mercredi 28 mai 2025

Marie-Sissi Labrèche

Un roman au four

Leméac, 2025, 160 p., 22,95 $.

Conciliation fragile entre écriture et famille

Huit romans déjà? Et bien oui, déjà vingt-cinq ans que Marie-Sissi Labrèche a fait une entrée fulgurante dans le beau monde de la littérature grâce à Borderline (2000) et à La brèche (2002). Ces histoires ont été portées à l’écran, par Line Charlebois en 2008, sous le titre de… Borderline.

Labrèche n’a pas fini d’en découdre avec son alter ego littéraire et elle lui fait vivre une nouvelle aventure grâce à Un roman au four. Ou serait-ce une "inaventure", de celle où les obligations quotidiennes squattent l’entièreté du temps que son antihéroïne aimerait bien consacrer à autre chose. Mais, que voulez-vous, elle est mariée « à un workaholic et [elle est] mère d’une adolescente victime d’intimidation à la polyvalente. »

La narratrice voudrait écrire, mais « elle est constamment happée par les mille et une tâches quotidiennes : le linge sale qui s’empile, les draps à changer, la toilette à nettoyer, les emplettes à aller chercher, les repas santé à préparer, les légumes à éplucher, à mettre en dés ou en biseaux, les viandes à décongeler, les sauces à touiller, les devoirs de la petite à superviser, les comptes à payer, les médicaments à gérer, la litière de la chatte à changer et rebelote… et, bien sûr, le poulet à mettre au four, le satané poulet qui poursuit l’écrivaine jusque dans ses rêves où elle se voit enceinte de croquettes. »

« T’appelle ça vivre, toi Marie-Sissi? », aimerait-on chuchoter à l’oreille de la narratrice, mais cela ne suffirait pas, j’en suis sûr. Il vaudrait mieux lui crier haut et fort pour qu’elle sorte la tête du four infernal dans lequel le quotidien la laisse s’user à petit feu… d’ici à ce qu’elle y enfourne le roman qu’elle finira bien un jour par écrire. Elle sait pourtant que « la meilleure façon d’écrire un roman c’est une phrase à la fois, je ne suis pas sortie du bois, de l’auberge, de mon putain de bungalow pourri. »

À l’autofiction qu’elle privilégie par-dessus tout, la romancière ajoute un nouvel ingrédient : un récit sans point ni coup sûr, oups je parle littérature non pas baseball. Un récit, dis-je, sans point, mais qui fait un usage stratégique de la virgule. Pour une narratrice qui avoue ne pas toujours comprendre l’orthographe de certains mots – l’histoire des moines qui, au Moyen Âge, ajoutaient des lettres aux mots, car ils étaient rémunérés à la lettre, lui revient – ou de ne pas retenir la signification de certaines figures de style, l’oxymoron par exemple, ou encore le combat persistant qu’elle mène avec le participe passé qu’un politicien de chez nous aimerait bien faire disparaître une fois pour toutes – de quoi se mêle-t-il? – et toutes les questions de langue qui lui sont une suite de problèmes récurrents J’avoue partager certaines de ses inquiétudes et, comme la narratrice du temps où elle enseignait la mise à niveau ou donnait des ateliers d’écriture au collégial, je comprenais parfaitement le regard dubitatif de certains élèves se sentant comme Sisyphe devant l’impossible montagne lexicale ou grammaticale à grimper.

Comment demeurer créatif quand on est la seule à tenir la maison et la famille à bout de bras? Quand il y a peu ou pas de reconnaissance pour les écrivaines, les vraies et non celles qui se sont hissées au rang des vedettes et dont je tais le nom? Il faut aussi courir après quelques contrats – de pubs débilitantes, d’articles gnian-gnians, etc. – pour ramener des sous à la maison afin de garder l’impression d’être encore un peu financièrement indépendante.

Marie-Sissi Labrèche fait presque l’inventaire des tâches domestiques jadis dévolues aux femmes au foyer pour lesquelles son ingénieur de conjoint – Français pour compléter une caricature cocasse et désobligeante à souhait– n’a aucune appétence. Si elle le lui fait remarquer, il s’y essaie pour démontrer sa totale incompétence. Puis, il ne faut pas oublier Bérénice, son ado de fille qui, intimidée à l’école, se pose en victime incapable de lever un petit doigt pour se défendre. Aider sa mère? Nenni, les tâches domestiques. Il faut dire que cette mère, comme l’écrivaine l’a raconté dans son premier roman, a subi une enfance qu’elle ne veut pas reproduire avec sa fille. Comment alors parvenir à lui donner une bonne éducation quand les modèles qu’on a eus sont pourris?

Malgré tout, la narratrice persiste à s’asseoir à sa table de travail, jour après jour, car, « faire de la création littéraire ne veut pas nécessairement dire sortir des choses de son imaginaire, de toute façon on ne peut pas inventer à partir de rien, et puis la création littéraire n’était finalement que la volonté de raconter le plus justement possible ce que cette salope de vie nous fait subir… » Il lui faut alors « se boucher les oreilles pour ne plus entendre les demandes incessantes du mari, de la gamine, de la chatte, du poulet à mettre au four et, comme une Sisyphe des temps modernes, elle se remet à la tâche, pousse son rocher et écrit. »

Mais, se couper du monde ne signifie pas se couper de son propre monde qui, dieu sait, grouille de toutes sortes de souvenirs, ceux de sa mère schizophrène morte en institution après lui avoir fait subir une enfance de misère, la seule qu’elle connaisse et dont l’écriture, a-t-elle compris, est le seul remède pour protéger sa vie d’adulte, une adulte qui ne sait pas trop comment vivre son manque d’une enfance irrécupérable.

Si on a parfois l’impression que la trame du récit est une suite d’élucubrations sur la quête d’une raison d’être une femme émancipée, une mère pas tout à fait indigne et une écrivaine, « une recluse qui se joue dans les tripes à cœur de journée », c’est que s’adonner à l’autofiction s’est se mettre à nu sans réserve, sans pudeur.

Offrir ainsi ses tripes au premier lecteur, c’est aussi exprimer son point de vue sur tout ce qui dépasse du jupon de la société et qui l’agresse. La richesse, par exemple, qui octroie aux très, très bien nantis tous les privilèges qu’on vous refuse, même les chiches bourses pour travailler à un prochain roman. L’écrivaine a l’œil averti et ses observations de certains travers de la société, entre autres le capitalisme abusif ou toutes les obligations périphériques qu’on impose aux auteur-e-s pour en faire des marchands de culture, sont toujours en accord avec son discours personnel.

En refermant Un roman au four, j’ai eu l’impression d’avoir pris un café avec une amie qui, à bâton rompu, m’a entretenu de ce que lui est arrivé depuis notre dernière rencontre, tout en faisant des rappels d’événements d’autrefois qui l’amènent encore à penser ainsi ou à poser des gestes sans prévoir les conséquences immédiates. Le récit décousu de cette amie est à l’image de sa personnalité publique, du moins celle qu’elle entretient depuis vingt-cinq ans et la parution de Borderline. Le seul filtre qu’elle se permet pour notre plus grand plaisir, c’est de teinter son propos d’une autodérision qui désamorce même les événements les plus dramatiques qu’elle raconte.

jeudi 22 mai 2025

Katia Gagnon (dir.)

Devenir journaliste : le métier vu du terrain

Montréal, La Presse, 2025, 368 p., 27,99 $.

Bonne presse, mauvaise presse

La presse écrite sous toutes ses formes fait partie de mon quotidien depuis ma plus tendre enfance. J’ai connu ses heures de gloire alors que les journalistes, toutes catégories confondues, retenaient l’attention de la population jusqu’à être considéré comme le quatrième pouvoir.

« L’expression " quatrième pouvoir " désigne la presse et les médias. Par extension, le quatrième pouvoir regroupe tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l’État (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire), en recourant au principe de protection des sources d’information des journalistes. » (Wikipédia, 17 mars 2025)

Il fut un temps où chaque région du Québec avait un hebdomadaire dirigé par le diocèse, cette unité territoriale de l’Église catholique, qui veillait sur les bonnes nouvelles au détriment des événements sur lesquels on mettait le couvercle sur la marmite en ébullition. Il en allait de même pour les principaux partis politiques dont l’influence était distribuée à travers les pages des hebdos.

Il y avait surtout que la presse écrite se présentait sur support papier, lequel a littéralement disparu au cours des dernières décennies. Le Canada français que vous avez entre les mains, comme d’autres hebdos d’Ici média, tient le coup depuis 165 ans, tel le village des fiers Gaulois.

Or, nous sommes actuellement les témoins d’une guerre ouverte contre la presse en général et les journalistes en particulier qu’on accuse de tous les maux. Les salves dirigées vers eux sont incessantes au point où on peut même observer une paranoïa collective à leur endroit.

Devenir journaliste : le métier vu du terrain, un collectif d’auteurs du milieu journalistique sous la direction de Katia Gagnon, arrive à point nommé, car il remet les pendules à l’heure en analysant de façon détaillée la profession de journaliste.

« Les journalistes de La Presse+ vous livrent les secrets du métier dans cet ouvrage indispensable à qui s’intéresse à la couverture de l’actua­lité. Dans un contexte de désinformation et de baisse de confiance du public envers les médias, un livre sur les dessous du journalisme s’imposait. »

« Comment les journalistes s’y prennent-ils pour dénicher des nouvelles exclusives, vali­der leurs informations, capter et conserver notre attention? Comment parviennent-ils à tirer les vers du nez d’un fraudeur? À gagner la confiance de membres du crime organisé? À aborder les proches d’une victime à la suite d’un drame ou à convaincre une personne réticente de leur accor­der une entrevue à visage découvert? » Voilà autant de questions auxquelles dix-sept journalistes apportent des réponses qui allient les aspects théoriques et les dimensions pratiques, en général ou selon leur pratique respective.

Si l’essai s’adresse d’abord aux futurs journalistes, les autrices et auteurs, habitués des communications intelligibles et intelligentes qu’exige la presse écrite généraliste, savent faire œuvre utile, voire pédagogique, pour tous les lectorats.

La première partie de l’ouvrage s’intéresse à sept aspects du travail des journalistes en général; la seconde, à 13 formes de journalisme spécialisé.

Quels sont les aspects du travail journalistique? « La nouvelle, mission de base » porte sur la matière incontournable de l’activité journalistique. S’il faut d’abord la dénicher, il faut retenir que le « scoop » n’est pas toujours évident et qu’il ne fait pas toujours partie de la nouvelle en soi. Le ou la journaliste doit donc être à l’affut des sujets qui peuvent être l’objet d’une vraie nouvelle. Les sources sont nombreuses, allant de la simple observation de l’actualité rapportée par d’autres médias à l’analyse des documents émanant des divers paliers de gouvernement, des divers blogues d’intérêt public ou des divers réseaux sociaux.

Que dire de la loi d’accès à l’information ou du calendrier d’organismes dont les activités concernent la population en général? Il ne faut surtout pas oublier les contacts que les journalistes établissent dans l’exercice de leur travail et qu’ils doivent entretenir positivement, de telles relations difficiles à établir peuvent connaître une fin abrupte pour une question de détail.

La nouvelle identifiée, il faut ensuite s’assurer de sa véracité et vérifier son intérêt public. Rappelons-nous ici qu’un article suivra un parcours avant de nous arriver. Outre le reporter, il y a le photojournaliste, le ou les chefs de division, le réviseur, le pupitreur ("filet de sécurité des journalistes"), le graphiste, le second réviseur, le directeur de l’édition et le contrôle de la qualité.

Qui dit journaliste, dit écriture de la nouvelle. N’oublions pas qu’il s’agit de règles générales, les journalistes spécialisés devant les adapter à leur champ d’activités. Évidemment, le titre d’un article est le signal qui doit attirer l’attention du consommateur d’information sur le sujet qui sera développé. Si le journaliste doit le suggérer, c’est au titreur, la personne qui a une vue d’ensemble des informations contenues dans l’édition et qui devra l’ajuster au besoin.

Le fameux premier paragraphe, pierre d’achoppement de l’article, doit répondre « à la règle de base du journalisme : si un lecteur ne devait lire qu’un seul paragraphe de votre article pour comprendre la nouvelle, ce serait celui-là. » (31) Ce premier paragraphe – chapeau, amorce ou « lead » – doit répondre à « cinq questions en "w" de la langue anglaise : who, what, where, when, why. » (31) Quant à sa forme, elle peut varier, allant de la citation à une énumération en passant par le "human interest", c’est-à-dire le côté plus personnel de la nouvelle qui peut toucher plus directement le lecteur.

Chacune des sept sections de Devenir journaliste traite d’un aspect du travail journalistique et se termine par une réflexion de Jean-Hugues Roy sur le métier. Voyons-les : s’informer est un besoin, le journalisme est un miroir, le journalisme est un service public, le journalisme est une profession, le journalisme est une institution, le journalisme est un dialogue et le journalisme est un bien public.

Outre l’abc de la nouvelle et de sa diffusion écrite, le guide s’intéresse à d’autres outils dont dispose le journaliste dans l’exercice de sa profession. Il y a ainsi l’entrevue comme colonne vertébrale du reportage; les chiffres dont on précise l’utilisation; le "feature" (« n’importe quel texte court, moyen ou encore très long, qui n’est pas collé sur l’actualité chaude, qui n’entre pas dans la catégorie "nouvelle". »), le talent de conteur du journaliste; le portrait ou l’art de peindre avec les mots; l’enquête, champ de mines du reporter; le journaliste et la loi.

La seconde partie de Devenir journaliste : le métier vu du terrain s’intéresse aux différents genres journalistiques. Ce sont : la couverture des faits divers; les affaires policières et criminelles; le journalisme du "beat" ou de l’actualité quotidienne dans différents domaines d’intérêt général; le reportage à l’étranger; le journalisme économique; le journalisme politique; le journalisme scientifique; le journalisme sportif; le journalisme culturel; le photojournalisme; le journalisme constructif qui peut affecter directement la population; le journalisme d’opinion.

Avec l’arrivée des informations en continu, la répétition des informations est inévitable. Cependant, cela n’enlève rien à la rigueur professionnelle que les journalistes doivent avoir allant jusqu’à corriger une information qui s’avère fausse ou mal interprétée. Que dire des réseaux sociaux ou des blogues, sinon que leur sérieux dépend de qui ils relèvent. Lorsqu’ils sont le canal de diffusion d’informations d’un individu ou d’un groupe d’opinion, il faut être prudent face à leur contenu.

Devenir journaliste : le métier vu du terrain mérite toute notre attention, car il explique noir sur blanc en quoi consiste le travail du journaliste, généraliste ou spécialisé, et les règles qui régissent son travail, de la cueillette des informations à la rédaction d’un article, du photojournalisme à la parution ou la diffusion. Chez nous, les membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la FPJQ, sont soumis à un code déontologique qui est disponible sur le site de l’organisme (https://www.fpjq.org/fr/guide-de-deontologie) et que nous pouvons consulter.

Chose certaine, les journalistes professionnels occupent toujours une place importante dans notre société et s’il faut rester attentif à leurs propos, il faut aussi nous assurer du sérieux de leur travail, notamment à prenant connaissance d’informations croisées entre différents médias.

mercredi 14 mai 2025

De Petit-Goâve à Cavaillon

Pour saluer Dany Laferrière et Rodney Saint-Éloi 

Je salue Dany Laferrière et Rodney Saint-Éloi en ce printemps 2025. Tous deux sont entrés dans mon panthéon littéraire grâce à leurs ouvrages et leur humanisme, mais aussi par des rencontres fortuites. Je vous raconte.

Juin 1998, dans les allées d’un disquaire montréalais, je croise Dany et Maggie Berrouet, son épouse. Ils discutent autour de Montand chante Prévert. Je vaincs ma timidité et me permets de leur dire tout le bien que je pense de l’interprétation de Montand des vers du poète.

En mai 2004, quittant le Marché de la poésie de Montréal, Patricia Lamy, une amie attachée de presse, me présente Rodney, écrivain et éditeur chez Mémoire d’encrier. La bonté qui se dégage du visage de ce dernier, entouré de dreadlocks grisonnantes, m’émeut.

L’œuvre de Dany Laferrière est aussi diverse que considérable. Cela peut sembler paradoxal pour celui qui a écrit : « Un matin de février 1984, il y a quarante ans de cela, je me suis réveillé dans le grand froid montréalais, avec cette idée étrange qu’on ne devrait pas écrire plus d’un livre. »

J’ai sous les yeux Autobiographie américaine (Bouquins, "la collection", 2024) qui, avec ses 1 300 pages, illustre le paradoxe du livre unique. Ces dix fictions nous font entrer dans un seul et même univers par des avenues différentes, selon les époques et la trame que l’écrivain a tissée pour chacune avec de semblables fibres. Une place de l’Étoile imaginaire dont le Carré Saint-Louis serait le centre.

Pourquoi qualifier d’Américaine ses histoires réunies? « Venant d’un pays qui a connu l’esclavage et la dictature, et ayant longuement vécu dans des villes comme Montréal, Miami ou New York, avant de parcourir São Paulo, Mexico, San Juan ou Buenos Aires, je me sentais comme un arbre qui marche dans sa forêt. J’ai fouillé dans l’histoire pour découvrir que cette Amérique continentale était le rêve de Bolívar dont la devise se résumait à "Un continent, un pays". Tant de cultures diverses que les écrivains de ce continent ou de ce pays allaient m’apprendre. J’ai donc décidé d’entreprendre une longue balade littéraire, en commençant par cette Caraïbe où j’ai pris naissance, et où je suis tombé, un jour de pluie, sur le recueil du poète haïtien René Philoctète "Ces îles qui marchent". Je note dans mon calepin noir ce vers rimbaldien : "Je suis venu vers toi, nu, et sans bagages". C’est donc les mains libres et la tête légère que j’ai entrepris cet interminable voyage dans cette Amérique bigarrée et survoltée. »

Qu’attendait-il de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (VLB, 1985), son premier roman? « D’abord qu’il me sorte de l’usine, ensuite qu’il me rende célèbre. » Quant à l’emploi du mot « nègre » discuté par plusieurs, l’écrivain y revient dans Petit traité sur le racisme (Boréal, 2021) : « Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines [parmi les fondateurs d’Haïti] ont fait entrer le mot Nègre dans la conscience de l’humanité en en faisant un synonyme du mot homme. Un nègre est un homme, ou, mieux, tout homme est un nègre. »

Rodney Saint-Éloi a réfléchi plus largement au racisme suggéré par l’emploi inapproprié des mots nègre ou arabe dans Les racistes n’ont jamais vu la mer (Mémoire d’encrier, 2021), un essai-correspondances avec l’anthropologue et écrivaine palestino-canadienne Yara El-Ghadban.

N’oublions pas que Saint-Éloi est d’abord poète et romancier. Je pense ici à Nous ne trahirons pas le poème et autres recueils (Points, 2021), une anthologie réunissant Nous ne trahirons pas le poème (2019), J’ai un arbre dans ma pirogue (2006), Je suis la fille du baobab brûlé (2015) et J’avais une ville d’eau de terre et d’arcs-en-ciel heureux et autres poèmes (1999).

Le recueil éponyme relate sa démarche en la marquant de signes indélébiles, huit vers mettant en perspective les univers où il nous entraîne « pour me défendre / je dirai que je suis poète / les mots m’ont précédé / je n’ai pas tété ma mère / je n’ai pas connu mon père / j’habite loin de mon île / mon ventre n’est pas mon ventre / je n’étais pas convié à ma naissance ».

Tout comme Da, la grand-mère de Dany chez qui il passa sa petite-enfance à Petit-Goâve racontée dans L’odeur du café, Rodney est très attaché à Tida son arrière-grand-mère, à Contita sa grand-mère et à Bertha sa mère qu’il raconte dans Quand il fait triste Bertha chante. Ce sont là deux romans inoubliables par-dessus tout.

Je vous salue mes amis et vous remercie de la richesse des univers que vous partagez avec le lectorat de la Francophonie. Que vos œuvres demeurent un lien inaliénable entre les humains de toutes couleurs, toutes races et toutes cultures!


mercredi 7 mai 2025

Marcel Thouin

Guide de culture scientifique et technologique

Montréal, MultiMondes, 2025, 416 p., 49,95 $.

Pour des apprentissages en continu

Aller à l’école n’est pas l’affaire d’une époque définie au cours d’une vie, car s’instruire est un devoir fondamental de la vie en société. Qu’il suffise d’évoquer l’ère de l’industrialisation et tous les chambardements sociaux qu’elle apporta à la vie des populations et il est facile de comprendre que l’évolution, pour ne pas dire la révolution actuelle des technologies, est tout aussi déterminante.

Comment alors rester informer des principales avancées scientifiques et technologiques actuelles pour comprendre l’importance de ces découvertes, sinon en nous obligeant à faire une mise à jour continue de nos connaissances à des sources d’informations fiables. C’est ce que nous propose Marcel Thouin dans son Guide de culture scientifique et technologique.

D’abord destiné à des étudiantes et étudiants en pédagogie, cette édition de l’ouvrage élargit son lectorat en proposant un véritable état des lieux actualisé des divers champs d’étude que son titre annonce.

En avant-propos, l’auteur écrit : « Le domaine des sciences et des technologies a longtemps été étranger à celui de la culture. Même de nos jours, le mot culture évoque surtout la littérature, l’histoire, les arts visuels, la musique, la mythologie gréco-romaine et tout ce qui constitue les humanités classiques.

Pourtant, dans nos sociétés confrontées à des mutations rapides, comprendre son environnement naturel et technique et prendre part aux décisions qui l’affectent sont indispensable, ce qui explique que les sciences et les technologies imprègnent tous les aspects du discours politique et économique contemporain, et font maintenant partie des préoccupations constantes des gouvernements, des entreprises, des établissements d’enseignement, des médias et des individus. »

Ainsi, « comprendre son environnement naturel et technique est aujourd’hui indispensable pour prendre part aux décisions qui affectent la société et assumer pleinement sa responsabilité citoyenne. »

Afin que ce guide soit à la fois une ressource pour l’enseignement des uns et la mise à jour de ces champs de connaissance pour les autres, il va de soi que la rigueur des informations fournies est primordiale, et elle l’est. Pour s’en assurer, faisons un bref tour d’horizon de son contenu.

Le premier chapitre traite des sciences, des techniques et des technologies en présentant la nature de l’activité scientifique, les diverses conceptions de la science, la nature des techniques et technologies. Les sciences sont ici définies comme « des ensembles de connaissances relatives à certaines catégories de phénomènes. Il peut être question de sciences biologiques, de sciences sociales, de sciences politiques, de sciences physiques, de sciences de l’éducation, etc. »

Y a-t-il un lien, direct ou non, entre sciences et technologies? Si ce n’est pas toujours le cas, il y a généralement un lien semblable entre la théorie et la pratique. Une découverte scientifique peut se traduire par une application pratique. L’inverse est aussi possible, une observation empirique permettra de développer une théorie scientifique.

Le second chapitre porte exclusivement sur la physique, cette science qui a pour « objet d’étudier les propriétés générales de la matière, de l’espace, du temps et d’établir les lois qui rendent compte des phénomènes matériels ». J’attire votre attention sur les nombreuses références historiques qui rappellent les auteurs de grandes découvertes, théoriques et pratiques, ce qui nous permet de mettre en perspective l’évolution des connaissances dans des champs précis.

Le chapitre 3 s’intéresse à la chimie, cette science qui « étudie la constitution des corps, leurs propriétés, leurs transformations, leurs interactions ». Qui n’a pas un jour ou l’autre eu sous les yeux le fameux tableau périodique? Sans réduire qu’à ce seul cas de figure tout le domaine de la chimie, il n’en demeure pas moins la clé de voûte à laquelle on fait toujours référence. Pensons ici aux changements climatiques, dont certains effets sont observables dans la chimie de l’environnement.

Le chapitre 4 porte sur l’astronomie, cette science qui « étudie la position, les mouvements, la structure et l’évolution des corps célestes ». Les illustrations de cette section permettent de bien donner vie à certains concepts.

Je souligne au passage le tableau modèle que l’auteur du livre a créé pour parfaitement résumer chacun des chapitres. Ce tableau, qui revient dans chacun des chapitres, est composé de trois axes : les conceptions fréquentes, l’explication de ces conceptions et les concepts scientifiques. Suivent les notions de base pour chacun d’eux et les notions spécifiques à chaque élément étudié dans le chapitre.

Le chapitre 5 porte sur les sciences de la terre – la terre dans l’espace, la structure de la terre, l’histoire de la terre, les roches et minéraux, l’évolution de la surface de la terre, les océans et les mers, l’atmosphère et le temps.

Le chapitre 6 porte sur la biologie, cette science « de la vie, des êtres vivants et des phénomènes qui les caractérisent » qui va de la cellule à l’hérédité, des virus à la biologie des plantes, de la biologie des animaux à l’écologie, et j’en passe.

Le dernier chapitre porte sur les techniques et les technologies relatives à l’architecture et la construction; au mouvement; à la lumière, au son et aux communications; à la chaleur; aux techniques et technologies militaires et policières; à la chimie; au vêtement et à l’alimentation; à la santé; à l’environnement; à l’ingénierie.

Outre les tableaux synthèses mentionnés précédemment, l’ouvrage est accompagné de nombreuses illustrations, soit des photos de scientifiques ayant fait école ou des graphiques permettant de bien visualiser divers aspects de l’évolution de l’Histoire de la science ou de la technologie.

Je partage l’opinion que « son approche accessible à tous permet l’acquisition graduelle de connaissances scientifiques et technologiques par le biais d’une confrontation constante entre, d’une part, des conceptions non scientifiques fréquentes – les exemples nous viennent à l’esprit rapidement en ce monde de la fausse nouvelle ou d’un négationnisme racoleur – et, d’autre part, les concepts, lois et théories généralement admis par la communauté scientifique. Tous les chapitres se terminent par un questionnaire de révision qui permet de tester ses connaissances; ces épreuves permettent aussi bien de confronter nos propres connaissances que d’animer une discussion familiale ou entre amis. »

Le Guide de culture scientifique et technologique me semble une référence indispensable pour quiconque désire se familiariser avec l’univers fascinant des sciences et des technologies ou mettre à jour ses connaissances en ces vastes et riches domaines.