mercredi 18 juin 2025

À Emmanuelle M.

Pour saluer Jean Royer et Gaston Miron 

Peut-on entretenir des relations interpersonnelles avec des écrivain-e-s quand on tient une chronique littéraire? Cela peut-il compromettre notre point de vue sur leur talent ou sur leurs œuvres? Quoi qu’il en soit, cela arrive et c’est bénéfique pour l’un et l’autre, comme ce le fut pour Jean Royer et moi.


Crédit photo : Mathieu Rivard

L’œuvre littéraire de Jean Royer était déjà immense, lui qui était à la fois poète, essayiste, romancier – il faut lire Les trois mains (Bq, 2006), un troublant récit de l’intime –, journaliste littéraire et éditeur. Ses études et analyses du corpus de la poésie québécoise et d’ailleurs en francophonie sont toujours reconnues, dont son Introduction à la poésie québécoise (Bq, 1989 et 2009).

Arpenter le Carré Saint-Louis en sa compagnie était un pèlerinage au pays de la communauté artistique vivant derrière ces murs à l’architecture propre à ce coin de la Métropole. Faire une longue pause devant la maison où Gaston Miron et sa fille Emmanuelle vécurent, et ressentir la vive émotion dans la voix de Jean qui m’amène, métaphoriquement, dans le grand bureau encombré de « Miron le magnifique » et nous voilà dans l’univers du Voyage en Mironie : une vie littéraire avec Gaston Miron.

Véritable journal de bord, ce livre nous fait partager les souvenirs étalés sur plusieurs décennies de compagnonnage et d’amitié démesurée à l’image des protagonistes. D’une part, il y a Gaston Miron, le poète national aux vers et aux recours didactiques largement connus. D’autre part, Jean Royer, mémoire vivante de notre Parnasse. Ensemble, ils forment une redoutable équipe. De Montréal à Paris, Miron n’a jamais cessé de se porter à la défense de la langue parlée et écrite au Québec, ce français nord-américain à la fois semblable et différent de celui de la France, et d’ailleurs en francophonie. Royer se fait ici mémorialiste de ces prises de parole.

Gaston Miron sur parole : un portrait et sept entretiens (Bq, 2007) complète la vaste fresque que dessine ce « voyage en mironie ». Dans sa préface, l’écrivain français Sylvestre Clancier parle du personnage Miron et de son immense talent de colporter la littérature québécoise partout en francophonie, particulièrement en France, et les multiples amitiés qu’il s’est tissées au fil des ans et des voyages. Jean R. précise, en avant-propos, que ce livre fait revivre la parole du poète en étant « fidèle à ses intonations, à ses éclats, à ses harmoniques. » Il a raison : j’ai souvent cru entendre la voix unique et tonitruante de Miron et son rire sonore d’où s’échappe sa timidité.

Jean Royer est décédé le 4 juillet 2019. Son état de santé s’était détérioré depuis le décès de Micheline La France, son épouse, et malgré la réception du prix Athanase-David, deux événements survenus en 2014. Avant de partir, il a écrit son testament littéraire comme seul lui pouvait le faire : quatre ouvrages, tel un quadriptyque composant un vaste tableau illustrant des artisan-e-s des littératures francophones, d’ici et d’ailleurs. La page couverture de chacun d’eux est signée Paule Royer, sa sœur aînée et complice. L’arbre du veilleur (Noroît, 2013), premier de la suite, est « un abécédaire dont l’originalité tient à un jeu de connaissances et d’analyses. Mené comme un récit, il propose des pistes de réflexions et de lecture à partir de quelques aspects de la poésie, dans une approche humaniste et sensible… Près d’une quarantaine d’entrées et une centaine de poètes balisent le parcours. »

La voix antérieure. Paysages et poétiques (2014) ou "L’arbre du veilleur 2" « illustre des approches de la poésie par des thématiques appartenant à l’histoire, à la relation du poète avec le philosophe et le savant, avec des paysages de la poétique. En somme, l’auteur interroge les origines du poème. »

Le volet suivant, La fêlure, la quête : notes sur la poésie (Noroît, 2015), « … propose au lecteur des méditations personnelles sur l’atelier du poète, la quête du langage et les "leçons" de la poésie – la métaphore répondant à la mélancolie, le poème résistant au silence et au sentiment du vide, en vue d’une espérance. »

Jean Royer, prudent, présenta le tapuscrit de L’autre parole : poèmes didactiques (Noroît, 2019) à son éditeur et ami Paul Bélanger qui le publia peu de temps après son décès. Quatrième et dernier volet de "L’arbre du veilleur", ce livre « peut être lu comme une ode à la vie et à l’histoire littéraire, à "l’autre parole", celle de la poésie québécoise actuelle, particulièrement celle des femmes poètes et de leurs thématiques. » Il lui a donné la forme du poème didactique qui « a pour mission d’éclairer notre regard vers les choses et de questionner notre destin. »

Jean m’avait confié avoir entrepris de semer une forêt d’arbres du veilleur et m’en avait décrit le contour lors de l’une de nos rencontres saisonnières. Où trouvait-il l’énergie pour se lancer dans un projet d’une telle envergure, sinon dans sa foi profonde en la poésie.

Merci Jean d’avoir été ce compagnon qui m’a tant appris, surtout l’essence de la poésie qui est un art de vivre où on perçoit même les aléas du quotidien bien plus loin que l’urgence du moment. « Les mots seront / Mon dernier recours » disais-tu, puisque « Né dans le ventre des mots, tu as fait du poème ton corps de mémoire. »

mercredi 11 juin 2025

François Désalliers

Le surveillant

Montréal, Druide, coll. « Alinéa », 2025, 360 p., 27,95 $.

La vie étourdissante de Samuel Paquin

Un livre qui retient notre attention ne signifie pas qu’on suivra chacun des projets suivants de l’auteur. Il arrive cependant qu’une nouvelle création apparaisse sur le radar lecture et que l’argumentaire de l’éditeur donne envie de renouer avec l’écrivain.

Cela m’est récemment arrivé avec un nouveau roman de François Désalliers, Le surveillant. J’ai de bons souvenirs de L’homme-café (2004) et Un été en banlieue (2006), deux de ses précédents récits.

Aussi bien le dire d’entrée de jeu : Le surveillant est une histoire dont la trame est menée de main de maître tout au long de ses 355 pages. Un « page-turner », comme on dit dans le jargon littéraire. Au cœur du récit, le personnage de Samuel Paquin, alias Sam, le surveillant du titre qui veille sur le stationnement de la mairie d’une ville de banlieue. Outre le personnel cadre et quelques autres employés de la municipalité, il y a les contribuables qui passent pour diverses rencontres avec des gestionnaires de services.

Sam est d’une ponctualité métronomique. Tous les matins, il arrive au travail, va ranger son lunch dans le frigo de la cafétéria du personnel et salue Béatrice Ntoumi, l’agent de sécurité d’origine congolaise avec qui il est d’excellents rapports. Après avoir enfilé la veste fluorescente, il intègre son poste et s’assure que les espaces réservés aux cadres sont libres et que ceux des gens de passage sont libres, sauf pour le temps alloué. Il doit aussi s’assurer qu’aucun autre véhicule ne se gare.

Il accueille quotidiennement la directrice des ressources humaines, Élaine Trudeau, dite ET, une femme d’humeur généralement massacrante. Puis, c’est l’arrivée de Ginette Bourdon, DG de la ville; on apprend au fil de l’histoire qu’elle est la conjointe de Luc Boutin, député et ministre, et mère de Marc. Il y a aussi Victor, l’informaticien, un homme discret et d’agréable commerce, avec qui Sam aime bavarder.

On découvre rapidement l’habitude de Sam de se saisir d’une remarque ou d’un avis et d’en faire une description détaillée, sans donner l’impression qu’il fait étalage de son savoir; il s’approprie ainsi un élément d’une conversation pour le situer dans le temps et dans l’espace, comme s’il se parlait à lui-même.

Sam est un solitaire. Outre Lucie Bernier, la propriétaire du duplex où il habite avec qui il a une relation quasi filiale, il voit peu de gens en dehors du travail. Grand lecteur, il passe beaucoup de temps à alimenter ses connaissances. Il faut dire que la vie de Sam n’a pas été un long fleuve tranquille, lui qui, enfant, a perdu ses parents et son frère dans un accident de la route, et que ses grands-parents ont veillé à son éducation.

Après des études en théâtre, il a accumulé les petits rôles durant sa vie active. Retraité de 65 ans, son emploi de surveillant lui permet de joindre les deux bouts sans inquiétude. Un jour qu’il est au travail, Rachel, une ancienne camarade d’études et une amoureuse du moment, passe le saluer. Selon Sam, Rachel l’a quitté pour faire un voyage à l’étranger et ils ne se sont jamais revus depuis. Elle lui parle de sa fille Laura, de son petit-fils Thomas et de Patrick Paquin, le père de ce dernier qui fut, comme lui, surveillant du stationnement avant de disparaître inopinément. Cette situation convient à Rachel qui n’a jamais eu d’atomes crochus avec son gendre, mais il n’en va pas de même pour Laura qui ne s’est jamais remise de cette disparition et qui croit que les forces de l’ordre ont bâclé l’enquête pour le retrouver.

L’histoire de Patrick Paquin a fait grand bruit, car qu’il travaillait alors pour la municipalité. Le soir, il peignait, son art avait une certaine réputation, sans suffire à faire vivre sa famille.

Pourquoi Rachel raconte-t-elle cela à Sam? Chose certaine, c’est là que les péripéties se mettent à dévaler à vitesse grand V, à peine ralenties par le rythme de vie hyper structuré de Sam. Nous nous habituons à ce curieux personnage au fil de l’évolution de la trame évolue et que le mystère qui semble l’auréoler s’élucide. Je ne souffle mot de cette énigme, sinon que Désalliers fait preuve d’ouverture d’esprit et d’humanisme à l’égard des gens « différents » en ayant créé le personnage de Sam et d’en avoir fait le héros du roman.

Outre le va-et-vient régulier dans un stationnement d’hôtel de ville, les citoyens qui tentent de s’y garer sans raison ou les étudiants qui le traversent en faisant les pitres, le travail de Sam convient, malgré le froid de l’hiver ou la chaleur estivale que l’ilot de verdure dissipe légèrement. Ce qui le trouble cependant, c’est ce qu’il entend au sujet des précédents surveillants qui, outre le disparu Poulin, se sont succédé sans raison apparente.

Il faut dire que Laura a tenu à lui raconter de vive voix la disparition de Patrick, parvenant à le convaincre Sam de l’aider à résoudre cette énigme; elle lui confie même tous les documents qu’elle a amassés sur cet événement. Entre-temps, Rachel lui a révélé la véritable raison de leur rupture et de son un hypothétique voyage : elle était enceinte de lui, Laura est sa fille et Thomas, son petit-fils.

L’accumulation des événements et, conséquemment, des péripéties ne confond pas le lecteur, puisque les mêmes personnages sont impliqués dans la majorité d’entre eux.

Sam, sensible aux arguments de Laura – est-elle sa fille ou non? –, s’est mis en tête de reprendre l’enquête où les policiers l’ont abandonnée. Avec l’aide de Lucie, sa propriétaire qui le considère comme son fils, il affiche sur le mur de sa cuisine une arborescence des informations connues sur l’histoire de Patrick Poulin, avec les photos et des articles tirés des journaux de l’époque, pour tenter de voir clair à travers ces données.

Comme si cela ne suffisait pas, Sam pose des questions à ce sujet à Béatrice, la gardienne de sécurité, et à Victor, l’informaticien. Il visite aussi un bar-resto où le disparu avait ses habitudes et questionne le personnel. Il ose même interroger ET qui le rabroue en lui disant que la disparition était chose du passé et que les policiers avaient conclu à un geste volontaire puisque le couple Meunier-Poulin battait de l’aile.

Plus Sam pose de questions, plus cela énerve certaines gens. Un jour, rentrant chez lui, un pick-up le renverse sans s’arrêter. Amener d’urgence à l’hôpital en compagnie des policiers, Sam apprend qu’il a non seulement été frappé, mais qu’il a fait une crise cardiaque au même moment. Sans cet accident, il n’aurait peut-être pas survécu à ses ennuis cardiaques qui étaient graves au point qu’il a dû être opéré.

Croyant pouvoir identifier le conducteur de la camionnette grâce à une toile peinte par Poulin qu’il a vue chez Laura, il en informe les détectives chargés de l’enquête : il s’agit, selon lui, du député-ministre Boutin, l’époux de la DG de l’hôpital. Cela n’arrange rien, car enquêter sur un élu, ministre en plus, n’est jamais simple. Dans ce dossier, Luc Boutin a un alibi en béton et cette piste est vite oubliée. C’est la journaliste Natasha Lévis qui vient en aide à Sam lorsqu’il la rencontre pour lui demander des informations sur la disparition, qu’elle lui précise certaines d’entre elles et en ajoute de nouvelles jamais divulguées.

Plus les péripéties évoluent, plus le mystère semble s’épaissir. Ce sont là des nuages temporaires, car le romancier sait bien nous tenir en haleine en faisant converger les différentes pistes que les enquêtes – celles des forces de l’ordre, de Sam et ses amis – explorent dans une seule et même direction visant à résoudre l’énigme entourant la disparition de Patrick Poulin. À cela s’ajoute la disparition de Béatrice Ntoumi, sans oublier l’accident de Sam lui-même et une certaine Pauline Lavoie, dite la muette, qui de surveillante du stationnement est devenue femme de ménage de l’hôtel de ville.

Plus Samuel Paquin amasse de nouvelles preuves, plus il bouscule les gestionnaires de la ville, plus ces derniers perdent patience, si bien qu’un jour ils le renvoient. Le libellé de la lettre de congédiement est plein de faux prétextes et prouve, d’une certaine façon, que Sam a compris leur stratagème. Il manque un élément clé aux preuves accumulées, une donnée qui peut se trouver dans l’ilot de verdure. Il lui faut convaincre les corps policiers, municipaux et provinciaux, de la nécessité de fouiller ce lieu.

J’arrête ici le narratif de la trame et des péripéties du roman Le surveillant. Je peux cependant vous assurer que François Désalliers a tissé de façon aussi imaginative qu’efficace tous les fils de son histoire avec une chute en apothéose. Tant et si bien que voilà un roman d’aventures dont je recommande la lecture sans hésiter.

mercredi 4 juin 2025

Mark Fortier

Devenir fasciste : ma thérapie de conversion

Montréal, Lux, 2025, 144 p., 24,95 $.

Vaut mieux en rire… jaune

J’écris ces lignes un rare lundi matin ensoleillé. Si le soleil brille de tous ses feux sur un ciel bleu azur, la planète économie brûle de toutes ses bourses depuis que le pyromane en chef s’amuse à allumer des incendies partout sur terre, même sur une île où vivent de pauvres manchots solitaires.

Heureusement pour nous, le sociologue et éditeur Mark Fortier nous invite, sur le ton de l’ironie et du sarcasme, à Devenir fasciste en exposant sa thérapie de conversion. Je résume le propos de son essai en suggérant de regarder l’état actuel de l’univers par l’autre bout de la lorgnette, comme s’il était possible de voir l’envers de ce monde et d’imaginer que nous l’observons du point de vue de l’avaleur de feu, tout en appliquant cette règle d’économie 101 : « If you can’t beat them, join them ».

De prime à bord, changer ainsi de camp peut sembler contreproductif pour quiconque souhaite ardemment éteindre le brasier. Mais, quand on y réfléchit plus sérieusement, on réalise que le feu de l’extrême droite couvait depuis des décennies et qu’il suffisait de craquer une allumette ou même de souffler sur les braises dormantes pour que tout s’enflamme.

L’incendie minait les démocraties petit peu par petit peu. Les pays libres n’avaient pas prévu un service incendie capable de répondre à la pire, à la plus vaste déflagration. Surtout pas que l’explosion vienne de la plus grande économie qui soit.

Cela dit, que fait-on? Mark Fortier en convient : « Que de plaisir j’aurais eu à tenir quelques années encore mon modeste rôle d’esprit libre sur la scène de la vie!... Franchement, s’il n’en avait tenu qu’à moi, j’aurais placé ma vie sous la production de la loi de l’inertie… » Mais comment faire semblant quand la démocratie vacille en faveur de l’extrême droite un peu partout sur la planète : en Italie, en Argentine, en Hongrie, en Inde, en Suède, en Italie, en Turquie, même en France et maintenant aux États-Unis? L’exemple des politiques de Meloni en Italie et d’Orbán en Hongrie que l’auteur rappelle est aussi vrai que déconcertant.

Ce qui peut surprendre encore, c’est l’empressement des personnes les plus riches de capituler devant le nouveau maître de la Maison-Blanche et de son attenance de Mar-a-Lago. Contrôlant les nouvelles techniques de l’information à l’échelle planétaire, ils s’assuraient ainsi de confirmer leur toute-puissance et d’avoir un allié de taille si certains pays voulaient leur imposer de quelconques redevances. Et je ne parle pas ici d’Elon Musk, une institution à lui seul.

Dans ce sympathique contexte, l’essayiste choisit de se ranger du côté des puissants et de devenir fasciste en nous expliquant en quoi consiste sa thérapie de conversion, cette expression à la mode, mais dans de tout autres contextes.

« La première étape de la thérapie de conversion au fascisme, c’est le lâcher-prise. Le sujet doit s’ouvrir intérieurement au changement, laisser agir en lui la peur, s’abandonner aux petites lâchetés et aux compromissions opportunes. Cela ne va pas de soi. Heureusement, des personnalités exemplaires nous montrent comment on peut accepter le changement par degrés, subrepticement, sans coup d’éclat. »

Pour effectuer un changement aussi radical, l’essayiste doit d’abord être en informer les siens. Le chapitre intitulé « Heil Romane! » s’adresse à sa fille à qui il donne le cours d’histoire "fascisme 101". Tour d’horizon des pays où le totalitarisme fait loi, d’hier avec Mussolini à aujourd’hui avec les dirigeants mentionnés précédemment. Un peu d’ironie pour détendre l’atmosphère : les techniques du salut fasciste et le port de la chemise brune. Plus sérieusement, l’interdit du fascisme politique imposé dans certains pays d’Europe est une loi peu ou pas appliquée.

« La nature apparemment insaisissable du fascisme autorise plusieurs analystes à douter de la réalité d’une version contemporaine de cette doctrine. Ceux-ci soulignent notamment l’absence, dans les mouvements analogues d’aujourd’hui, de ce qui a jadis tenu lieu d’identité du fascisme : la culture du combat et de la violence. » Certes l’état d’esprit belliqueux du fascisme pur et dur n’est peut-être pas en activité, mais il veille sous le boisseau. Pensons entre autres à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021.

La droite radicale est peut-être ce qu’il y a de plus près du fascisme, car elle « veut réduire les impôts, elle poursuit des politiques d’austérité, supprime les barrières réglementaires, soumet les communautés aux froids calculs de l’intérêt et aux impitoyables conditions de la compétition entre les entreprises. » De plus, partout « nous assistons à l’avènement d’une "démocratie de mise en scène", spectaculaire, télévisuelle, instagrammable, qui conserve les rituels de la méthode démocratique sans son idéal. Une démocratie sans démocratie. »

Bref, l’être « sans dessein intellectuel qu’est la personnalité autoritaire n’est, hier comme aujourd’hui, que la figuration politique d’une société démocratique privée de substance. » « Les leaders populistes sont pour la plupart des figures carnavalesques. Ils n’ont pas un caractère héroïque. Ils affichent sans complexe leur grossièreté, leur forfanterie, leur fourberie, leur indécence… Ils prennent la réalité à rebrousse-poil, inversent toutes les significations, se permettent toutes les provocations. Les ressorts habituels de la raison et de sa critique n’ont pas d’emprise sur eux. »

M’est-il nécessaire de préciser que ces observations et bien d’autres formulées dans l’essai conviennent parfaitement à l’actuel président états-unien, dont l’essayiste trace un portrait aussi grotesque que le personnage lui-même et de sa façon erratique d’exercer le pouvoir.

Le titre des chapitres suivants de Devenir fasciste : ma thérapie de conversion parlent d’eux-mêmes – l’étrange agonie du démocrate, les libertariens ou les vertus de l’égoïsme, on les pendra avec leur langue et la dictature – et nous guide vers l’impossibilité de devenir fasciste à laquelle l’auteur en arrive, trop de conditions inhérentes à ce totalitarisme lui étant impossible à respecter, particulièrement de s’isoler de ses semblables pour se concentrer sur son unique lui-même.

« Bien entendu, ce "journal de conversion" est une satire, un pamphlet cinglant et comique qui s’en prend aux fascistes, mais en premier lieu à tous ceux qui ont laissé la démocratie se dissoudre. L’auteur s’y compose une psyché autoritariste et s’efforce d’adhérer avec enthousiasme aux convictions de la droite radicale. Il offre surtout un portrait saisissant de la dégradation de nos institutions et une description affligeante de ce qui point lorsque l’on cesse de résister. Heureusement, la thérapie échoue, laissant tout de même ce qu’il faut de raison pour ne pas céder entièrement au désespoir. »

Lire Devenir fasciste : ma thérapie de conversion, l’essai de Mark Fortier, est non pas une thérapie de conversion stricto sensu, mais une bonne dose d’un remède inscrit au compendium de tous les apothicaires, voire des disciples d’Esculape : l’ironie. Croyez-moi, cela fait le plus grand bien en nous insufflant une énergie nouvelle.

Si cette lecture ne vous suffit pas, je vous suggère Le cas Trump : portrait d’un imposteur (Écosociété, 2025), un essai d’Alain Roy, qui entre littéralement dans l’antre de la bête.