Marie-Sissi Labrèche
Un roman au four
Leméac, 2025, 160 p.,
22,95 $.
Conciliation fragile entre écriture et famille
Huit romans déjà? Et bien oui, déjà vingt-cinq ans que Marie-Sissi Labrèche a fait une entrée fulgurante dans le beau monde de la littérature grâce à Borderline (2000) et à La brèche (2002). Ces histoires ont été portées à l’écran, par Line Charlebois en 2008, sous le titre de… Borderline.
Labrèche n’a pas fini d’en
découdre avec son alter ego littéraire et elle lui fait vivre une nouvelle
aventure grâce à Un roman au four. Ou serait-ce une
"inaventure", de celle où les obligations quotidiennes squattent
l’entièreté du temps que son antihéroïne aimerait bien consacrer à autre chose.
Mais, que voulez-vous, elle est mariée « à un workaholic et [elle est] mère
d’une adolescente victime d’intimidation à la polyvalente. »
« T’appelle ça vivre, toi
Marie-Sissi? », aimerait-on chuchoter à l’oreille de la narratrice, mais
cela ne suffirait pas, j’en suis sûr. Il vaudrait mieux lui crier haut et fort
pour qu’elle sorte la tête du four infernal dans lequel le quotidien la laisse s’user
à petit feu… d’ici à ce qu’elle y enfourne le roman qu’elle finira bien un jour
par écrire. Elle sait pourtant que « la meilleure façon d’écrire un roman
c’est une phrase à la fois, je ne suis pas sortie du bois, de l’auberge, de mon
putain de bungalow pourri. »
À l’autofiction qu’elle
privilégie par-dessus tout, la romancière ajoute un nouvel ingrédient : un
récit sans point ni coup sûr, oups je parle littérature non pas baseball. Un
récit, dis-je, sans point, mais qui fait un usage stratégique de la virgule.
Pour une narratrice qui avoue ne pas toujours comprendre l’orthographe de
certains mots – l’histoire des moines qui, au Moyen Âge, ajoutaient des lettres
aux mots, car ils étaient rémunérés à la lettre, lui revient – ou de ne pas
retenir la signification de certaines figures de style, l’oxymoron par exemple,
ou encore le combat persistant qu’elle mène avec le participe passé qu’un
politicien de chez nous aimerait bien faire disparaître une fois pour toutes –
de quoi se mêle-t-il? – et toutes les questions de langue qui lui sont une
suite de problèmes récurrents J’avoue partager certaines de ses inquiétudes et,
comme la narratrice du temps où elle enseignait la mise à niveau ou donnait des
ateliers d’écriture au collégial, je comprenais parfaitement le regard dubitatif
de certains élèves se sentant comme Sisyphe devant l’impossible montagne lexicale
ou grammaticale à grimper.
Comment demeurer créatif quand on
est la seule à tenir la maison et la famille à bout de bras? Quand il y a peu ou
pas de reconnaissance pour les écrivaines, les vraies et non celles qui se sont
hissées au rang des vedettes et dont je tais le nom? Il faut aussi courir après
quelques contrats – de pubs débilitantes, d’articles gnian-gnians, etc. – pour
ramener des sous à la maison afin de garder l’impression d’être encore un peu financièrement
indépendante.
Marie-Sissi Labrèche fait presque
l’inventaire des tâches domestiques jadis dévolues aux femmes au foyer pour
lesquelles son ingénieur de conjoint – Français pour compléter une caricature cocasse
et désobligeante à souhait– n’a aucune appétence. Si elle le lui fait
remarquer, il s’y essaie pour démontrer sa totale incompétence. Puis, il ne
faut pas oublier Bérénice, son ado de fille qui, intimidée à l’école, se pose
en victime incapable de lever un petit doigt pour se défendre. Aider sa mère?
Nenni, les tâches domestiques. Il faut dire que cette mère, comme l’écrivaine l’a
raconté dans son premier roman, a subi une enfance qu’elle ne veut pas
reproduire avec sa fille. Comment alors parvenir à lui donner une bonne
éducation quand les modèles qu’on a eus sont pourris?
Malgré tout, la narratrice
persiste à s’asseoir à sa table de travail, jour après jour, car, « faire
de la création littéraire ne veut pas nécessairement dire sortir des choses de
son imaginaire, de toute façon on ne peut pas inventer à partir de rien, et
puis la création littéraire n’était finalement que la volonté de raconter le
plus justement possible ce que cette salope de vie nous fait subir… » Il
lui faut alors « se boucher les oreilles pour ne plus entendre les
demandes incessantes du mari, de la gamine, de la chatte, du poulet à mettre au
four et, comme une Sisyphe des temps modernes, elle se remet à la tâche, pousse
son rocher et écrit. »
Mais, se couper du monde ne
signifie pas se couper de son propre monde qui, dieu sait, grouille de toutes
sortes de souvenirs, ceux de sa mère schizophrène morte en institution après
lui avoir fait subir une enfance de misère, la seule qu’elle connaisse et dont
l’écriture, a-t-elle compris, est le seul remède pour protéger sa vie d’adulte,
une adulte qui ne sait pas trop comment vivre son manque d’une enfance
irrécupérable.
Si on a parfois l’impression que
la trame du récit est une suite d’élucubrations sur la quête d’une raison
d’être une femme émancipée, une mère pas tout à fait indigne et une écrivaine,
« une recluse qui se joue dans les tripes à cœur de journée », c’est
que s’adonner à l’autofiction s’est se mettre à nu sans réserve, sans pudeur.
Offrir ainsi ses tripes au
premier lecteur, c’est aussi exprimer son point de vue sur tout ce qui dépasse
du jupon de la société et qui l’agresse. La richesse, par exemple, qui octroie
aux très, très bien nantis tous les privilèges qu’on vous refuse, même les
chiches bourses pour travailler à un prochain roman. L’écrivaine a l’œil averti
et ses observations de certains travers de la société, entre autres le
capitalisme abusif ou toutes les obligations périphériques qu’on impose aux
auteur-e-s pour en faire des marchands de culture, sont toujours en accord avec
son discours personnel.
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