 264 p., 26,95 $ (papier), 16,99 $ (numérique).

Diaporama du temps passé sous forme de patchwork

Le premier roman de Steve Poutré, intitulé Lait cru, évoque des souvenirs de l’auteur-narrateur au pays de son enfance à la campagne. Ces moments choisis rappellent une époque et un mode de vie dont il garde de vagues souvenirs, ceux retenus pour la nature de leur fulgurante et fragile existence. Ces souvenirs épousent la forme d’un diaporama d’images, réelles ou imaginées, qu’il projette sur l’écran du livre en train de s’écrire, comme pour s’assurer de bien se rappeler ce qu’il a aimé et, surtout, les situations qu’il ne veut absolument pas revivre. 

Il ne s’agit pas d’un roman au sens strict, mais d’un récit semblable à une courtepointe faite d’un patchwork de 85 pièces semblables à autant d’arrêts sur image. Le fil conducteur, ce sont les moments qui émergent dans la tête du narrateur hospitalisé au département de psychiatrie d’une institution urbaine, souvenirs que son thérapeute tente d’analyser pour lui faire comprendre que ces moments privilégiés, même disparates – confus ou confondus –, forment le tout de sa conscience rébarbative à les assumer.

Nous visitons un univers où se confondent onirisme et lucidité alors que le narrateur essaie de replacer les morceaux d’une enfance à la ferme, une époque où la vie des terriennes et terriens n’était déjà pas de tout repos. D’autant plus vrai que l’exploitation était située sur un immense lopin de terre, propriété des grands-parents paternels du narrateur et de ses oncles : une bourgade, quoi! Ce qu’il y a de bien pour l’enfant qu’il fut, c’est de pouvoir visiter sa grand-mère à volonté et profiter de ses gâteries culinaires et des effluves qui embaumaient la maison et même au-delà.

Chaque morceau du patchwork compose une fresque de l’univers qui a fini par amener le narrateur en psychiatrie, comme si, pour une raison insaisissable – semblable à chercher une aiguille dans une botte de foin –, tout son univers avait basculé dans une zone interdite où les assises de sa vie avaient été ébranlées comme les colonnes de son temple intérieur.

Ce récit n’est pas pour autant une histoire triste ou noire. Le narrateur a de l’humour et sait tirer son épingle du jeu devant des événements sur lesquels il n’a aucun contrôle. Ainsi, dans « Les couleurs », il écrit : « Lorsque je frotte vigoureusement mes yeux et que je les garde clos un moment, des couleurs explosent et dansent… Je pense aux prisonniers enfermés dans le noir pendant des jours. Je survivrais bien dans ces conditions, avec la machine à couleurs qui m’inonde la tête. Mon gaz à rêves, ce monde magique derrière mes paupières. »

Toujours à l’exploration des outils littéraires à sa disposition, l’auteur Poutré joue avec les images. Ainsi, lorsqu’il visite la ferme d’un voisin : « L’eau [d’un abreuvoir à vache] coule sur mes doigts, là où mes yeux aimeraient voir un museau. Des milliers de vaches ont vécu ici. Des milliards de beuglements. Des matins et des soirs de traite, sans interruption, pendant des décennies. Des milliers de famille ont versé de ce lait dans leurs céréales. N’y respire plus qu’une armée d’araignées qui se balancent sur leur fil de soie, incapables de se retisser un destin. »

Poutré peut aussi décrire crument la réalité du moment. « Il fut une époque où les gens étaient simplement fous. Maintenant, les étiquettes sont si variées et confuses que bientôt chaque idiot du village aura sa maladie orpheline. On me sort depuis quelques années ce terme à la mode, qui me donne parfois envie de rire, souvent de hurler. "Bipolaire". S’il n’en tenait qu’à moi, je ne choisirais qu’un seul pôle, le plus vivifiant, mais le monde n’accepte pas la portion fade de l’être. »

Bien que ce diagnostic de cyclothymie l’exaspère, il n’en demeure pas moins décidé : « J’aimerais effacer l’historique. Les jours et les nuits. Il n’en resterait aucune trace, je suis le seul à les avoir archivés. Les dernières copies sont prêtes à flamber. Le brasier dans mon ventre me remonterait à la gorge, m’évitant de témoigner à nouveau de tout ce qui s’est éteint. Je rassemblerais assez de combustible pour que la première étincelle vienne à bout de l’ensemble. »

Les morceaux de tissu faisant partie du patchwork agricole, car c’est bien là que tout a commencé, illustrent un aspect spécifique de l’entièreté de l’existence du narrateur à ce jour et de ce qui a fini par l’amener en institution. Si Lait cru se situe dans un environnement fermier, on peut tout de même utiliser la méthode Poutré pour analyser les aléas d’un autre mode de vie, à la différence que très peu ont un cadre aussi exigeant que les 24/24 heures, 7/7 jours, l’année durant des familles vivant sur une terre agricole. C’est d’ailleurs là que les récits de Steve Poutré réussissent le mieux : nous faire entrer dans l’intimité d’un enfant devenu adolescent puis jeune adulte, qui refuse, d’abord inconsciemment, d’avoir la même vie qui a littéralement avalé sa famille tout entière. Aussi franc que soit le narrateur, il n’en perd pas pour autant son humour irrévérencieux, voire cynique, ce qui module ses récriminations et son mal-être.

mercredi 10 avril 2024

Myriam Beaudoin

Mont Mirador

Montréal, Leméac, 2023, 176 p., 22,95 $.

Une odeur de fin du monde

L’écrivaine Myriam Beaudoin crée, d’un récit à l’autre, des univers clos dont les personnages sont capables de vivre en autarcie relative, solitaire ou familiale. Spontanément, je revois l’univers de la communauté juive orthodoxe visitée respectueusement dans Hadassa (2006), la presque confidence d’Épiphanie (2019) ou 33, chemin de la baleine (2009) gravitant autour de la correspondance singulière d’Éva à Onil.

Avec Mont Mirador, la romancière nous amène dans l’univers de Marie et de François, des écorchés vifs capable de tout affronter. Un cataclysme environnemental sévit et la population fuit la montée des eaux boueuses et nauséabondes.

Marie est du nombre, tourmentée à l’idée de quitter ses protégés du centre de jour, un groupe de cinq personnes handicapées physiquement ou intellectuellement. Marie est imposante de taille et humble de la bonté et de la générosité qu’elle essaime autour d’elle. Son altruisme lui vient d’une enfance en milieu rural où elle s’oubliait en pensant d’abord aux siens. À cette époque, le seul plaisir qu’elle semblait s’accorder, outre ses importantes dévotions, était de dessiner de grandes fresques évoquant des images saintes. Un jour, Peter, un beau jeune anglais, vint prêter main-forte à la ferme et il éveilla en elle le premier émoi amoureux. Puis, il entra chez lui, laissant derrière une Marie engrossée que ses parents, surtout sa fervente mère, ne pouvaient garder à la maison, une mère célibataire étant une malédiction.

Voilà la future maman en route pour la ville où sa tante Grâce l’attend avec bienveillance pour l’accompagner durant sa grossesse, lui apprendre la vie de citadine et lui faire découvrir la forme d’autonomie qui lui conviendra le mieux, tante Grâce étant féministe avant l’heure. Ces apprentissages étaient d’autant plus importants que Marie, qui n’a alors que 16 ans, a décidé de garder et de prendre soin de son enfant. C’est ce qu’elle a fait de son mieux avec Henri jusqu’au jour où, à son tour, il partit vivre sa vie. « Henri était toujours en déplacement, aux quatre coins du pays, à lutter pour défendre les droits fondamentaux de sa communauté, critiquer les descentes policières, organiser des manifestations, des festivals de toutes sortes. »

Je note ici l’importance de la famille et des enfants, thèmes récurrents des univers imaginés par Myriam Beaudoin, notamment d’Épiphanie. Ici, dans Mont Mirador, famille et enfant seront en quelque sorte le liant entre Marie et François alors qu’on leur imposa à eux une rupture du lien familial avant leur maturité.

La vie de François n’est pas plus réjouissante que celle de Marie. Homme de peu de mots, il a tout appris à la dure, ce qui a forgé son caractère de solitaire. Lui aussi a été déporté de sa famille, sa mère Louison perdant de plus en plus la raison, laissant son père dans un grand embarras au point de devoir placer ses enfants dans la famille quand leur pieuse mère fut enfermée. C’est ainsi qu’oncle Baptiste accueillit François; il le connaissait depuis ces étés passés chez lui à donner un coup de main et à découvrir la nature sauvage en l’accompagnant à la pêche.

Baptiste avait pour son dire que, tôt ou tard, un grand malheur frapperait le pays et qu’il fallait déjà s’y préparer. C’est pourquoi il avait choisi un lopin de terre sur le bord d’un lac rond, le Mont Mirador à l’horizon, pour y construire un chalet. Ce coin perdu était loin de toute civilisation, ne figurant sur aucune carte et sans véritable voie d’accès, sinon un chemin mal débroussaillé sur lequel on n’avait pas envie de s’aventurer.

Au fil des ans, François et Baptiste ont construit et équipé un véritable bunker forestier, capable de les protéger de toute fin du monde. Baptiste décédé, son héritier continua à développer ses apprentissages, n’allant au village le plus près que pour les provisions essentielles, espaçant tant qu’il le pouvait ces visites et, surtout, ne s’adressant plus qu’au boutiquier qui avait sa confiance. L’homme-ermite que François était devenu a ratissé son territoire, bâti les appentis nécessaires pour y élever volailles et lapins. Il a aussi mis au point un système d’alarme capable de le prévenir de toute intrusion de son territoire.

Ainsi terré, l’ermite ignorait que le grand désastre imaginé par son oncle avait entrepris son œuvre maléfique de destruction. Il fallut qu’un soir il croit voir à l’horizon du Mont Mirador les lueurs d’une faible flamme pour qu’il entre en mode défense-attaque ou attaque défense, selon le danger estimé.

Cette flamme vacillante est bien réelle, c’est la grande rousse de Marie qui l’a allumée pour se réchauffer un peu et prendre soin de son nouveau protégé. Elle n’avait pas attendu que la boue ait tout envahi pour fuir la cité à grandes enjambées, inquiète de laisser derrière elle ses protégés dont l’invalidité en ferait d’innocentes victimes. La femme a suivi la foule, se permettant de soutenir l’une ici, l’autre là. Dans un des mouvements de la foule, elle aperçut un enfant malingre sur le point de s’abandonner aux eaux vaseuses; elle ne fit ni un ni deux et, d’une main puissante, elle l’agrippa et l’enserra dans sa grande robe couleur terre de Sienne.

Myriam Beaudoin a mis en scène des personnages modestes de condition, mais hardis de débrouillardise : Marie et François, deux solitudes, deux ensauvagements que rien ne destinait à se rencontrer. François n’avait eu alors qu’une amoureuse, Frankie, une chanteuse populaire qu’il avait accueillie et qu’il n’avait pas su garder auprès de lui parce que, à cette époque, il n’avait pas compris le véritable prix de la solitude, croyant que vivre avec soi-même suffisait, l’instinct grégaire n’étant qu’une autre illusion des humains.

L’inquiétude de François, soulevé par la lueur au loin et son impression, ou était-ce son imagination, d’avoir vu la silhouette d’une femme, l’obligea à entrer en mode défensif et, au besoin, d’être prêt à affronter le danger inconnu. Première étape : préparer le matériel nécessaire à une fuite en montagne comme lui a appris Baptiste. Étape deux : s’assurer que son camp de base est protégé de tout danger, surtout qu’une odeur inconnue commençait à empuantir l’air.

Toujours à l’affut, il parvient à rejoindre la source de la lueur et découvre Marie. Leur rencontre fut pleine d’inquiétude réciproque. Qui était cette autre personne? Que lui voulait-elle? Allait-elle mettre sa vie en péril? Devait-on la fuir ou s’en rapprocher? Tout allait trop vite pour eux. Ils comprirent rapidement qu’il valait mieux faire contre mauvaise fortune bon cœur, partager leurs expériences d’adultes sensés et traverser ensemble l’épreuve majuscule qu’ils allaient devoir affronter.

La romancière joue très bien des forces et des faiblesses de ses personnages, notamment en rendant possible leur quête de survie, même celle de Noé, l’enfant que Marie a recueilli sur le bord de la route comme « un p’tit bonheur ». Les péripéties accélèrent au fur et à mesure que les deux solitudes, celle de Marie et de François, se rapprochent par les nécessités du moment, mais sans parvenir à une confiance réciproque complète. Si Marie est une mère courage qu’aucune épreuve ne semble rebuter pour protéger cet enfant qu’elle a symboliquement nommé Noé, François a trop longtemps été seul qu’il a désappris à vivre avec quelqu’un d’autre, au point où il en a perdu la parole et ne s’exprime qu’avec des sons rauques.

Plus ils perçoivent l’odeur nauséabonde, plus l’urgence d’agir est impérative. François se laisse ainsi emporter par l’état de survie mis à mal et entreprend l’érection d’une tour où lui, Marie et Noé pourraient se hisser afin de fuir, sinon de retarder la montée des eaux boueuses. Il y a ainsi un combat contre le temps, mais aussi une lutte entre l’altruisme de Marie et la misanthropie de François, deux solitudes qui se jaugent à chaque instant. Ce duel est le moteur de leurs travaux dans le but commun de sauver leur peau. La romancière Beaudoin sait très bien faire alterner la perception et l’action des deux protagonistes, nous faisant témoins de leurs gestes et de leurs pensées.

La plateforme hissée, Marie, Noé et François s’y installent, impuissants devant ce qu’ils appréhendent et que François guette de son mieux. Marie, pour diminuer la tension croissante, invoque le Dieu, son fils et sa mère dont elle porte le nom pour qu’ils les protègent comme elle le fait elle-même pour Noé. Elle va même jusqu’à dessiner sur le sol de leur abri fragile une fresque représentant une des nombreuses images saintes qu’elle a réalisées quand elle vivait chez ses parents. François n’y comprend rien, ayant abandonné depuis longtemps toute croyance, la foi de sa mère Lison l’ayant conduit directement à l’asile.

Comment se termine l’aventure de François, Marie et Noé sur les hauteurs du Mont Mirador? Sans trahir la chute du récit imaginée par Myriam Beaudoin, je ne peux que constater que, d’aussi loin que viennent les valeurs apprises très jeunes et développées au fil des âges, elles sont toujours prêtes à ressurgir quand l’urgence est à son zénith et qu’on n’a plus rien à perdre sinon la vie. L’histoire que la romancière a imaginée suggère une profonde réflexion sur l’individu, la famille, le poids des exigences de la société et la solitude intrinsèque des êtres. Pas de leçons, pas de morales, mais un appel à une remise en question globale et essentielle.

mercredi 3 avril 2024

François Hébert

Comment naître, illustré par l’auteur

Laval-des-Rapides, le temps volé éditeur, coll. « à l’escole de l’escriptoire 57 », 2020, 10 feuillets en portefeuille.

Comment naître

J’ai découvert l’existence du « temps volé éditeur » grâce au regretté François Hébert, à l’occasion de la parution d’est-ce qu’on s’égare (2020), un ouvrage dont il réalisa les illustrations sous forme de collages et dont Jacques Brault signait les textes et les lettrines. Je répète ici un de mes mantras : le livre papier en général ne m’est d’aucun intérêt autre que d’être le support des mots qui justifient son existence. Les livres publiés par le « temps volé éditeur » sont d’un tout autre ordre, car ils magnifient le discours qu’ils accueillent. J’en ai d’ailleurs raconté un peu de son histoire dans la précédente chronique.

Aujourd’hui, je m’intéresse à deux livres récents, celui de François Hébert Comment naître et L’élan de l’écrevisse réédition, revue et augmentée d’un ouvrage du regretté tandem Hébert-Brault.

Le premier contact visuel avec Comment naître peut étonner, sauf les bibliophiles, ces passionnés des livres rares et beaux. Comment peut-il en être autrement quand on a sous les yeux « 10 feuillets en portefeuille » illustrés par dix collages du poète. Chaque feuillet – imaginez une feuille de 20 par 24 centimètres pliée sur la hauteur – comporte une illustration, le titre du poème suivi du texte. Les illustrations sont des collages que le poète a composés à partir de tubes de peinture à l’huile oubliés ayant appartenu à son père Julien, fondateur du design moderne au Québec.

Les titres des poèmes sont comme des boussoles qui guident la lecture sur la découverte du continent de son existence : l’homme de Rigaud, mère, père, quant aux graquias dans les cheveux de ma sœur, de l’eczéma, giclures, mille neuf cent quarante-six et tricératops, on va dire. Chacun de ces dits nomme un membre de la famille du poète dans une situation précise de leur relation avec le fils ou le frère. Humour et ironie rieuse semblent habiter d’une certaine retenue ou même d’une timidité que le collage, lui-même une interprétation de la même situation, exprime autrement. Le huitième et dernier poème, « tricératops, on va dire », est tel un faisceau lumineux jeté sur les morts qui le précèdent et il se termine ainsi : « Qui attendiez-vous donc de moi? / Je vous rends ici mon petit devoir / d’écolier taquin, ma bande / dessinée à l’aveuglette dans les / années de mon âge, espérant / que vos rêves de jeunesse y auront / laissé des traces. »

Et ce qui précède débute par une citation de Stéphane mallarmé : « "Igitur, tout enfant, lit son devoir à ses ancêtres » Le fait de mettre une minuscule au nom de l’écrivain français Stéphane Mallarmé joue de la polyphonie du patronyme qui ainsi suggérer que l’enfant est mal armé pour faire face à la vie. L’épigraphe me semble confirmer cette lecture, car l’igitur fait référence à un conte de Mallarmé qu’il résume ainsi : « Ce Conte s’adresse à l’Intelligence du lecteur qui met les choses en scène, elle-même. »

François Hébert et Jacques Brault

L’Élan de l’écrevisse

réédition augmentée et définitive, 46 poèmes et une apostille de FH, 9 dessins et un hors-d’œuvre de JB, suivi de « de l’âme et de ses ombres » de Marc Desjardins

Laval-des-Rapides, le temps volé éditeur, coll. « à l’escole de l’escriptoire 59 », 2023, 75 p., 45 $.

Les jeunes écrivains d’aujourd’hui, habitués à l’instantanéité du grand tout, ont souvent peine à s’accommoder de la lenteur des maisons d’édition devant leur projet, remarquable ou unique pensent-ils. Jadis, la patience était une condition sine qua non pour espérer une bonne nouvelle d’un éditeur. Jacques Brault et François Hébert connaissaient et comprenaient très bien cette règle et c’est pourquoi ce dernier avait mis de côté lac noir, d’abord paru en 1990 aux éditions du Beffroi, tout en espérant une éventuelle réédition sans vraiment s’en soucier.

Brault et Hébert, ayant déjà collaboré à d’autres projets réalisés par le temps volé éditeur, l’idée de reprendre à la même enseigne L’Élan de l’écrevisse, paru en 2010, germa dans la tête des deux amis. Et pourquoi ne pas y ajouter les poèmes de lac noir? Leur cogitation les amena à réunir quarante-six poèmes et une annotation de François Hébert, neuf dessins et un hors-d’œuvre de Jacques Brault.

La vie en décida autrement et Jacques Brault décéda en octobre 2022. L’année suivante, à l’occasion du lancement de Frank va parler (Leméac, 2023), roman de François H., Marc Desjardins et lui convinrent de réaliser ce projet laissé en dormance, ce que Jacques Brault aurait souhaité. Le destin s’acharnant, François Hébert décéda des suites d’une brève maladie, le livre étant enfin arrivé dans ses grosseurs. C’est d’ailleurs ce que raconte l’éditeur Desjardins dans « de l’âme et de ses ombres », un témoignage qui conclut ce si beau livre enfin advenu.

En exergue de la brève mise en situation que propose François H. dans laquelle il met sous nos yeux le pour qui pourquoi du livre, ces mots de l’illustrateur Brault : « Il paraît que lorsqu’on avance, l’horizon recule / pourquoi ça me fait penser aux écrevisses / jeux d’enfance, moi aussi j’avançais en reculant… »

Les vers du recueil appartiennent à l’univers de l’intemporalité que la nature parvient encore, pour l’instant du moins, à se faire refléter dans les eaux de lacs aux eaux limpides. Au passage, je retiens ces quelques vers assumant leur liberté : « idée fausse qu’un mort / soit mort parfaitement / sain et sauf de clavaires // amitiés ambitions /tout de l’homme demeure / mais sans effet sur mai ». Mais aussi : « dans l’eau / la sangsue va / tel un bras de danseuse // l’élan de l’écrevisse / imperceptiblement / meut l’étang ».

Le livre fait ensuite place à une postface de Jacques Brault intitulé « Hors d’œuvre ». Il y fait la genèse de l’origine de sa passion tranquille pour le dessin, lui qu’on disait avoir « des mains pleines de pouces ». « C’est alors qu’on prend goût, sans y penser, à vivre plus avec son flair tactile, avec les mains de perceptions de tout ordre. » Puis, s’adressant au consignataire : « Autour d’un certain lac noir cher à François Hébert, on trouve une espèce de pays à l’image de ce que fut en un temps immémorial un pays sans frontière, sans loi, mobile et variable, ne comptant comme calendrier que les saisons et les lunaisons. »

Peut-on oser écrire que L’Élan de l’écreviss est la dernière composante d’une suite de projets réunissant Jacques Brault et François Hébert parus au temps volé éditeur? Certes, mais ce livre lancé dans la stratosphère inventée et immatérielle de la littérature, il vit désormais dans son essence qu’il donne à voir et à lire en l’appréciant dans toute sa matérialité « chef-d’œuvrante ».

mercredi 27 mars 2024

Marc Desjardins

Le temps volé éditeur

Laval-des-Rapides

 Une maison d’édition unique dans sa différence

Les chemins de traverse, ceux qui ont « la propriété de couper un lieu en le reliant à un autre », ne sont pas qu’affaire de géographie, car ils peuvent aussi être ceux empruntés pour atteindre un objectif dérobé à nos yeux par l’arbre d’un métier ou d’une profession. De telles voies ont permis de nombreuses avancées comme celle de Julien Hébert, fondateur du design moderne au Québec, qui sut allier esthétique et usage courant.

Ce sont aussi diverses façons de superposer des connaissances pour faire éclore un nouvel engagement; par exemple, un avocat devenu journaliste, une musicienne devenue animatrice radio, une professeure devenue bibliothécaire, etc.

Marc Desjardins est ainsi devenu éditeur en empruntant un chemin de traverse qui l’a fait bifurquer de son « cursus, orienté depuis toujours vers les arts visuels et la peinture, qui [le] feront tendre vers cet univers limitrophe qu’est la littérature. Jeune, je lisais peu, malgré la présence des livres à la maison. Ce qui m’attirait, c’était consulter les livres du regard, voir les dos alignés en série, les couleurs participer aux lettres. Il y avait là déjà les prémices d’un fondement. »

Son intérêt pour ce nouvel itinéraire lui a, entre autres, rappelé que, jadis, il a constaté qu’un recueil de poésie comptait plus d’espace blanc que de mots : « J’ai alors compris que le prix d’un livre ne s’établissait pas en fonction des mots. » Autre circonstance d’un autre jadis : « Inscrit au baccalauréat en arts plastiques en 1984, je commence, dès l’année suivante, à travailler sur le texte par le biais de l’électrographie ou de ce qu’on appelait, en Amérique du Nord, le copy art. Je cherchais alors à faire le lien entre littéraire et plastique par une approche élémentaire de la forme, fidèle à ma première appréhension du livre axée sur l’enveloppe. »

D’une jonglerie à l’autre, Desjardins dessina les formes de son projet, identifia d’éventuels partenaires ayant les mêmes soucis esthétiques que lui et il put ainsi se lancer dans l’aventure du « temps volé éditeur », en janvier 1995. Gonfler à bloc, le néoéditeur, grand amateur de poésie et lui-même poète, accueillit des écrivaines et écrivains soucieux de faire des livres aussi bien écrits qu’admirablement édités, amenant ainsi leurs œuvres au niveau de l’œuvre d’art, ce qu’on appelle livres d’artiste à petit tirage et à fort prix, d’une figure plastique unique et d’une mise en marché en dehors du circuit habituel des librairies.

L’expérience du « temps volé éditeur » n’était pas unique au Québec. D’autres avant, pensons à Roland Giguère, Michel Beaulieu ou Gilbert Langevin, ont navigué sur le même détroit à une époque où la valeur artistique du livre avait une autre dimension et suscitait l’intérêt d’une agora réduite, mais combien enthousiaste. Marc Desjardins était convaincu que le jeu en valait la chandelle et, sans aide financière extérieure, il garda le cap sur son projet. Tant et si bien que le catalogue des réalisations du « temps volé éditeur » de sa création à l’année 2010 ne fait rien de moins que soixante-quinze pages et comprend, outre l’historique de la maison, la description illustrée de chacun des livres publiés. Et cela dans une facture visuelle d’une qualité semblable à ces ouvrages.

Un mot résume cet ouvrage : remarquable!

 

Marc Desjardins et Jacques Brault

205, boulevard Barré, petite correspondance croisée et autres miettes

Laval-des-Rapides, le temps volé éditeur, coll. « ex libris 5 », 2023, 133 p., 55 $.

Correspondance d’ici à ailleurs

L’éditeur Marc Desjardins, comme souligné précédemment, écrit aussi de la poésie, mais également une prose parente de l’essai avec des aspects subliminaux. C’est du moins une de mes premières observations en lisant cet ouvrage atypique intitulé 205, boulevard Barré, petite correspondance croisée et autres miettes qui relate effectivement une correspondance qu’il a entretenue avec le regretté Jacques Brault de 2011 à 2021.

Nul doute, on comprend que ce dernier lui écrive : « Vous demeurez pour moi le poète par excellence du livre. Vos œuvres le prouvent. » D’autant plus que cet ouvrage – le 205, boulevard Barré ayant déjà été l’adresse de Jacques Brault – est accompagné de ce que Desjardins appelle les autres miettes, c’est-à-dire divers artéfacts issus de l’échange de lettres ou illustrant tel ou tel propos. Ce faisant l’éditeur du « temps volé » déploie tout son art, pour ne pas dire toute son artillerie à la fois pour rendre hommage à Brault, mais aussi pour placer une aigrette au-dessus de l’ouvrage qu’il accomplit.

Sans vouloir ennuager le respect que Desjardins m’inspire, je ne peux négliger l’usage qu’il fait d’un lexique parfois abscons, comme s’il voulait traduire son art de plasticien du livre dans une abstraction verbale. D’ailleurs, dans une lettre du 5 mai 2011, le correspondant Brault commentant Tombeau de Maurice Blanchot, un texte de l’éditeur, écrit : « Je me suis éclairé les mots inusuels, sauf révertant de la page 20. » Même si le lectorat des ouvrages parus au « temps volé éditeur » est celui de lettrés, il n’en demeure pas moins que, tout profane que je sois, il me faut « volé du temps » pour lire Marc Desjardins si je veux en comprendre toute la portée qu’il mérite. Ce dont je n’ai aucun doute.

mercredi 6 mars 2024

Pause hivernale

Aux lectrices et lecteurs de "Passion chronique"

Le blogue hebdomadaire prend une pause et sera de retour le mercrdi 27 mars prochain avec une première de deux chroniques consacrées aux ouvrages de Marc Desjardins, éditeur du temps volé, et à ceux de Jacques Brault et de François Hébert publiés à cette enseigne.

À bientôt!

mercredi 28 février 2024

Stéphane Despatie

Fretless

Montréal, Mains libres, coll. « Roman », 2023, 312 p., 29,95 $.

« C’était à l’époque de jadis »

La poésie est-elle à la surface des mots, distille-t-elle leur essence en en transcendant leurs significations les plus inusitées? Chose certaine, en ouvrant Fretless, un roman de Stéphane Despatie, je constate qu’il est passé maître des jeux de la littérature grâce à sa poésie et ses engagements de par-devers icelle, traversant les méandres que l’institution oblige de suivre.

Ce préambule m’a été inspiré par l’univers de ce que l’auteur considère être son premier roman – bien qu’il ait fait paraître Réservé aux chiens en 2002, aujourd’hui réédité aux éditions Mains libres dont la préface établit clairement les liens étroits entre cette fiction et Fretless – dans lequel Raph, à la foi narrateur et personnage des multiples péripéties, raconte l’intimité de son adolescence jusqu’à cet âge qu’il a tout fait pour reporter, cet âge où les responsabilités s’arriment à des choix faits dans l’urgence du temps présent.

Le titre du livre semble sorti tout droit de l’univers de l’écrivain. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait qu’il s’agit ici d’une guitare basse sans frettes comme celui du narrateur, c’est-à-dire sans les « fines baguettes fixes qui servent à diviser le manche de l’instrument en demi-tons ». Or, si le roman renvoie à un instrument libre de toutes contraintes, il évoque de façon poétique la grande liberté dont jouissent Raph et toute la faune de personnages qui l’accompagnent dans cette suite de péripéties qui nous font voyager, tant en France qu’au Québec, dans l’univers du groupe punk (!) Rouge Malsain dont il est le bassiste et dans celui d’une œuvre d’art hors de prix convoité par Mark, un ami.

On n’a pas à être étonné que Despatie s’aventure dans un univers très près de l’autofiction, car il s’est autorisé depuis longtemps une écriture de l’intime et du quotidien comme le soulignait Jean Royer dans son Introduction à la poésie québécoise. Bien que l’univers de la poésie n’ait pas de frontières, il n’en demeure pas moins que la prose narrative convenait mieux au récit d’un voyage initiatique dans le monde des apprentissages que font de jeunes adultes, parfois à la dure.

La trame de Fretless est semblable à un journal intime écrit sans réserve, sinon celui de dire les « vraies affaires » pour les amener dans une dimension permettant d’en apprécier la valeur avec plus de justesse que l’urgence de l’instant permet. Or, cette valeur est aussi multiple que la palette du peintre, car elle n’est autre que le fonds culturel accumulé depuis l’enfance, de façon plus fulgurante à l’adolescence – ne serait-ce que pour le bagage de connaissances laissées sur son passage par l’école dont les classiques d’hier et d’aujourd’hui se confondent à l’actualité – et qui devient malgré soi l’hymne de toute une génération.

J’ai précédemment écrit que Fretless, s’il a de multiples points de convergence avec un journal personnel ou même d’une autofiction, raconte l’histoire d’individus appartenant à la génération X (1965-1979) où ils doivent se tailler une place qui leur soit propre en bousculant les baby-boomers qui agissent comme s’ils étaient les maîtres de l’univers. L’auteur a écrit qu’il craignait que son roman reprenne les thèmes de Réservé aux chiens, son précédent récit. Je suis d’avis qu’il fait bien plus, car ce premier roman est une toile neuve sur laquelle il trace l’univers de personnages inspirés ou non de ses propres expériences. J’ai même cru lire des pages entières de souvenirs animés dont l’auteur aurait gommé uniquement le nom des acteurs, car tout « le monde a un déclencheur, paraît-il, c’est comme ça. Un déclencheur qui fait que la vie prend un autre virage. »

L’essence de Fretless me semble tenir dans cette réflexion : « Accepter ses contradictions et expérimenter avec elles étaient plus intéressant et constructif qu’une bête posture intellectuelle nous interdisant de franchir certaines limites, seulement là pour renforcer un manque de confiance. » N’est-ce pas là le concentré des paroles, des actions ou des réflexions de Raph du début à la fin, notamment quand il est question de ses passions et des choix qu’elles lui imposent, parfois malgré lui, au nom de l’amitié ou de quelque autre élan d’un élan spontané.

Si on me demandait de raconter l’histoire de la génération qui mène la société actuelle – pensons entre autres à quelques politiciens ou ministres actuels –, je suggèrerais le roman de Stéphane Despatie, car son récit fait le lien entre celle des millénariaux et celle des boomers en choisissant de les assembler dans leurs identités comme dans leurs contradictions, du néoclassicisme des unes au choc punk – musical, culturel et social – des autres. Tout cela dans une langue assumée et dans une littérarité maîtrisée.

Le critique Dominic Tardif a tout à fait raison d’écrire : « Éloge des fulgurances beautés du hasard et de la bonne chanson jouée au bon moment, réflexions sur les sacrifices à accepter sur l’autel du succès, compendium de références furieusement éclectiques, Fretless est un roman plus prog [progressif] que punk, dont la démesure dessine autant les forces que les limites. » (La Presse, 18-11-23)

jeudi 22 février 2024

Gilles Archambault

Vivre à feux doux

Montréal, Boréal, 2023, 112 p., 19,95 $.

Mijoter lentement sa fin de vie

Je vous ai proposé, à sa parution, Mes débuts dans l’éternité (Boréal, 2022), un recueil composé de trente nouvelles écrites par Gilles Archambault, cet écrivain iconoclaste, misanthrope patenté, dont je recense les livres depuis les années 1980. Je lui empruntais alors le titre de l’un des textes, « Un musée pour moi tout seul ». Je serais tenté de le répéter pour présenter Vivre à feux doux, son nouvel opus en quatre parties, chacune comptant huit nouvelles brèves.

Ai-je lu ou entendu l’écrivain Archambault mentionner que le tapuscrit de ce livre était déjà entre les mains de son éditeur l’automne de 2022? Toujours est-il qu’il y a effectivement un lien étroit entre ce recueil et le précédent, chacun proposant des variantes de ce musée semblable à un album de photos parfois décolorées.

Le nonagénaire nous ramène dans l’univers de son grand âge où le temps prend son temps, trop selon lui, pour faire passer les jours. Le moindre écart à la solitude assumée, ou non, et l’ennui qu’éveillent les gens rencontrés troublent les limites d’un avenir anticipé par dépit plus que par satisfaction.

Le titre de chacune des sections du livre – « Immensément triste comme d’autres sont immensément riches, Je me suis habitué à moi, Vivre à feu doux et Couvercle fermé » –est comme la salle du musée personnel dont Gilles Archambault a déjà entrepris l’installation. Là où il innove, c’est qu’il a réduit au minimum le point d’appui de chacune des trente-deux situations évoquées. Cela m’a rappelé ces peintres qui, tout figuratif qu’ils furent jadis, ont effacé petit à petit les lignes qui définissaient les paysages ou les personnages que leurs toiles représentaient. Quant à l’écrivain Archambault, ce sont les détails qui provoquent ou ont provoqué une sensation ou une émotion, un plaisir ou une lassitude mise en évidence.

Ai-je raison ou tort de remarquer que, plus encore ici que dans de précédents livres, le déplaisir de vivre en société ou de simplement traîner la vie comme un boulet alors que le corps se déglingue et que les rares connaissances revivent en boucle le scénario d’un passé fragmenté par une mémoire plus imaginative que fidèle?

Mais alors, l’écrivain n’est-il pas ici en train de réaliser ce rêve de visiter ce musée : « Rien ne me plairait autant que de visiter, la nuit de préférence, un tout petit musée dans lequel seraient réunis des objets, des photos, des souvenirs de ma plus lointaine enfance… J’aurais, l’espace de quelques heures, la permission de retrouver ce qu’a été mon passé… Je serais un spectateur, sans plus. Un spectateur ému. Ému, je l’ai été si souvent au cours de ma vie. »

Cette émotion très présente sous la plume de l’écrivain, il sait bien la partager par petites touches en évitant de tomber dans un inutile pathos, lui préférant une moquerie soutenue comme s’il valait mieux rire que de pleurer des moments inévitables de l’existence. Après tout, qui a demandé à naître.

L’exemple ultime de l’univers littéraire actuel de Gilles Archambault n’est-il pas contenu dans la dernière nouvelle du recueil? Intitulé « Cendres » – comme dans le biblique « tu es poussière et tu retourneras en poussière » –, la narration est faite par une voix hors champ qui, tel un miroir, décrit l’attitude d’un certain Gilles face aux aléas de la vie. « Gilles ne pense que fort rarement alors au temps qui fonce sur lui avec l’acharnement qui le caractérise. Il se dit qu’il occupera les années qui viennent à écrire des livres. » Mais, le temps fuit et voilà que : « Dans quelques mois Gilles aura quatre-vingt-dix ans. Les livres, il les a accumulés un peu étourdiment. Il a même l’impudence de continuer à écrire. Il affirme qu’il n’espère plus rien de ce côté et que ses livres sont des coups d’épée dans l’eau qui lui apportent de moins de moins de contentement. »

Triste bilan, diront certains, réalisme teinté de nostalgie, diront les autres. Verre à moitié plein ou verre à moitié vide, chose certaine : « Elle s’approche, la mort. L’autre jour, il a demandé à son fils s’il accepterait de verser ses cendres dans les eaux du Vieux-Port de Montréal. En y repensant, il s’est dit que cela n’avait vraiment pas d’importance. »

Gilles Archambault n’a pas peur des mots et des images quoi qu’ils évoquent. La mort, cette inéluctable fin de vie, est aussi imprévisible que notre naissance dont nous n’avons de souvenir que ceux qui nous ont été racontés. La différence entre le début et la fin de l’existence, c’est la vie elle-même et tout ce qui la compose, voulu ou non. Vivre à feux doux, c’est une image de la sérénité dont l’écrivain a parfois l’impression de se moquer, toujours avec un sourire en coin.