mercredi 11 octobre 2023

Marie-Hélène Voyer

Mouron des champs, suivi de Ce peu qui nous fonde (essai)

Saguenay, La Peuplade, coll. « Poésie », 2022, 216 p., 21,95 $.

Femme, femme, femme

Déambulant rue Lafontaine dans le vieux Rivière-du-Loup, il allait de soi d’entrer dans la librairie J.A. Boucher devant laquelle nous étions garés pour y bouquiner. Allions-nous avoir assez apporté de livres pour les deux semaines dans le Bas-Saint-Laurent?

Prévoyants, nous nous procurons quelques ouvrages supplémentaires dont Mouron des champs qui a valu à Marie-Hélène Voyer, son autrice, le Prix des libraires du Québec 2023 de poésie, tout comme son essai L’Habitude des ruines: le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec recensé ici à sa sortie. Un doublé unique dans l’histoire des Prix des libraires.

Rappelons que le « Prix des libraires du Québec est un prix littéraire créé en 1994 par l’Association des libraires du Québec et le Salon international du livre de Québec. Il "honore les auteurs dont l’œuvre a retenu l’attention des libraires par son originalité et sa qualité littéraire" ».

Les prix littéraires n’ont jamais guidé mes choix de lecture, mais parfois retenu mon attention, c’est le cas de Mouron des champs. Je me suis souvenu de l’essai dans lequel Marie-Hélène Voyer met en évidence le peu de cas que nous faisons de notre patrimoine bâti, celui-ci n’étant parfois qu’un patrimoine de façade, une illusion de nos préoccupations historiques.

Dans son recueil de poésie, accompagné de Ce peu qui nous fonde, un bref essai tout aussi poétique, l’écrivaine se soucie à nouveau d’un aspect du passé, ce qu’il est convenu d’appeler le patrimoine immatériel que sont les femmes d’hier – nos arrière-grands-mères, grands-mères et nos mères – qui nous ont légué tant de choses d’aussi loin que notre mémoire oublieuse se souvient.

Marie-Hélène Voyer a choisi la poésie narrative pour explorer ce terreau fertile donnant à chacune des neuf séquences qui composent le livre un titre évoquant un aspect de la féminitude d’un temps jadis qui n’est hélas! jamais tout à fait terminé et encore moins rayé des habitudes d’une certaine masculinité contemporaine – d’une certaine « mâlitude » dominante.

En « avant-dire », elle énonce sans détour son projet : « il me faudrait tracer l’histoire / de mes vieilles vivantes / toutes leurs vies raboutées / elles et moi raccommodées / dans un livre / d’amertumes rieuses / et de joies sombres / ce serait le livre / d’une mémoire impossible / encagée / et pourtant… l’histoire d’une voix cénotaphe / qui cherche à retrouver ses mortes / quelque part entre ses mains / là où l’écriture fait tache ».

Le titre de chacun des segments trace une large fresque sur laquelle les mots et leur rythme se posent – utile pour reprendre son souffle que la lecture à voix haute exige (comment s’approprier autrement la poésie?); ils sont à la fois dits et évoqués comme un mystère révélé : battre la campagne (les halètements), granges (les suffocations), cuisines (les rechignages), chambres (les chuchotements), sous les combles (les râles), reliquaires (les hoquetages), mausolée (les lamentations), caves (les grondements), dans les fosses (les respirs).

L’ensemble crée un portrait de générations de femmes laissant derrière elles les pièces composant la courtepointe d’un univers féminin sans cesse renouvelé selon la façon de chacune d’occuper l’espace-temps imposé par les diktats générationnels, celui des us et coutumes souvent dirigés par des contingences des États ou des Religions.

De Ce peu qui nous fonde, je retiens les mots de Marie-Claire Blais mis en exergue et qui reflètent exactement l’image maternelle que M.-H. Voyer y présente :

« Et ma mère qui avait toujours eu si peu d’existence pour elle-même, ne vivant que toujours que pour les autres, sortait de l’ombre comme un portrait inachevé et l’absence de ses traits effrayés semblaient me dire : "Achève cette brève image de moi." »

La relation mère-fille m’est toujours demeurée mystérieuse jusqu’à ce que je m’approche d’une fratrie féminine, dominée par la présence des hommes de la famille, et que je distingue chaque pièce d’un jeu de droits et de devoirs que ces derniers imposaient. Or, la relation de la narratrice de Ce peu qui nous fonde et de sa mère illustre le devoir (ou, peut-être, le pouvoir) de la transmission du rôle de mère qui lui a été proposée et dont elle découvre la prégnance dès la conception d’une enfant. Si bien qu’elle conclut par ce message à sa propre fille : « Il est long le travail de vivre hors de nos mères. Bientôt, tu connaîtras les mots pour naître à toi et pour mailler ta vie quelque part dans la grande trame des vivants. » (195)

« Mouron des champs dit l’histoire de vies dures et empêtrées, de destinées de filles de fermiers, de pauvresses du bout du rang, de mères travailleuses infatigables aux désirs corsetés. Revitalisant brillamment le vocabulaire des parlers populaires, l’écrivaine fouille les lieux de vie familiaux où se resserrent l’emprise de la domesticité́ et la violence de la contention. Cette poésie profonde et tassée comme un pain de mie porte la voix des mortes et met en lumière les encagements du passé. C’est l’occasion pour la poète de revenir sur la disparition de sa mère, cette femme de cendre qui s’effondre, sur les ombres qui planent depuis l’enfance et sur l’affranchissement que permet l’écriture. Un souffle d’amour pour apprendre à vivre. »

Bref, Mouron des champs est de ces livres qui nous envahissent et nous obligent à mettre en perspective notre propre histoire, celle qui se love dans notre plus profonde intimité, ici l’image ineffaçable de notre propre mère, de sa mère et de nos grands-mères.

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