mercredi 23 mars 2022

Thierry Pardo

Petite éloge du mouton

Montréal, du passage, 2022, 64 p., 19,95 $.

Alpage urbain aux allures bucoliques

Le premier mouton de ma souvenance passait tous les ans sur un char allégorique accompagné d’un enfant blond et frisé, vêtu d’une peau d’agnelet, représentant Saint-Jean-Baptiste. Cette fête est devenue, des décennies plus tard, notre Fête nationale. Le second mouton croisé fut celui de Panurge, personnage de François Rabelais, cet auteur français du XVe siècle dont j’aime revisiter la prose tonitruante.

Or, voilà que paraît Petit éloge du mouton, un livre de Thierry Pardo. Il s’agit du récit poétique de Biquette, un projet d’écopâturage en ville, installé au Parc Maisonneuve – quartier montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie – et qui se tint du 13 juin au 5 septembre 2021. « Les trois objectifs du projet Biquette étaient de pâturer par l’entretien des espaces verts de façon alternative et écologique par les moutons; éduquer par la création d’un espace pédagogique sur l’écopâturage et l’agriculture urbaine et la réalisation d’une étude scientifique sur le pâturage en milieu urbain; égayer par des activités ludiques et des ateliers virtuels. »

Je me suis rappelé Weedon ou la vie dans le bois (du passage, 2020), un récit également signé Thierry Pardo, qui portait sur l’espace de liberté de cette municipalité de la MRC du Haut-Saint-François, en Estrie. En exergue, il y a cette phrase de H. D. Thoreau : « Je partis dans les bois parce que je voulais vivre selon mûre réflexion, affronter seulement les faits essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais apprendre ce qu’elle avait à enseigner, pour ne pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. »

Je vois, dans ce livre et maintenant dans Petit éloge du mouton, un appel à une vie distincte de celle de la majorité des citadins, différente aussi de la vie de campagne que les fin-de-semainiers s’inventent sur les rives d’un lac, d’une rivière ou même à la montagne. Une vie zen, occasionnellement contemplative.

Le projet Biquette compte sur une équipe des bénévoles qui veillent sur le petit troupeau et sur les passantes et passants, adultes ou enfants, surpris de voir les moutons en liberté. L’auteur fait remarquer qu’on « s’aperçoit assez vite que notre connaissance de cet animal si familier est grandement lacunaire. » Par exemple, « on ignore parfois que mouton est le nom générique désignant les brebis (femelles), les béliers (mâles), les agneaux et les agnelles (jeunes). »

Cette méconnaissance se raffine quand on pense que le mouton vit en écosociété avec ses semblables avec, pour principale préoccupation, de paître la journée longue. « D’où que l’on se tourne, le mouton est là, placide, occupé à brouter comme si le reste du monde était suspendu à sa mastication. »

« Le mouton et la laine maillent notre histoire » est un des onze chapitres du livre, chacun portant sur un aspect de l’existence du mouton, dont ses rapports avec ses semblables ou les humains. « La sélection des espèces par les pasteurs de toutes les époques a permis d’avoir des moutons pourvoyeurs de fibres, créant ainsi une dépendance à la tonte, aux ciseaux et aux bergers. » (19)

En observant attentivement chacune des bêtes, l’auteur Pardo constate que la « personnalité des moutons est aussi diverse que la nôtre. Les plus jeunes suivent leur mère et tentent de lui voler une tétée par surprise. Parmi eux, il y en a toujours un qui lance la course, ou la bataille. Face à face, les agneaux se donnent des coups de crâne. Il y a toujours un jeune moins joueur, plus réservé que les autres. Les adultes ne participent pas à ces joutes. » (38)

La différence notable entre eux et nous repose, selon ma lecture, sur le fait que « le travail trône au panthéon [de nos] valeurs » (47) et que cueillir l’herbe est l’activité principale de l’animal. « Les moutons ont une période de récolte et une de repos où ils ruminent leur repas, et, pendant leur moment de cueillette, ils n’aiment pas être importunés. » (49)

Et le berger, alors? « En réalité, le berger se laisse guider par le mouton et pas seulement physiquement à travers le parc. Il se laisse bercer par la régularité de sa mastication. Cela agit comme un mantra méditatif sur l’âme et, petit à petit, le berger s’apaise de l’intérieur. » (53)

Le pâturage montréalais n’est pas un jardin zoologique et permet plutôt « la rencontre naïve, simple et anachronique avec un troupeau de moutons au détour d’un bosquet montréalais. Cette anomalie temporelle crée chez l’enfant, chez l’ancien une émotion immédiate. La surprise est encore plus belle lorsque le promeneur se rend compte que les moutons sont libres, sans collier ni clôture. Cette liberté est d’une incroyable insolence à l’époque où tout doit être sous contrôle. » (59)

La transhumance urbaine des moutons est sûrement moins exotique que celle des vastes troupeaux amenés dans les alpages où, presque laissés à eux-mêmes, ils profitent d’un vaste et vert pâturage l’été durant. On dit même qu’il en fut ainsi jadis dans certaines régions du Québec. Maintenant, un coin de métropole se donne des allures alpines et permet à des apprentis bergères et bergers de s’initier à une pratique millénaire. Merci, Thierry Pardo de nous avoir fait voir et comprendre ce paysage bucolique.

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