Jules Richard
Paul-Émile Borduas :
tableaux d’une vie
Montréal, Somme toute, 2025, 84
p., 19,95 $.
Pour en finir avec Refus global
Bien que je considère le pamphlet Refus global d’août 1948 comme une œuvre phare de la révolution artistique québécoise, préalable à la Révolution tranquille, j’ai peine à lui accorder autant d’influence qu’on lui octroie en dehors du réseau des intellectuels de l’époque. La grève de l’amiante, dite la grève d’Asbestos, en février 1949, a eu une importance aussi, sinon plus déterminante pour la population en général, notamment pour les gagnepetits et les catholiques. Le fait est que Mgr Charbonneau, ayant appuyé les grévistes, a été pointé du doigt par Duplessis jusqu’à Rome et que l’Église le forçat à démissionner de l’archevêché de Montréal et l’envoya en Colombie-Britannique.
Que dire de l’émeute au Forum de
Montréal de 1955 lorsque Maurice Richard fut suspendu? Ou de la remarquable
dramaturgie de la regrettée Denise Boucher, Les fées ont soif,
présentées au TNM en 1978?
On a beaucoup parlé de Refus global, surtout au tour de Jean-Paul Riopelle, au cours des dernières années. A-t-on oublié que la paternité du manifeste est attribuée au professeur et peintre Paul-Émile Borduas? J’ai fait référence à cet artiste de Saint-Hilaire à l’occasion de la recension de Madeleine et moi (Leméac, 2024), un récit dans lequel Marc Séguin, lui-même peintre et plasticien multidisciplinaires, nous entraîne sur la piste de toiles et des décors d’églises d’Ozias Leduc (1864-1955). Or, Borduas fut un élève et un compagnon de Leduc dans la réalisation de certains projets de tels décors.
Profitant de la parution de Paul-Émile
Borduas : tableaux d’une vie, une monographie atypique de Jules
Richard, j’ai voulu mieux connaître ce grand artiste dont on réduit le talent et
l’importance dans l’histoire de l’art québécois au seul pamphlet.
En préparation de la recension de
cet ouvrage, j’ai revisité Écrits I (PUM, collection « BNM », 1987),
une édition critique d’André-G. Bourassa, Jean Fisette et Gilles Lapointe. On y
trouve plus d’une trentaine de textes variés, certains portant sur la pratique
de l’art et les nouveaux mouvements. « La carrière du peintre Paul-Émile
Borduas a été constamment ponctuée par l’écriture : traités et
conférences, manifestes et apologie, propos en direct et en différé. Les textes
(souvent inédits) qui sont réunis sous le titre d’Écrits I vont d’une "défense"
de la perspective au rejet de la ligne d’horizon, de l’"illustration"
de l’art décoratif et de l’artisanat à l’automatisme et à l’expressionnisme
abstrait, de la théorie de la transformation continuelle de l’art et de la vie
jusqu’à celle de la rupture totale. Ce sont en quelque sorte les temps forts de
l’accession du Québec à la modernité qui sont reproduits — et parfois produits
— par l’œuvre de Borduas. »
J’en viens au modeste ouvrage de
Jules Richard qui a des particularités littéraires originales, notamment que
l’auteur a préféré intituler « tableau » chacun des trente courts chapitres
auquel il ajoute un sous-titre évoquant l’atmosphère de l’époque de la vie de
Borduas dans lequel se déroule l’événement ou dans quel état d’esprit était
l’artiste. Si l’ordre chronologique est suivi, certains rappels du passé sont
nécessaires pour être le plus près possible de la pensée du peintre de
Saint-Hilaire.
Paul-Émile Borduas :
tableaux d’une vie n’est peut-être pas le grand essai biographique racontant
Borduas, mais il permet de connaître celui qui fut le maître, au sens scolaire
et d’autorité, d’une génération, les signataires de Refus global, mais
aussi au-delà de ces femmes et de ces hommes qui prirent le document qu’ils
endossèrent au pied de la lettre, leur famille en payant le lourd tribut.
« Ironiquement, Borduas
mourra à Paris en février 1960, juste au moment où le Québec allait enfin
sortir de sa noirceur. C’est comme si le manifeste des Automatistes de 1948
avait enfin porté ses fruits. Mais ce serait injuste et inexact de réduire
Borduas à ce cri de révolte, même s’il aura payé très cher cette audace, dans
un Québec obscurantiste régi par le clergé et la morale des bien-pensants.
Né au début du XXe,
dans une famille catholique, et formé à l’art religieux par Ozias Leduc, il n’aura
cessé de chercher, de se réinventer, de briser les codes, d’épurer sa démarche.
Ce parcours le conduira vers l’abstraction. Véritable chef de file de l’automatisme
au Québec, il aura servi d’inspiration à toute une génération de peintres:
Riopelle, Mousseau, Ferron, Barbeau, Arbour, Sullivan, pour ne nommer que
ceux-là. »
Borduas pouvait-il imaginer que
les élèves à qui il avait insufflé un esprit contestataire, voire
révolutionnaire, allaient appliquer la règle du « tout refuser » à
leur vie personnelle et familiale? Il n’avait sûrement pas pu se figurer les « enfants
du Refus global » dont la triste histoire fut racontée par la cinéaste
Manon Barbeau; elle a trois ans et son frère François un an quand leurs
parents, Suzanne Meloche et Manon Barbeau, les abandonnent.
Paul-Émile Borduas, fort de ses
convictions, ne pouvait entrevoir que certains de ses élèves allaient connaître
un succès retentissant et en venir l’abandonner à son triste sort, lui qui
allait mourir seul et miséreux à Paris?
« La vie de Borduas fut
parsemée d’embûches. Forcé de quitter le Québec au début des années 50, il ne
trouvera son eldorado ni à New York ni à Paris. Paris, qu’il avait tant
magnifiée, sera pour lui une amère déception tant personnelle que professionnelle.
Personnage complexe, Borduas aura toujours été tiraillé entre sa vie de
famille, brisée à la suite du manifeste, et sa vie d’artiste.
Voici donc un portrait de Borduas en 30 tableaux où s’entremêlent la vie et l’œuvre de cet artiste visionnaire. C’est un portrait forcément incomplet, parfois même un peu fantasmé.»