mercredi 26 mai 2021

Yvon Paré

Les revenants

Montréal, Pleine lune, 2021, 216 p., 22,95 $ (papier), 16,99 $ (numérique).

Visite au temps jadis

Quelle secousse sismique qu’a créée la rencontre de deux univers littéraires? J’étais à lire Les revenants, un roman d’Yvon Paré, et Ma Chine à moi (Trois-Pistoles, 2021), un nouveau récit de Victor-Lévy Beaulieu, m’est parvenu. À cet instant précis, les aventures de Richard-Yvon Blanc, le revenant du titre, se sont liées à celles du Jack Kerouac de VLB. J’y reviendrai.


 

Parlons d’abord de revenant, un mot qui a plus d’un sens. S’il évoque un retour après une absence plus ou moins prolongée, il fait aussi référence aux esprits ou aux fantômes inattendus ou inespérés. Les revenants du roman d’Yvon Paré sont du côté des absents, car ils ont quitté La Doré, municipalité du Saguenay-Lac-Saint-Jean, pour une durée variable et moult raisons, certaines évoquant des esprits maléfiques.

Il faut voir ce retour aux terres ancestrales comme celui des ouananiches, ces saumons d’eau douce qui remontent le courant jusqu’à leur point d’origine pour aller y refaire le cycle de la vie d’une génération à une autre. Cette métaphore et d’autres se relaient tout au long des épisodes de l’histoire mettant en valeur la faune et la flore de la région où le règne de la nature est aussi vital pour les humains que tout ce qui y vit.

Qui sont celles et ceux qui s’amènent auprès de Richard-Yvon Blanc, amnésique de son état, qui préfère qu’on l’appelle Presquil, comme s’il était une terre liée à une autre, une image forte inspirée du résultat négatif du référendum québécois de 1980? Il y a Félix qui dit connaître Blanc d’avant qu’il ne parte faire des études dans la Métropole et pour réaliser son grand projet : écrire. Il y a Jean-Sébastien, alias Bach, et sa compagne Nokomis qui furent des universitaires. Que dire de Flavie, sinon qu’elle est une artiste multidisciplinaire, arrivée au volant d’un autobus bringuebalant, dont les passions qui l’habitent et la rendent imprévisible.

Il y a aussi M. Melville, de chat qui suit Presquil pour s’assurer qu’il ne s’éloigne pas trop ni trop longtemps par crainte qu’il se perde. Il y a Mammouth, la marmotte « domestique » qui est, à sa façon, l’ambassadrice de la faune sauvage des alentours.

Comment Richard-Yvon Blanc s’est-il retrouvé dans cette grande maison bleue vide? Mystère comme son passé, composé et imparfait, que ses amis, telle une commune de l’époque du « peace and love », tentent de lui redonner en l’aidant à reconstruire sa mémoire pour le libérer de l’amnésie dont il est captif.

À quoi ressemble la vie de cette microsociété? Presquil les voit ainsi : « Je me sentais inutile devant Félix qui sablait, clouait pour refaire une jeunesse au Salutatus. De son côté, Bach collectionnait les champignons, jouait de la guitare pendant des heures, tentait de piéger une mélodie qui ne cessait de fuir. Nokomis croquait chaque seconde comme un morceau de chocolat. Et Flavie cherchait la beauté du bout de ses doigts. Tous avaient un chemin à suivre quand j’attendais sur la galerie, face aux cyprès, la tête vidée de mon passé. » (p. 141-142)

Si la trame est consacrée à cette quête du passé, la narration est bel et bien au présent. Pour distinguer ces territoires, Yvon Paré a fait de son héros le narrateur de sa propre histoire et choisi l’italique pour rendre tangibles – comme une distance narrative observable – ses souvenirs, ses réflexions, son âme, sa conscience.

Je racontai plus haut la croisée du roman Les revenants et du récit de Victor-Lévy Beaulieu. Cette rencontre tient avant tout à la présence constante de Beaulieu dans l’univers de Presquil, dont le Jack Kerouak semble la pierre philosophale de son existence. Le Pistolois se transforme même en un personnage sacral.

S’il est vrai que Les revenants « nous plonge dans une quête identitaire où le réel et l’imaginaire se bousculent depuis la défaite du référendum de mai 1980 », je crois que cela se reflète dans l’atmosphère onirique du récit, de la vastitude de la nature et la grande liberté des protagonistes si différente de celle que les Québécois ont refusée lors du référendum. Yvon Paré nous invite ainsi à faire un voyage au-delà de l’être et du paraître, dans le plus vrai que vrai, le plus grand que grand.

mercredi 19 mai 2021

Marie-Ève Martel et Gabrielle Brassard-Lecours (dir.),

Prendre parole : Lettres de la (plus si jeune) relève journalistique

Montréal, Somme toute, 2021, 120 p., 17,95 $.

Le faux n’engendrera jamais le vrai

Si Obélix, enfant, est tombé dans la potion magique, je suis tombé dans celle, tout aussi énergétique, de l’information – journaux locaux, presse nationale, revues spécialisées, radio, télé – grâce à mon père. Jusqu’à la fin de ses jours, je l’ai vu un journal à la main, quotidiens métropolitains et hebdos régionaux. Il écoutait aussi les infos à la radio et à la télé.

Voilà pourquoi tout ce qui concerne l’information m’intéresse au plus haut point et que je tente de lire, entre autres, les essais qui s’y consacre. C’est ainsi que j’ai recensé ici Extinction de voix : plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale (Somme toute, 2018), un essai de Marie-Ève Martel. Elle y rappelle que la propriété des médias régionaux est passée d’individus à conglomérats, Quebecor ou Transcontinental, et que cette joute de titans a malmené, sinon tué des hebdos. L’essayiste constate aussi que Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM) ont squatté les communautés en appâtant leur principale ressource : la publicité. Que dire de la gratuité des médias sur la toile, sinon que c’est un échec financier.


 

Mme Martel et Gabrielle Brassard-Lecours proposent aujourd’hui Prendre parole : lettres de la (plus si jeune) relève journalistique, un recueil de brefs essais qui fait le bilan de l’état de l’information au Québec. On y lit les réflexions de sept journalistes proposées sous forme d’une lettre que chacun adresse à un correspondant différent : décideurs des médias, journalistes de carrière, internautes, ministres de l’Éducation et de la Culture, membres de l’Assemblée nationale du Québec, journalistes recherchistes, grands consommateurs d’information et enfin quiconque serait tenté de créer son propre média.

On retrouve ainsi Thomas Deshaies (journaliste à Radio-Canada) dans « Sortons du média-spectacle et gagnons la confiance des citoyens »; Émélie Rivard-Boudreau (correspondante régionale pour de nombreux médias en Abitibi-Témiscamingue) dans « La pige pour faire parler les régions »; Bouchra Ouatik (journaliste scientifique à l’émission Découverte, à Radio-Canada) dans « Fausses nouvelles, vrais problèmes »; Marie-Ève Martel (journaliste au quotidien La Voix de l’Est) dans « De la nécessaire éducation aux médias »; Naël Shiab (journaliste à Radio-Canada) dans « Données cherchent journalistes »; Michael Nguyen (journaliste judiciaire au Journal de Montréal) dans « Du renouvellement du savoir »; et Gabrielle Brassard-Lecours (journaliste indépendante) dans « Créer son propre journalisme ».

Martel et Brassard-Lecours racontent en introduction que le projet de cet essai collaboratif leur est venu au sortir « d’une rencontre à l’école d’hiver de l’Institut du Nouveau Monde où nous [Martel et Brassard-Lecours] avions parlé journalisme avec de jeunes adultes qui nous ont abreuvées de questions. Malgré cette curiosité rafraîchissante, nous n’avons pu igno­rer plusieurs constats dressés au cours des échanges avec notre public d’un jour : pratiquement personne ne payait pour des contenus d’actualité; tous, ou presque, s’informaient ex­clusivement en ligne; très peu comprenaient le processus de création d’une nouvelle; et bon nombre ne pouvaient pas distinguer un texte d’opinion d’un reportage neutre. Voilà le portrait du contexte dans lequel nous exerçons notre métier. Ajoutons à cela la compétition féroce des fausses nou­velles en ligne (provoquant du même souffle une importante crise de confiance envers les médias traditionnels), la dégrin­golade croissante et accélérée des revenus qui précarise de plus en plus toutes les ramifications de la profession et un exode des talents. »

L’essentiel de l’essai peut se résumer ainsi : « D’aucuns n’oseraient dire le contraire : les enjeux auxquels se confronte la relève journalistique sont de taille. Pourtant, lorsqu’il est question de l’avenir des médias, ce sont souvent les mêmes voix qui se font entendre; celles de journalistes d’expérience, modèles pour la jeune génération. Bien que leurs contributions aux débats en cours soient essentielles, il est aussi nécessaire d’entendre la relève journalistique, parce que le futur des médias résultera, en grande partie, des décisions que cette nouvelle génération prendra. Dans ce livre, sept d’entre eux s’expriment sur les enjeux de demain, leurs incertitudes et leurs aspirations. De l’indépendance journalistique aux stratégies pour combattre les fausses nouvelles, en passant, entre autres, par la transmission du savoir, la création de nouvelles instances médiatiques et le traitement de données numériques, la diversité des sujets abordés reflète celle des défis qui les assaillent. Si incertain soit l’avenir des médias, les textes réunis ici permettent de réaliser qu’il reste de l’espoir. Et que cet espoir réside dans la relève. »

On a longtemps dit que les médias étaient le quatrième pouvoir en démocratie, un rôle qu’il ne faut pas échapper car plus important que jamais, entre autres face au libertarisme que pratiquent les médias sociaux et la montée des fausses nouvelles comme autant de miroirs aux alouettes.

Mickaël Bergeron

Tombée médiatique. Se réapproprier l’information, Montréal, Somme toute, 2021, 240 p., 24,95 $.

Je vous propose la lecture d’un autre essai, publié à la même enseigne, s’intéressant aux aléas de la carrière d’un journaliste pigiste.

« Fuite des revenus publicitaires, méfiance du public, fake news, virage numérique, compressions budgétaires, réduction des effectifs, fermetures… dire qu’une crise secoue les médias relève aujourd’hui de l’euphémisme. Disons-le franchement : le milieu journalistique est en chute libre. Si aucun coup de barre n’est donné, les entreprises médiatiques continueront de fermer les unes après les autres. Bientôt, il ne restera que quelques structures dans les mains de deux ou trois milliardaires en quête d’influence. Ou encore, une poignée de petits organismes sans moyens. L’infospectacle, les chroniques et les réseaux sociaux resteront les seules façons de s’informer et les assises de la démocratie s’effriteront peu à peu.

Dans Tombée médiatique, Mickaël Bergeron dresse un portrait de la situation en distinguant trois priorités sur lesquelles travailler : le modèle de financement doit être repensé, les médias ont à assumer leurs responsabilités sociales, les salles de nouvelles doivent reconnaître l’importance de la diversité. Au carrefour de l’essai et du manifeste, du personnel et de l’universel, du découragement et de l’espoir, l’ouvrage se veut un plaidoyer pour que cette crise se transforme en opportunité. »

mercredi 12 mai 2021

 Marie Hélène Poitras

La Désidérata

Québec, Alto, 2021, 184 p., 24,95 $ (papier), 14,99 $ (numérique).

Une histoire racontée à l’encre blanche

La fiction littéraire se nourrit de toutes les réalités qui l’entourent pour construire un monde meilleur ou pire. L’écrivaine Marie Hélène Poitras, dont le précédent roman Griffintown (Alto, 2012) lui a permis de remporter le Prix littéraire France-Québec 2013, connaît très bien la route de tous les passages entre réalité et fiction, voire de la fiction à la réalité, dont elle explore les méandres dans son nouvel opus, La Désidérata (Alto, 2021).


 La romancière explore diverses pistes pour situer l’action et les péripéties de ce récit, mais aussi pour projeter une image forte des personnages qui les supportent. Cela m’a rappelé le naturalisme, ce mouvement de la fin du 19e siècle qui se résume ainsi : « Les naturalistes reprennent la nature aux sources mêmes, remplacent l’homme métaphysique par l’homme physiologique, et ne le séparent plus du milieu qui le détermine. » (Laffont-Bompiani, p. 699)

Et si La Désidérata était un roman gigogne dont les interactions s’imbriquent les unes dans les autres sans que le fil ténu qui les unit soit perceptible?

Nous voilà donc au domaine de la Malmaison, à deux pas ou du village de Norax. Tout se joue dans ce micro univers entre la pérennité des habitudes et des mœurs d’autres époques, et la précarité de l’instant présent qui a la tentation de tout faire imploser. La famille Bertoumieux règne sur Malmaison et, d’une certaine façon, sur toute la région puisque l’aîné de la descendance, prénommé Bernard, impose sa loi dont nous découvrons la puissance des aléas, côté pile et côté face.

« Dans cette famille issue de la bourgeoisie de Noirax, les pères sont un. Seul diffère leur choix d’animaux d’élevage et c’est ainsi qu’ils se distinguent. Il y eut le père aux bufflonnes, le père aux tourtes, le père aux berbex et le père aux ânes. Pour varier le menu, chacun des pères peut se servir à l’occasion de l’abondance de sangliers et de lièvres, sans décimer les lignées. Chacun fut vaincu par sa désidérata, puis relevé par un fils. Les mères devinrent matrones tonitruantes ou alors transparentes puis effacées. » (p. 50)

Tout semble bucolique dans le paysage des terres où la nature est luxuriante, les oiseaux chantants et les lapins gambadant insouciants dans les bois et les prés que broutent les moutons « dondaine, dondon ».

Oui, l’autrice a essaimé ici et là du récit les vers tirés de comptines évoquant le temps de l’enfance dont la candeur n’aura été qu’un leurre au domaine. Elle a également inséré des paroles de chansons populaires dont l’incidence ramène le présent, ce temps des changements ou des transformations. Les textes ainsi empruntés sont en italiques et créent un espace visuel entre eux et le récit qu’ils amplifient.

Outre le Maître des lieux, on rencontre la bougresse, celle qui fut la nourrice de Jeanty, le fils de la maison, comme elle le fut d’autres enfants dont on semble avoir perdu trace. La communauté de Noirax n’est pas en reste, car le métier de chacune et chacun sert à tout un chacun, et que tous sont les témoins silencieux des activités, licites ou non, du domaine.

Deux éléments du décor de la grande maison retiennent l’attention, chacun fixant une image d’un passé défini. D’abord, il y a cette femme dont la sculpture ornemente les portes du puits, qui se prénomme Héléna – « Héléna, la désidérata première, n’a pas été oubliée. Ni aucune de celles qui ont suivi » (p. 35) – et dont nous comprenons plus tard l’importance dans la vie des Berthoumieux. Puis, il y a un tableau de Poedras, –peintre naturaliste de père en fils –, un portrait de la famille de Bernard; d’autres œuvres de l’artiste se trouvent au grenier et d’autres encore sur les murs de la Maison des parfums, chacune immortalisant une page de l’histoire des Berthoumieux.

Cette seconde habitation du domaine fut jadis celle Pampelune, l’épouse décédée. Une aura de mystère auréole icelle qui est aussi la mère de Jeanty, ce fils parti au loin pour une histoire d’amour, ce jeune homme qui rentre au bercail pantois alors que son père nourrit de grands espoirs par-devers lui. Non seulement faut-il bien préparer Jeanty à son devoir de maître du domaine, mais il faut aussi lui trouver une épouse qui lui convienne, selon les critères du père.

Or, ce dernier attend avec impatience l’arrivée d’une jeune femme, Aliénor, qui lui a proposé de venir moderniser les habitudes maraîchères et d’élevage qui prévalent depuis des décennies à Malmaison. En attendant, Bernard arpente le domaine avec son fils pour lui enseigner la chasse et les autres activités prévalentes à ses futures tâches de maître des lieux. Ce que le père ignore, puisque ce fut son épouse qui éduqua Jeanty, c’est que ce dernier préfère de beaucoup s’habiller en femme à tout ce qui a trait à la culture, l’élevage, la chasse et autres masculinismes.

L’arrivée d’Aliénor – dont le prénom évoque celui d’Aliénor d’Aquitaine qui, au 12e siècle, influença deux royaumes en devenant reine de France et d’Angleterre – marque une véritable révolution de château. Qui est-elle au-delà de toutes ses demi-vérités, ses qualités et ses connaissances qui ont séduit le vieux Berthoumieux? C’est en découvrant petit à petit les secrets qui embrument le domaine et le bourg de Noirax que nous comprenons qui est vraiment la jeune femme.

Marie Hélène Poitras confiait à propos de ce personnage qu’il « aura le visage et la voix d’Anna Mouglalis ». Lisant sur cette actrice française, je comprends qu’elle convient tout à fait à l’Aliénor du roman, sa fougue et sa détermination à remettre les pendules à l’heure quitte à tout bousculer et, inévitablement, à briser le cercle infernal dans lequel des générations de Berthoumieux tiennent les femmes passant au domaine.

Je tais le comment et le pourquoi des réformes qu’Aliénor met en oeuvre, mais je retiens qu’elles mettent en lumière les misères faites aux femmes du domaine, les parturientes notamment, et le silence complice des marchands et marchandes de Norax des ignominies des descendants Berthoumieux.

Ce cri de justice devient un jugement irrévocable qu’écrit désormais Victoire, la nourrice qui, sous l’impulsion d’Aliénor, sort de son mutisme pourtant déjà libéré quand il s’agit de gérer l’organisation de la grande maison. Quant à Jeantyl, il s’assume enfin, se vêt des robes qui lui plaisent et devient Jeantylle au grand dam de son père. Nul esprit de vengeance de la part des femmes, mais une prise de parole et le pouvoir d’abattre le mur invisible qui les emprisonnait en les faisant les amantes de passage des hommes Berthoumieux, mais jamais l’épouse promise.

La dernière séquence de La Désidérata se déroule au présent du récit, mais aussi dans la réalité de sa trame, elle fictive. Cette jonction entre réalité et fiction ou de la fiction à la réalité s’opère avec maestria, Marie Hélène Poitras semblant s’en donner avec fougue et passion à l’écriture comme un moment de plaisir jouissif. La trame imaginée pour la chute de la narration semble régler tous les comptes à la réalité machiste racontée et rendre aux femmes leurs droits inaliénables.

Est-il trop tôt pour écrire que La Désidérata est déjà un roman marquant de 2021? Je ne crois pas, car c’est exactement l’histoire qu’il raconte et l’art littéraire avec lequel elle est racontée transcende l’espace-temps en rejoignant l’universelle intemporalité.

mercredi 5 mai 2021

Bernard Pozier (dir.)

Écrits des forges : 50 ans de poésie 1971-2021, anthologie

Trois-Rivières, Écrits des forges, 2021, 262 p., 22 $.

Toujours jeune à 50 ans

Les années 1960 à 1970 furent marquantes pour le milieu de l’édition québécoise, car plusieurs nouvelles maisons ont été créées pour répondre au besoin urgent de publier la pléthore de jeunes autrices et auteurs. Parmi ces nouvelles adresses, il y eut les Écrits des Forges fondés en 1971 par Gatien Lapointe, poète et professeur de création littéraire à l’UQTR, avec quelques-uns de ses étudiants.

Aujourd’hui, Bernard Pozier dirige la maison trifluvienne dont il fut longtemps directeur littéraire. Écrivain et retraité de l’enseignement collégial, il connaît mieux que quiconque l’importance des anthologies qui permettent d’explorer de nouvelles avenues littéraires, de découvrir de nouveaux talents jusqu’à vouloir pousser plus loin le plaisir d’entendre leur voix.



Louise Blouin et Pozier publient ainsi Poètes des Écrits de Forges (Bibliothèque québécoise, coll. « Petite anthologie de la poésie québécoise », 2003) et Espace Québec, 65 poètes québécois (Écrits des Forges  / Le Castor Astral, 2005). Puis, Pozier publie, en compagnie de Josyane De Jesus-Bergey, Québec 2008 : 40 poètes du Québec et de France (Écrits des Forges / Sac à mots, 2008).

Mettant à profit son expérience d’éditeur et de passionné de poésie, Bernard Pozier a préparé une nouvelle anthologie : Écrits des Forges : 50 ans de poésie 1971-2021 (Écrits des Forges, 2021). Cet important recueil « dresse un portrait vivant du travail d’édition qui a été entrepris en 1971 par Gatien Lapointe ». L’anthologiste souligne dans la préface : « À l’origine, la maison publiait de deux à quatre ouvrages par an, un peu sous l’enseigne : les étudiants de Gatien Lapointe. Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, les Écrits des Forges sont devenus une maison d’édition internationale de poésie, publiant chaque année environ une vingtaine de livres dont certains en coédition avec des éditeurs de divers pays… Insistant sur l’importance de l’aspect multigénérationnel du catalogue de la maison et sur l’ouverture à toutes les formes de la poésie pratiquée par les poètes de chaque génération, Bernard Pozier précise : "Sur le plan éditorial, la maison a toujours tenu à cette idée de la poésie ouverte, capable d’accueillir de multiples formes, de forger des voies et des voix à l’infini, au-delà des générations, des lieux et des époques." »

Ce « florilège de poètes qui, depuis les tout débuts, ont publié au moins un livre de leur vivant aux Écrits des Forges » compte 101 poètes québécois, 30 poètes français, 40 poètes mexicains ainsi que 45 poètes de divers horizons dont Zachary Richard, Serge Patrice Thibodeau, Gérald Leblanc, Herménégilde Chiasson et même Lawrence Ferlinghetti, poète de la « Beat generation » décédé en février dernier.

Un seul texte de chacun de ces 216 écrivaines et écrivains appartenant à diverses époques des Écrits des Forges, mais aussi, sinon surtout, à différentes générations dont on peut apprécier la diversité du discours poétique. Entre Rina Lasnier qui, oui, publia à cette enseigne, et Yves Boisvert ou Claude Beausoleil, il y a un monde tant dans la thématique que dans le tissu poétique. Autres temps, autres mœurs : certes, mais surtout un horizon qui s’élargit entre autres en s’interrogeant sur la société où vivent les plus jeunes – il y a 20 ou 50 ans, par exemple – et qu’ils veulent à leur image coûte que coûte.

Jacques Paquin note avec justesse, dans la préface de Poètes des Écrits de Forges (Bq, op.cit)), que « contrairement aux autres grandes maisons de poésie comme l’Hexagone, Les Herbes rouges ou même le Noroît (fondé comme les Écrits des Forges en 1971), il est à première vue plus difficile de cerner la spécificité littéraire des Écrits des Forges. » C’est en lisant tout doucement Écrits des Forges : 50 ans de poésie 1971-2021 que la singularité de l’éditeur trifluvien s’affirme : non seulement les autrices et auteurs québécois assument leur personnalité littéraire, mais celles et ceux venus d’autres univers, francophones ou non, s’inscrivent parfaitement dans l’unicité qui tourbillonne dans leur diversité.

Je fais mienne la conclusion du professeur Paquin qui convient tout à fait à la nouvelle anthologie : « Ce qui frappe à la lecture de cette anthologie, comme d’ailleurs du catalogue entier des Forges, c’est la variété des voix, jamais assujetties à une tradition, à une école ou à un consensus dicté par l’institution littéraire. Elle rend compte de cette diversité en présentant une sélection de poèmes qui témoigne de l’esprit de jeunesse qui anime encore et toujours les Écrits des Forges. » (14)

 

Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose (dir.),

Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec, 2000-2020

Montréal, Remue-Ménage, 2021, 288 p., 24,95 $.

Quand la poésie s’exprime au féminin


En 1991, Anthologie de la poésie des femmes au Québec : des origines à nos jours, sous la direction de Nicole Brossard et Lisette Girouard parut aux Éditions du remue-ménage; c’était le premier ouvrage du genre entièrement consacré aux poètes québécoises, réunissant initialement 183 d’entre elles. 30 ans plus tard, Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose considèrent leur travail comme une suite à cet ouvrage. Ce livre poursuit donc « le travail d’historicisation de la poésie des femmes en actualisant ce répertoire qui ne cesse d’augmenter et de gagner en popularité. [L’ouvrage] présente le travail de cinquante-cinq poètes qui incarnent les mouvances de la poésie québécoise actuelle [c’est-à-dire des vingt dernières années]. Outil de référence, ce livre propose de découvrir et de célébrer, dans une approche intersectionnelle et intergénérationnelle, une sélection d’œuvres frondeuses d’un milieu en pleine effervescence. » N’oublions pas qu’une collection de cette envergure illustre un vaste pan d’un écosystème littéraire qu’il faut protéger.