De Petit-Goâve à Cavaillon
Pour saluer Dany Laferrière et Rodney Saint-Éloi
Je salue Dany Laferrière et
Rodney Saint-Éloi en ce printemps 2025. Tous deux sont entrés dans mon panthéon
littéraire grâce à leurs ouvrages et leur humanisme, mais aussi par des
rencontres fortuites. Je vous raconte.
Juin 1998, dans les allées d’un
disquaire montréalais, je croise Dany et Maggie Berrouet, son épouse. Ils discutent
autour de Montand chante Prévert. Je vaincs ma timidité et me permets de
leur dire tout le bien que je pense de l’interprétation de Montand des vers du
poète.
En mai 2004, quittant le Marché
de la poésie de Montréal, Patricia Lamy, une amie attachée de presse, me
présente Rodney, écrivain et éditeur chez Mémoire d’encrier. La bonté qui se
dégage du visage de ce dernier, entouré de dreadlocks grisonnantes, m’émeut.
L’œuvre de Dany Laferrière est
aussi diverse que considérable. Cela peut sembler paradoxal pour celui qui a
écrit : « Un matin de février 1984, il y a quarante ans de cela, je
me suis réveillé dans le grand froid montréalais, avec cette idée étrange qu’on
ne devrait pas écrire plus d’un livre. »
J’ai sous les yeux Autobiographie
américaine (Bouquins, "la collection", 2024) qui, avec ses
1 300 pages, illustre le paradoxe du livre unique. Ces dix fictions nous
font entrer dans un seul et même univers par des avenues différentes, selon les
époques et la trame que l’écrivain a tissée pour chacune avec de semblables
fibres. Une place de l’Étoile imaginaire dont le Carré Saint-Louis serait le
centre.
Qu’attendait-il de Comment
faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (VLB, 1985), son premier roman?
« D’abord qu’il me sorte de l’usine, ensuite qu’il me rende célèbre. »
Quant à l’emploi du mot « nègre » discuté par plusieurs, l’écrivain y
revient dans Petit traité sur le racisme (Boréal, 2021) :
« Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines [parmi les fondateurs
d’Haïti] ont fait entrer le mot Nègre dans la conscience de l’humanité en en
faisant un synonyme du mot homme. Un nègre est un homme, ou, mieux, tout homme
est un nègre. »
Rodney Saint-Éloi a réfléchi plus largement au racisme suggéré par l’emploi inapproprié des mots nègre ou arabe dans Les racistes n’ont jamais vu la mer (Mémoire d’encrier, 2021), un essai-correspondances avec l’anthropologue et écrivaine palestino-canadienne Yara El-Ghadban.
N’oublions pas que Saint-Éloi est d’abord poète et romancier. Je pense ici à Nous ne trahirons pas le poème et autres recueils (Points, 2021), une anthologie réunissant Nous ne trahirons pas le poème (2019), J’ai un arbre dans ma pirogue (2006), Je suis la fille du baobab brûlé (2015) et J’avais une ville d’eau de terre et d’arcs-en-ciel heureux et autres poèmes (1999).Le recueil éponyme relate sa
démarche en la marquant de signes indélébiles, huit vers mettant en perspective
les univers où il nous entraîne « pour me défendre / je dirai
que je suis poète / les mots m’ont précédé / je n’ai pas
tété ma mère / je n’ai pas connu mon père / j’habite loin
de mon île / mon ventre n’est pas mon ventre / je n’étais
pas convié à ma naissance ».
Tout comme Da, la grand-mère de
Dany chez qui il passa sa petite-enfance à Petit-Goâve racontée dans L’odeur
du café, Rodney est très attaché à Tida son arrière-grand-mère, à Contita
sa grand-mère et à Bertha sa mère qu’il raconte dans Quand il fait triste
Bertha chante. Ce sont là deux romans inoubliables par-dessus tout.
Je vous salue mes amis et vous
remercie de la richesse des univers que vous partagez avec le lectorat de la
Francophonie. Que vos œuvres demeurent un lien inaliénable entre les humains de
toutes couleurs, toutes races et toutes cultures!
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