mercredi 29 janvier 2025

Lise Gauvin et Fawzia Zouari (dir.)

La francophonie au féminin : un espace à inventer

Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Legba », 2024, 200 p., 19,95 $.

Femmes de tous les pays francophones : unissez-vous!

Devant La francophonie au féminin : un espace à inventer, un collectif dirigé par Lise Gauvin et Fawzia Zouari, mille images ont émergé de mes plus intimes convictions, dont celle évoquée par Jean Ferra en 1975 voulant que la femme soit l’avenir de l’homme. Ce livre est composé des actes de la cinquième rencontre internationale du Parlement des écrivaines francophones, tenue en avril 2024, sous les auspices du festival Metropolis bleu, en partenariat avec l’Académie des lettres du Québec.

Cet ouvrage est composé de dix-neuf communications présentées lors de cette rencontre, lesquelles reflètent des préoccupations des participantes sur les rapports avec la langue, son usage et sa vulnérabilité, sur le partage des territoires où la langue maternelle, au sens littéral, n’est pas le français, mais plutôt la langue de la société, ce qui entraîne que la littérature dite nationale peut se multiplier comme au Canada où coexistent la littérature canadienne-anglaise, québécoise et francophone hors Québec.

Le titre des cinq chapitres en balise le contenu, tout en évoquant l’étendue des projets. Ainsi, il y a « la francophonie au féminin : un espace à inventer », « les commencements : écrire quand on est une femme », « écrire en français : pour une francophonie décomplexée », « écrivaines francophones en Amérique : une espèce menacée » et « procès : les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses? »

En parcourant chacune de ces avenues où on aperçoit l’intelligence personnalisée et diversifiée d’une francophonie à inventer, on découvre que l’ensemble des communications dessine l’architecture d’un projet global. En introduction, Lise Gauvin suggère « une francophonie revisitée et resémantisée » et Fawzia Zouari, « le Québec comme emblème d’un féminin francophone ». Pour sa part, Gérald Gaudet, président de l’Académie des lettres du Québec, souligne « un devoir de littérature. »

Chacun des chapitres s’ouvre sur une brève mise en situation, composée d’une suite d’interrogations sur le sujet abordé. Si on se concentre sur l’ensemble des questions, on distingue, sans équivoque, les pièces d’un puzzle planétaire qui, assemblées, forment une gigantesque fresque d’un univers où les femmes occupent tous les espaces fondamentaux de la société, sans aucune discrimination.

Les chapitres suggèrent des réponses concrètes à cet essaim de revendications. Ce faisant, selon la culture et l’engagement de chaque auteure, certaines problématiques sont résolues sans ambages, d’autres ont pour toute explication encore plus de questions.

Un exemple m’a particulièrement fait réfléchir : le français, langue du colonisateur. Au Québec, le colonisateur Français, après nous avoir abandonnés aux mains de l’Angleterre, n’est plus un odieux maître, mais la France conserve une aura de supériorité sur notre culture, la dépendance à l’Académie française en est un exemple. Or, nous avons notre propre Académie des lettres et, en matière linguistique, nous avons l’Office de la langue française du Québec dont la réputation n’est plus à faire au sein des pays francophones, ses divers lexiques étant à l’affut des néo-vocabulaires, dont la féminisation de titres de fonction et le vocabulaire des nouvelles technologies comme des réalités sociales émergentes.

« Comment se conjugue la francophonie au féminin? Que signifie aujourd’hui pour les écrivaines "écrire en français"? Pour qui écrivent-elles? Pourquoi? La francophonie au féminin est un ouvrage polyphonique qui met en dialogue les voix, vécus et réflexions d’écrivaines des Amériques, de l’Afrique, des Antilles et du monde arabe. Elles écrivent à la croisée des langues dans des contextes où le français se trouve en relation concurrentielle, parfois conflictuelle, avec d’autres langues. Ce livre est une prise de parole féminine sur les grandes questions qui secouent les sociétés. Penser la langue, c’est aussi penser le monde dans lequel elle est pratiquée, et penser le monde auquel les écrits s’adressent. Un monde où la voix des femmes a souvent été empêchée, sinon interdite encore aujourd’hui. Cette voix aux multiples tonalités, le Parlement des écrivaines francophones s’est donné le mandat de la faire entendre. »

Débuter 2025 par une réflexion sur « la francophonie au féminin » me semble un projet porteur d’avenir. Je vous y invite comme chacune de ces écrivaines venues de partout sur la planète de la Francophonie qu’il faut connaître, reconnaître et, surtout, protéger.

mercredi 22 janvier 2025

Antidote 12

Montréal, Druide informatique, 2024

L’Académicien numérique

Vous connaissez ma passion pour les dictionnaires et autres outils linguistiques. Si la majorité de ces ouvrages paraissent en format papier, d’autres sont exclusivement disponibles en format numérique. Je me rappelle ainsi de Hugo Plus, « le premier logiciel québécois de correction grammaticale » créé par Francis Malka, plus tard intégrée à la suite Microsoft Office.

Puis, vint Antidote créé par Druide informatique en 1993 et mis en marché en 1996. C’était là une nouvelle génération d’outils d’aide à la rédaction, comprenant un correcteur et une suite de dictionnaires. Année après année, ce logiciel a été mis à jour et de nouvelles moutures ont été offertes. Nous en sommes à Antidote 12.

Comme je l’ai déjà écrit, l’utilisation d’Antidote ne rend pas plus intelligent, mais de plus en plus compétent en écriture, car ce logiciel, au fil de ses différentes versions, a étendu ses talents jusqu’à en faire un véritable conseiller linguistique capable de proposer différents usages d’un même mot selon le contexte grâce au dictionnaire des occurrences.

Mis en marché en octobre dernier, Antidote 12 a recours à l’intelligence artificielle (IA) générative au service de l’écriture en ajoutant cinq fonctions de reformulation. Le correcteur a de nouveaux moteurs neuronaux et offre une toute nouvelle « Correction Express » qui pose ses diagnostics directement dans les navigateurs. Du côté des dictionnaires et des guides, non seulement sont-ils enrichis, mais ils s’intéressent davantage aux locutions et aux différences entre le français et l’anglais.

Avant de revenir sur chacune de ces nouveautés, je me dois de préciser que, désormais, l’acquisition d’Antidote devient obligatoirement un abonnement annuel à Antidote+ et que l’achat unique n’est possible que pour celles et ceux qui étaient propriétaires de la version précédente (Antidote 11). Étant propriétaire de cette version et des précédentes, j’ai pu acquérir Antidote 12 et l’utilise quotidiennement depuis sa sortie. Pour être au fait du fonctionnement d’Antidote+ et aux fins de cette recension, Druide informatique m’a fourni cette version et je l’ai installé sur un autre ordinateur pour le mettre à l’essai.

Revenons à Antidote 12 appelé Antidote +. La notion de reformulation en cinq variantes est un acquis qui devient vite incontournable. Il permet de réécrire, retoucher, épicéniser, modérer ou raccourcir le mode d’expression employé. Le guide d’utilisation du logiciel fournit une explication précise pour chacune des variantes. Par exemple, il précise qu’épicéniser « propose une alternative inclusive aux noms de la sphère professionnelle ou publique qu’on a utilisés ou accordés uniquement au masculin ou uniquement au féminin. Dans cette tâche, Antidote+ adopte les recommandations de ses propres guides, diversifiant autant que possible les procédés d’inclusivité. »

De prime abord, ce nouveau talent d’Antidote peut donner l’impression d’alourdir l’application, ce qui n’est pas le cas, car ces suggestions sont disponibles et non imposées. Il en va du niveau de connaissance et d’usage du français de chaque utilisateur quant au choix qu’il fera de ces propositions. Pour ma part, les reformulations me permettent une réflexion plus pointue du registre du discours à employer dans diverses situations de communication. Chose certaine, une telle aide « profite de la puissance de l’IA générative de façon simple et contrôlée, et me fournit des résultats respectant mon propos. »

Et le correcteur, me dites-vous avec insistance? Relié à tous les outils linguistiques dont dispose Antidote +, de « nouveaux moteurs neuronaux augmentent fortement sa perspicacité. » L’ajout de la « Correction Express » mentionné plus haut est, à mon avis, une des améliorations que les usagers apprécieront le plus, car cette fonction « apporte ses diagnostics directement dans les navigateurs : les soulignés apparaissent dès la frappe dans les applications sur le Web – on s’habitue rapidement à ces « pop up » –, et un clic suffit à appliquer une correction. La « Correction Express » donne même accès à la reformulation sans quitter le navigateur. » Encore ici, je me réjouis de cette nouvelle fonctionnalité qui, j’ose espérer, éliminera une partie de la novlangue si présente, sur le NET en général et particulièrement sur les réseaux sociaux.

L’« Anti-Oups! », qui vérifie les courriels avant leur envoi, ajoute une nouvelle détection : celle du ton vexant ou trop familier; elle aidera à éviter une bévue en signalant les passages rédigés sous le coup de l’émotion, et proposera au besoin des reformulations. »

Ce que je considère comme la pierre angulaire d’Antidote+, ce sont ses dictionnaires. S’ils ont entre autres conservé le lien à Wikipédia, au Grand dictionnaire terminologique – une des fiertés de l’Office de la langue française du Québec qui fait des jaloux partout en francophonie –, à Termium et à Google, tous « les dictionnaires sont mis à jour et plus de 3 200 nouveaux mots et locutions sont ajoutés. Un traitement approfondi des locutions leur permet maintenant d’avoir leur propre entrée, avec synonymes, cooccurrences, champs lexicaux et citations. Des remarques éclairent l’origine de plus de 100 locutions mystérieuses, comme tout de go et à la queue leu leu. Les guides accueillent de nouveaux articles, incluant un guide qui décrit les principales différences entre le français et l’anglais pour les utilisateurs des deux langues.

L’anglais s’enrichit de 4 700 nouveaux mots et locutions. Il bénéficie lui aussi de l’approfondissement des locutions et apporte également de nouveaux articles de guides, dont la contrepartie anglais-français du guide bilingue. »

Tous ces outils linguistiques doivent évidemment être accessibles directement dans les applications les plus utilisées, selon les besoins des usagers. Antidote 12 améliore son intégration aux applications en ligne comme Google Docs, Outlook et Gmail, incluant l’Anti-Oups! pour ces deux dernières. Par ailleurs, l’ « Anti-Oups! » fonctionne maintenant avec Antidote Web. » Ce dernier « hérite de la plupart de ces nouveautés, et Antidote Mobile profite des améliorations aux dictionnaires et aux guides. Les abonnés à Antidote+ obtiennent gratuitement la nouvelle édition, sur tous leurs écrans : l’Espace client les invite à télécharger Antidote+ pour Windows et Mac, Antidote Web est mis à niveau dès aujourd’hui, et l’App Store mettra Antidote Mobile à jour. Les propriétaires d’une édition antérieure peuvent passer à Antidote+ sur www.antidote.info.

Enfin, la boite d’Antidote+, proposée chez les détaillants, inclut un cadeau inédit pour un temps limité : Antidote : le jeu. Ce jeu de cartes imprimées compte 500 questions de connaissances générales pour s’amuser en famille ou entre amis.

Voilà brièvement résumé le potentiel d’Antidote 12, désormais Antidote+. L’utilisant tous les jours depuis sa mise en marché, je vous assure que tout ce qu’on dit de cette nouvelle édition du logiciel est bien vrai. Mon seul regret, et les gens de chez Druide le savent, c’est qu’Antidote ne soit toujours pas disponible sur Android et je comprends pourquoi; cependant, la plate-forme de Meta est plus stable que jamais et certains fabricants d’appareils, entre autres Pixel ou Samsung, suivent au jour l’évolution du système.

Cela ne gâche pas pour autant mon plaisir d’utiliser Antidote+ qui peut être un investissement personnel ou familial, un abonnement annuel familial est disponible. Passez le mot!

mercredi 15 janvier 2025

Jean Lemieux

L’affaire des Montants

Montréal, Québec Amérique, coll. « QA Fiction », 2024, 300 p., 29,95 $.

Surprenant de retour aux Îles

Bienvenus dans l’univers du policier André Surprenant, personnage au cœur des aventures que le romancier Jean Lemieux lui consacre. Intitulé L’affaire des Montants, cette neuvième histoire ramène le sergent-détective du SPVM aux Îles-de-la-Madeleine où il a séjourné alors qu’il était à l’emploi de la SQ.


Pourquoi ce retour aux Îles? D’abord, la une d’un quotidien montréalais qui relate l’assassinat de Florence Turbide, 41 ans, mère de trois enfants et propriétaire de la bergerie Moutons des Montants, d’où le titre du roman. Pour les collègues de Surprenant, cette histoire revêt un certain intérêt, car le compagnon de cœur et d’affaires de la défunte est un certain Philippe Santoro, « trente-huit ans, un ingénieur marseillais recycler serveur » au Petit Albert, « un bistro du centre-ville associé à vous savez qui… », comprendre le clan Rizzuto.

Surtout, il y a cet appel matinal de « son ami et ex-entraîneur de hockey », « Platon Longuépée » qui décrit la victime « comme sa belle-fille ou sa nièce par alliance » et qu’il croit qu’il n’y a qu’« un amariné comme toi qui peut tirer ça au clair. » (16) Notez ici le mot tiré du lexique des Îles, amariné signifiant « habitué à la mer, aux manœuvres, au régime du bord. »; l’auteur utilise d’autres mots et expressions de ce coin du Québec, ce qui donne plus d’authenticité géographique au récit.

Incapable de résister à cet appel, Surprenant convainc son patron au poste de la Place Versailles de le « déléguer » pour venir en appui aux agents de la SQ aux Îles, avec l’accord de ces derniers va sans dire. Le sergent détective n’est pas à sa première entourloupette pour obtenir ce qu’il veut et ce voyage dans ses anciens quartiers quelques jours avant Noël ne lui déplaît pas. Ne lui reste qu’à convaincre Geneviève, sa compagne, qu’il sera de retour le 24 décembre, surtout que cela risque le dernier temps des fêtes pour sa mère Nicole. Geneviève comprend que son homme ne passera pas un joyeux Noël s’il ne va pas sur le terrain et qu’il rentrera au bercail pour la raison que l’on sait. Et voilà André Surprenant en route.

Sur place, il est associé à Olivia Mansour, « signe distinctif : j’ai pas l’air d’une police. » Il constate qu’en effet « elle ressemblait davantage à une finissante du secondaire qui allait dormir chez sa best qu’à une sergente-enquêteuse de la SQ. » Les présentations faites, le Montréalais va chercher son véhicule de location avant de rejoindre sa collègue. Le locateur est Louis Schofield, l’ex-conjoint de la défunte et père de leurs trois enfants, un personnage que le détective reverra plus d’une fois.

Surprenant retrouve Mansour à l’endroit convenu et elle lui fait le topo des faits – Florence T. a été assassinée d’un coup « d’un pistolet puissant, peut-être en haut de .40 » en pleine face après avoir vu son chien mourir, un montagne des Pyrénées blanc – et de la quasi-absence de preuves recueillies sur les lieux du drame, ce qui est déjà, pour lui, le signe qu’on a voulu maquiller le meurtre.

L’Auberge de la Pointe où le sergent détective s’installe est la propriété de Nectaire Turbide, parent avec Florence comme avec tous les Turbide des Îles descendants de Rosaire, décédé dans le naufrage de la Rose-Angèle il y a longtemps.

Retrouvant Olivia chez elle, ils discutent en mangeant une chaudrée de fruits de mer qu’elle a cuisinée. Répondant à ses questions, elle lui apprend que Moutons des Montants est à la fois bergerie et resto. La bergerie, c’est Florence, le resto, c’est Santoro. En réalité, Youssouf est un marmiton que Santoro a fait venir de la Métropole; marocain d’une cinquantaine d’années, on découvre sa longue expérience avec les moutons et son absence aux Îles, le soir du crime. La vraie chef du resto, c’est Louise-Anne Arseneau, Elle pour tout le monde; amie d’enfance et inséparable de Florence, elle fut son associée à l’origine de la bergerie. C’est la dernière personne à l’avoir vu vivante.

Revenons chez Olivia Mansour. « La première chose que [Suprenant] avait remarquée en entrant chez elle était, à côté de la table à manger, un tableau de liège d’un mètre et demi de côté monté sur un chevalet. Chronologie, acteurs principaux, questionnements étaient épinglés en colonnes rectilignes sur de petites fiches de couleur découpées à la main. » C’est à partir de ces informations qu’elle fait le premier breffage à son invité. Deux choses à retenir à ce stade : Elle Arseneau n’est pas la première suspecte, mais elle lui a appris qu’à son avis, « Florence s’apprêtait à mettre Santoro dehors ».

Le poste de la SQ aux Îles ne ressemble plus à celui de l’époque de Surprenant. La lieutenante Marlène Johnson est, aux dires de la jeune détective, « une TOC finie », c’est-à-dire qu’elle souffre d’un trouble obsessionnel compulsif qui a suffi pour se voir confier un poste avec peu d’effectifs, car il ne s’y passait pas grand-chose.

Jean Lemieux, en vieux routier du polar, sait nous faire imaginer ses personnages en quelques mots, tout au plus une ou deux images, peu importe leur rôle dans l’histoire. Il ajoute en temps et lieu les informations supplémentaires nécessaires au déroulement de l’action, par exemple celles concernant les techniciennes du poste qui viennent en soutien aux enquêteurs.

Tout est dans les détails, dit-on des romans policiers, comme lors de véritables enquêtes. Ainsi, lorsque André Surprenant revoit les photos prises au moment de la découverte de Florence Turbide, il note que l’œil droit « exprimait l’horreur, mais aussi la surprise », une observation plus réaliste qu’un lecteur averti retiendra.

Faisons comme Olivia Mansour et son tableau de liège, et mettons-nous en tête les personnages croisés. Le premier, on se souvient, Louis Schofield, l’ex de Florence. Il a pour alibi d’avoir passé la soirée avec Delphine, l’aînée de ses enfants, les frères jumeaux étant chez des amis. Le père et la fille ont regardé Casablanca, un vieux film en noir et blanc aux dires du paternel qui n’est pas chaud à l’idée qu’on interroge sa fille.

Le second personnage, Nectaire Turbide, tenancier de l’auberge, servira à raconter ce qui s’est passé au cours de la soirée tenue à l’occasion de la fête organisée par l’Office du tourisme de la région qui s’est déroulée au resto, à quelques mètres de la bergerie. Philippe Santoro était à la cuisine et Elle remplaçait le cuistot Youssouf qui a pris l’avion plus tôt ce jour-là. S’y trouvait également Paule Greco qui remplaça Elle au four quand celle-ci partit pour accompagner Florence, gagnée par la fatigue dont on connaîtra la cause plus tard.

Le personnage de Santoro intéresse particulièrement les enquêteurs, bien qu’il semble avoir un alibi béton. Il faut dire que « le restaurateur possédait cette qualité subtile, le charme, qui rendait plus intrigant le fait que certains de ses voisins ne semblaient pas le tenir en haute estime. » Surprenant, ayant utilisé ses contacts montréalais, sait que Santoro était « passé d’ingénieur à Marseille, à garçon de table au Petit Albert sur la rue Mansfield à Montréal ». Explication simple et rapide : un divorce compliqué. Puis, il y a eu son coup de foudre pour les Îles et sa rencontre avec Florence Turbide. Ils sont devenus un couple, malgré la détestation que Delphine lui vouait, tout comme certains partenaires d’affaires. Bref, tout roule dans son univers, surtout ce qu’il tait.

La maison de Mme Turbide, le resto et la bergerie ont été mis sous scellés pour fins d’enquête et inspectés plus d’une fois pour tenter d’y ramasser des preuves pouvant être utiles à l’enquête. Les environs, tous à proximité de ces bâtiments, sont passés au peigne fin, même si le vent a fait son œuvre dès le soir du crime.

Les informations arrivent au compte-gouttes, les observations sur le terrain sont peu concluantes. À moins, bien sûr, que l’enquête ait démarré sur de fausses pistes, ce que suggère un coup de feu entendu par un voisin de Florence, la veille de son assassinat. C’est une des réflexions que Surprenant se fait en promenant l’autre chien, le montagne des Pyrénées semblant en piteux. Après quelques balades, l’animal a repris la forme et se montre plus enjoué. Un soir au cours d’une sortie, il s’arrête net sur la route et se met à gratter la glace jusqu’à ce que des éclaboussures de sang apparaissent : c’est exactement là où sa maîtresse et son quadrupède de compagnon ont été assassinés. Le sergent détective comprend l’ennui du survivant, ce qui pouvait expliquer son état de santé.

L’enquête progresse à petits pas et, malgré l’efficacité du travail d’équipe, le temps commence à manquer, Surprenant devant rentrer à Montréal le 24 décembre. Ce dernier finit par avoir une conversation téléphonique avec le Marocain Youssouf qui lui confirme que travailler avec le couple Turbide-Santoro n’était pas simple et que, s’il n’avait eu qu’à prendre soin du troupeau, les choses se seraient mieux déroulées.

Deux événements se produisent coup sur coup, ce qui alimente les recherches. D’abord, la découverte d’un garage derrière la bergerie, où se trouve une Alfa Roméo dont la clef est parmi celles accrochées près de la porte arrière de la résidence du couple Turbide-Santoro. Le second est la découverte par Audrey Lelièvre, compagne d’Octave Loiseau, d’un « gun » dans la boîte de gros sel au bas de l’entrée en côte.

Bien que Loiseau n’ait pas toujours été d’accord avec Florence, elle n’en demeure pas moins une parente et il n’a pas le profit d’un meurtrier. Quant à l’Alfa Roméo, Santoro l’utilise pour aller régulièrement à Montréal depuis un certain temps – quels sont les motifs? –, elle est retrouvée calciné, le policier veillant le site s’étant assoupi en pleine nuit.

On s’énerve à la SQ et la collaboration des contacts montréalais de Surprenant commence à embêter ses supérieurs. Le stratagème que l’inspecteur imagine est tel un coup de poker comme il en a souvent joué dans sa carrière. Il expose son subterfuge à Olivia Mansour et ils le mettent à exécution. J’arrête ici la relation de l’aventure, sinon pour dire qu’un ou une présumé-e coupable est pris au piège, que l’enquête se poursuivra pour s’assurer que les preuves recueillies mèneront à sa condamnation.

Chose certaine, André Surprenant est rentré à temps à Montréal où Geneviève, son amoureuse, l’attendait pour le conduire, à sa surprise, à Iberville où toute la famille était réunie autour de sa mère Nicole.

Faire la recension d’un roman policier de haut niveau pour l’inculte que je suis de ce genre n’est pas simple, surtout que plusieurs histoires d’apparences secondaires sont reliées au cœur de la trame – notamment ici des histoires de famille, incluant celle du personnage principal et de son oncle (sic) Roger – et nourrissent les péripéties, parfois comme si elles étaient des mises en abyme, des histoires dans l’histoire.

La météo hivernale nous invitant à nous encabaner, avant ou après les sports de saison, L’affaire des Montants vous sera un excellent compagnon de détente, tout en sachant que ses intrigues vous tiendront bien éveiller à mener votre propre enquête d’une péripétie à l’autre.

mercredi 8 janvier 2025

Marc Séguin

Madeleine et moi

Montréal, Leméac, 2024,120 p., 16,95 $.

« L’art illustre une volonté » 

J’ai de l’admiration pour les œuvres Marc Séguin, artiste multidisciplinaire dont le talent est aussi grand que son attention et son écoute de la société actuelle et passée. Ses romans, sa poésie et son journal de bord illustré intitulé L’atelier (Fides, 2021) qui m’est devenu un refuge pour contrer la bêtise humaine. J’y suis d’ailleurs souvent revenu pour me replonger dans l’univers de sa créativité picturale, si bien que je ne suis pas autrement étonné que Madeleine et moi, son nouvel opus paru l’automne dernier, soit le récit de sa rencontre artistique avec l’œuvre du peintre Ozias Leduc (1864-1955), maître de l’art décoratif religieux dont les toiles sur chevalet sont méconnues.

Séguin nous prévient : ce livre n’est pas un essai sur une œuvre complexe, mais le récit de sa découverte de « Labour d’automne » (1901), une toile qui lui fut une épiphanie, l’ampleur du travail de Leduc, son génie créateur et l’invention de techniques qui lui survivent mettant en perspective son propre art. Dès cette rencontre, Séguin a fait une place dans son agenda déjà chargé pour explorer l’ensemble de l’œuvre du peintre de Saint-Hilaire, au Musée national des beaux-arts du Québec et dans cinq églises québécoises qui abritent beaucoup de son patrimoine.

Séguin se fait guide muséal en rendant compte et en commentant les œuvres, la plupart étant intégré à l’architecture d’un bâtiment. Il les observe de son point de vue d’esthète et de peintre, ce qui lui permet d’attirer notre attention sur des détails techniques allant, par exemple, de la pigmentation de certaines couleurs, au procédé pour les obtenir et même à la technique au marouflage qui consiste à coller une toile faite en atelier ou un revêtement décoratif sur la surface d’un plafond, d’un mur. Ce n’est pas tant la difficulté du collage que Séguin note, mais le travail d’imaginaire et de création préalables à l’exécution de l’œuvre qui, complétée, formera un ensemble pictural mis en valeur par divers compléments.

Parallèlement à ses visites, Marc Séguin raconte son travail de créateur, soit dans son atelier montréalais, soit dans celui de l’Île-aux-Grues. Cela nous permet de mieux connaître sa façon de pratiquer son art de la peinture, qu’il conçoit plus comme un métier que l’artiste patenté qui se gausse de son statut.

Le fil conducteur entre Leduc et peintre Séguin est une toile de l’Hilairemontais intitulée "Madeleine repentante". Découverte par hasard, cette œuvre peu connue de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec l’a ému au point où il s’est approprié le thème en faisant une suite de Madeleine dont nous pouvons voir près d’une vingtaine « d’essais » à la fin du livre.

Je vous suggère d’ailleurs d’aller sur le site du MnbaQ (https://collections.mnbaq.org/fr) faire une visite virtuelle de la collection des toiles d’Ozias Leduc, en étant particulièrement attentifs à « Labour d’automne » (1898-1902), la toile qui a amené Séguin à sa recherche du patrimoine pictural de Leduc, ainsi qu’à « Madeleine repentante » (1901) qu’il s’est approprié en peignant l’émotion que la toile de Leduc lui a fait ressentir.

Je ne ferai pas ici une à une la visite des six lieux, majoritairement des églises, faite par l’auteur. Je retiens cependant qu’il a eu la sagesse de consulter Laurier Lacroix, l’exégète des œuvres d’Ozias Leduc à qui il a consacré une large part de son travail de reconnaissance artistique. Cela m’a rappelé la visite d’un grand musée d’Italie, la guide nous prévenant que nous allions nous arrêter devant des toiles choisies parmi celles qu’elle a étudiées en profondeur et dont elle peut mieux nous en faire apprécier la technique picturale et le génie créateur de l’artiste. Pour Marc Séguin, lui-même artiste peintre, M. Lacroix a pu lui faire examiner des détails qui dépasseraient les observations du commun des mortels, mais qui sont significatifs pour un artiste. De plus, Lacroix a pu mettre en perspective les œuvres d’une église à l’autre et même permettre à Séguin de visiter des lieux généralement interdits au public.

Revenons à Madeleine et moi, alors que l’écrivain nous entraîne dans ses ateliers. Ces pages sont aussi intéressantes que celles qui traitent d’Ozias Leduc, car elles nous font entrer dans l’univers de Séguin, l’homme et le peintre. Je retiens la toute dernière séquence débutant par « Retour à l’île ». L’écrivain y raconte le trajet menant à l’Île-aux-Grues, en véhicule tout-terrain, en nous faisant littéralement vivre les sept kilomètres par temps d’automne. Il nous fait ainsi ressentir les caprices du climat et entendre le jappement des oies blanches accompagnant celui de son chien.

« Trajet heureux. Plein de promesses. Qu’elles se réalisent ou pas, c’est l’envie qui fait avancer. Ou une forme de mirage. C’est toujours le cas pour un artiste. » Et les promesses de ce séjour sont celles de la Madeleine et moi. « Plusieurs fois j’ai tenté de peindre et de représenter le territoire. Chaque fois, encore, comme ces Madeleine, j’ai produit des œuvres incomplètes. Qui m’ont laissé insatisfait. Peut-être sommes-nous condamnés à ne jamais avoir de sentiments heureux. Peut-être faut-il ne jamais ressentir ce que l’on cherche à offrir et à donner. » Nous sommes ici devant une quête dont la réalisation est d’avoir créé un objet nommé toile, une « étrange preuve d’avoir un peu existé. Le reste de la patente est une marée de doute. »

Toujours à l’Isle, mais une autre fois : « Pris dans la tempête de vents et de rafales…, je suis resté trois jours de plus à l’Isle. À relire sur Ozias Leduc, mais surtout à regarder encore et encore des reproductions de ses œuvres. Avec encore autant, sinon plus d’admiration. L’homme a réussi, surtout dans sa peinture de chevalet, à résoudre l’équation du sens et de la beauté. Parfois – le constat sera dur, car j’en connais plusieurs –, certains artistes sacrifient leur génie au profit de leur talent, parce que c’est plus payant, populaire et immédiat. Monsieur Leduc a su éviter cet écueil. »

Ce qui manque à Madeleine et moi, si je puis dire, ce sont l’illustration des deux toiles sur lesquelles Séguin insiste; je suis donc allé les revoir sur le Web à maintes reprises durant ma lecture. Curieusement ces toiles m’ont semblé être comme intrusion dans l’univers psychique de Marc Séguin, le peintre réfléchissant sur un de ce pair qu’il admire et l’écrivain qui met en mots des histoires dont certains fils sont aux couleurs de Leduc et d’autres à sa propre palette, le tout formant une immense fresque intitulée Madeleine et moi.