À Emmanuelle M.
Pour saluer Jean Royer et Gaston Miron
Peut-on entretenir des relations
interpersonnelles avec des écrivain-e-s quand on tient une chronique
littéraire? Cela peut-il compromettre notre point de vue sur leur talent ou sur
leurs œuvres? Quoi qu’il en soit, cela arrive et c’est bénéfique pour l’un et
l’autre, comme ce le fut pour Jean Royer et moi.
L’œuvre littéraire de Jean Royer était déjà immense, lui qui était à la fois poète, essayiste, romancier – il faut lire Les trois mains (Bq, 2006), un troublant récit de l’intime –, journaliste littéraire et éditeur. Ses études et analyses du corpus de la poésie québécoise et d’ailleurs en francophonie sont toujours reconnues, dont son Introduction à la poésie québécoise (Bq, 1989 et 2009).
Arpenter le Carré Saint-Louis en sa
compagnie était un pèlerinage au pays de la communauté artistique vivant
derrière ces murs à l’architecture propre à ce coin de la Métropole. Faire une
longue pause devant la maison où Gaston Miron et sa fille Emmanuelle vécurent, et
ressentir la vive émotion dans la voix de Jean qui m’amène, métaphoriquement, dans
le grand bureau encombré de « Miron le magnifique » et nous voilà dans
l’univers du Voyage en Mironie : une vie littéraire avec Gaston Miron.
Véritable journal de bord, ce livre nous fait partager les souvenirs étalés sur plusieurs décennies de compagnonnage et d’amitié démesurée à l’image des protagonistes. D’une part, il y a Gaston Miron, le poète national aux vers et aux recours didactiques largement connus. D’autre part, Jean Royer, mémoire vivante de notre Parnasse. Ensemble, ils forment une redoutable équipe. De Montréal à Paris, Miron n’a jamais cessé de se porter à la défense de la langue parlée et écrite au Québec, ce français nord-américain à la fois semblable et différent de celui de la France, et d’ailleurs en francophonie. Royer se fait ici mémorialiste de ces prises de parole.
Gaston Miron sur parole :
un portrait et sept entretiens (Bq, 2007) complète la vaste fresque que
dessine ce « voyage en mironie ». Dans sa préface, l’écrivain
français Sylvestre Clancier parle du personnage Miron et de son immense talent
de colporter la littérature québécoise partout en francophonie,
particulièrement en France, et les multiples amitiés qu’il s’est tissées au fil
des ans et des voyages. Jean R. précise, en avant-propos, que ce livre fait
revivre la parole du poète en étant « fidèle à ses intonations, à ses
éclats, à ses harmoniques. » Il a raison : j’ai souvent cru entendre
la voix unique et tonitruante de Miron et son rire sonore d’où s’échappe sa
timidité.
Jean Royer est décédé le 4
juillet 2019. Son état de santé s’était détérioré depuis le décès de Micheline
La France, son épouse, et malgré la réception du prix Athanase-David, deux
événements survenus en 2014. Avant de partir, il a écrit son testament
littéraire comme seul lui pouvait le faire : quatre ouvrages, tel un
quadriptyque composant un vaste tableau illustrant des artisan-e-s des
littératures francophones, d’ici et d’ailleurs. La page couverture de chacun d’eux
est signée Paule Royer, sa sœur aînée et complice. L’arbre du veilleur (Noroît,
2013), premier de la suite, est « un abécédaire dont l’originalité tient à
un jeu de connaissances et d’analyses. Mené comme un récit, il propose des
pistes de réflexions et de lecture à partir de quelques aspects de la poésie,
dans une approche humaniste et sensible… Près d’une quarantaine d’entrées et une
centaine de poètes balisent le parcours. »
La voix antérieure. Paysages
et poétiques (2014) ou "L’arbre du veilleur 2" « illustre
des approches de la poésie par des thématiques appartenant à l’histoire, à la
relation du poète avec le philosophe et le savant, avec des paysages de la
poétique. En somme, l’auteur interroge les origines du poème. »
Le volet suivant, La fêlure,
la quête : notes sur la poésie (Noroît, 2015), « … propose au
lecteur des méditations personnelles sur l’atelier du poète, la quête du
langage et les "leçons" de la poésie – la métaphore répondant à la
mélancolie, le poème résistant au silence et au sentiment du vide, en vue d’une
espérance. »
Jean Royer, prudent, présenta le
tapuscrit de L’autre parole : poèmes didactiques (Noroît, 2019) à
son éditeur et ami Paul Bélanger qui le publia peu de temps après son décès.
Quatrième et dernier volet de "L’arbre du veilleur", ce livre
« peut être lu comme une ode à la vie et à l’histoire littéraire, à "l’autre
parole", celle de la poésie québécoise actuelle, particulièrement celle
des femmes poètes et de leurs thématiques. » Il lui a donné la forme du
poème didactique qui « a pour mission d’éclairer notre regard vers les
choses et de questionner notre destin. »
Jean m’avait confié avoir entrepris
de semer une forêt d’arbres du veilleur et m’en avait décrit le contour lors de
l’une de nos rencontres saisonnières. Où trouvait-il l’énergie pour se lancer
dans un projet d’une telle envergure, sinon dans sa foi profonde en la poésie.
Merci Jean d’avoir été ce compagnon qui m’a tant appris, surtout l’essence de la poésie qui est un art de vivre où on perçoit même les aléas du quotidien bien plus loin que l’urgence du moment. « Les mots seront / Mon dernier recours » disais-tu, puisque « Né dans le ventre des mots, tu as fait du poème ton corps de mémoire. »
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