mercredi 9 septembre 2020

Christian Barthomeuf

Autoportrait d’un paysan rebelle : une histoire de pommes, de vin et de crottin

Montréal, du passage, 2020, 232 p., 34,95 $.

 

Prédisposition : autodidacte

 

Associer les mots autoportrait et rebelle a piqué ma curiosité. Il y a aussi que Laurel Waridel signe une des présentations et que Virginie Gosselin a fait les photos, elle qui a cosigné avec sa sœur Marie-Pier l’album familial, Au gré des champs. Les astres montérégiens convergeaient, je me devais recenser Autoportrait d’un paysan rebelle : une histoire de pomme, de vin et de crottin, un essai de Christian Barthomeuf.

 


 

Laure Waridel salue la permaculture pratiquée par C. Barthomeuf et Louise Dupuis sa compagne : l’agriculture biologique. La militante écrit entre autres : « En cette ère de grands bouleversements écologiques et de montée des inégalités sociales et économiques, la lecture de ce livre donne un élan d’espoir. Il donne le goût de prendre soin de la vie. Celle que l’on boit. Celle que l’on mange. Celle que l’on habite et qui nous habite. Celle qui constitue notre bien commun le plus précieux. »

Cet engagement est le résultat d’un long et lent cheminement qui fait qu’aujourd’hui le fruit de leur labeur est déjà pérenne.

Le billet de Jacques Orhon, sommelier et auteur d’ouvrages sur les vins, résume le chemin du combattant : du Domaine des Côtes d’Ardoise créé en 1980, à la Chapelle Sainte-Agnès à Sutton en 1997 et, plus tard, à La Face cachée de la pomme et au Domaine Pinacle. Orhon rappelle que C.B. est le créateur du cidre de glace, ce qui lui a valu diverses reconnaissances, nationales et internationales.

Christian Barthomeuf a raconté les faits marquants de sa carrière à Julie Aubé, nutritionniste et conférencière; elle l’a assisté dans ce travail, tantôt pour préciser un événement, tantôt l’évolution d’une activité ou d’un projet, et ce même s’il a sans doute le verbe aisé quand il s’agit de raconter ses passions. Il n’est donc pas étonnant que cette autobiographie se lit comme un roman d’aventures, celle d’un créateur aux multiples talents qui ne compte ni les jours, ni les mois, ni les années pour réaliser ses projets coûte que coûte.

Sa venue au Québec en 1974 n’est pas touristique, mais la suite d’un cadeau que ses parents lui firent à l’occasion de ses 11 ans : un petit Kodak Brownie. Ce modeste appareil photo va changer le cours de son existence en éveillant la passion de la photographie qui, un jour, l’amène à pratiquer professionnellement cet art. Mais avant, en toile de fond de son enfance, C.B. applique à son histoire la phrase d’Euripide : « Toutes les impressions qu’on reçoit dans l’enfance, on les conserve jusque dans la vieillesse. »

Cette enfance est faite de leçons tirées d’événements fortuits, de rencontres anodines et de vacances à la campagne chez ses grands-parents paternels aux origines auvergnates dont les terres étaient cultivées sans tracteur et sans engrais chimiques. Dans cette région, on attribuait un surnom à chacune des familles; le sobriquet des siens était « Saragnat », un nom qu’il amène dans ses bagages. Le biographe n’est pas tendre envers l’enfant qu’il fut, rappelant l’anathème si souvent lancé à son endroit, « bougre d’andouille ». Adolescent, ses parents s’établissent à Saint-Martin-de-Crau, près d’Arles. L’école n’est pas vraiment son truc et le diagnostic d’un orienteur est sans appel : « prédisposition autodidacte ». Profitant de la maison des jeunes du coin, il apprend à faire du laboratoire photo et devient pigiste pour le journal local. Il quitte le nid familial encombré, s’installe à Toulouse avec son ami Gus avant qu’arrive le service militaire obligatoire. Le récit de ces mois en uniforme est truculent et rappelle certaines comédies françaises.

Après ce passage, C. Barthomeuf devient copropriétaire de Labo Films Productions, une société spécialisée dans le documentaire et le film touristique, établie à Montpellier. C’est là qu’il rencontre une bande d’étudiants québécois, dont une certaine Denise qu’il accompagne lors de son retour dans la belle province. En 1974, il y a ici plus d’emplois que de personnel et tous les deux se trouvent du travail et un petit meublé à Montréal. Il se découvre alors une passion pour les systèmes de son et décide d’ouvrir un magasin spécialisé sur le boulevard Taschereau. Les affaires roulent si bien, qu’il est sur le point d’ouvrir une seconde boutique… à Saint-Jean-sur-Richelieu.

En 1977, il rencontre un visiteur français qui lui fait l’éloge du village de Frelighsburg. Denise et lui s’y rendent, tombent sous le charme de l’endroit et veulent s’y établir. Ne trouvant pas une exploitation qui leur convient, on leur propose une ferme abandonnée du côté de Dunham et ils l’achètent. Que faire de cette propriété, ses seules connaissances en agriculture sont ses souvenirs d’enfance? Heureusement, sa compagne d’alors fait vivre le ménage en donnant des cours d’anglais aux prisonniers de Cowansville. On lui fait remarquer que les côteaux de l’endroit seraient une terre idéale pour faire pousser de la vigne. L’idée lui plait sans qu’il ait les connaissances et les habiletés essentielles à cette culture.

Encore une fois, l’anathème du conseiller en orientation le frappe et il se lance tête baissée dans cette énième aventure qui ne sera pas la dernière. Il baptise son territoire Domaine des Côtes d’Ardoise et y sème les premières vignes en 1980. Comme tout bon autodidacte, il apprend sur le tas le métier de vigneron et ses aléas, tout en affrontant la crise économique qui sévit alors. Été 1982, il accueille un stagiaire français, Charles Henri de Crouseilles, fils de vigneron, qui crée, plus tard avec des partenaires, le Vignoble de l’Orpailleur.

Les premières bouteilles des Côtes arrivent l’année suivante. Lors d’un événement de fin d’année, le Dr Jacques Papillon est séduit par le produit et propose d’acheter le vignoble tout en embauchant Barthomeuf à titre de responsable de la production. Passionné plus que jamais, le diable d’homme lit tout ce qu’il trouve sur le sujet, particulièrement ce qui concerne les cépages vitis vinifera aussi appelés cépages nobles; il va en France « quérir le matériel nécessaire à l’exploitation du jeune vignoble (tracteurs enjambeurs, arroseur, etc.). »

Un des problèmes majeurs des vignobles des années 1980-1990, et encore aujourd’hui, c’est le prix de vente de leurs produits. Le coût réel de production et celui demandé pour les bouteilles à la ferme est énorme en comparaison des vins importés. « Le rapport qualité-prix ne correspondait pas à la réalité du marché. »

Toujours à l’affut de nouveauté, Christian B. produit, en 1990, le premier vin de glace québécois avec du Vidal vendangé en décembre précédent. Cette même année, il a l’idée de produire du cidre de glace et embouteille sa première cuvée en 1992. Entre temps, il a quitté le vignoble de Dunham et Louise, sa compagne depuis, entre dans sa vie. Malgré les diverses expérimentations, le couple se garde du temps pour voyager. C’est d’ailleurs lors d’un séjour en Mauritanie, en 1996, qu’ils font leur un dicton du pays : « Ne faire que ce dont nous avons besoin. » Ce mantra guide depuis le mode de vie et celui de leurs productions.

Le goût du vin n’est jamais loin. Pour y revenir, ils choisissent la culture biologique même s’ils n’y connaissent rien. Comme d’habitude, C.B. effectue des recherches pour se faire une tête et évaluer la faisabilité d’un vignoble bio. La notion de terroir devient un phare dans la nuit. « Un goût de terroir, c’est l’interaction de la faune, la flore, les champignons, les micro-organismes (bactéries, microbes, etc.) qui sont indispensables et indissociables de la vie du sol. » Mais, avant de s’y mettre, il faut renaturaliser la terre, puisqu’après « quelques années d’utilisation de désherbants, la structure vivante qui pourvoyait gratuitement à la richesse du sol depuis des milliers d’années avait disparu. »

La théorie est évocatrice, mais la pratique exige du temps, beaucoup de temps où il faut aussi assurer sa subsistance. C.B. s’implique donc dans trois projets : le vignoble Chapelle Sainte-Agnès à Sutton, les vergers la Face cachée de la pomme et le Domaine Pinacle. Il met à profit l’expérience acquise tout en expérimentant ses nouvelles découvertes. Louise et lui ne projettent pas alors d’acheter une propriété, mais la visite d’une terre en friche dans la région de Frelighsburg remet cela en question.

Débute alors une aventure fort détaillée dans l’autobiographie. D’une certaine façon, les expériences relatées permettent au commun des mortels, dont je suis, de mieux comprendre ce qu’est la culture biologique, d’une part, et comment il est possible de faire revivre une terre trop longtemps exposée aux pesticides et aux engrais chimiques. Le Clos Saragnat, leur propriété et le nom de leur vin, prend des années à ramener à la santé, à une vie naturelle. Comment nourrir la terre autrement? Le crottin du titre de l’essai est une des réponses dont deux chevaux triés sur le volet assurent la production. S’ajoutent aux équidés des poules en liberté « surveillée » qui stimulent le couvert de terre en picorant à qui mieux mieux, en déféquant à l’avenant et en les déplaçant en bande d’un coin à l’autre de la propriété.

Autoportrait d’un paysan rebelle : une histoire de pommes, de vin et de crottin est, à sa façon, un roman d’aventures avec de multiples péripéties et de nombreux rebondissements. Certes, c’est l’histoire de succès, mais constituée d’essais, d’erreurs et de silences. On ne peut reprocher à Christian Barthomeuf la complaisance à l’égard de son travail, car il en est ainsi de l’autobiographie. On peut rendre hommage à sa détermination et, surtout, à son goût de l’aventure, lui dont a remarqué la prédisposition autodidacte.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire