mercredi 4 octobre 2023

Howard McCord

L’homme qui marchait sur la lune, traduit de l’anglais par Jaques, Mailhos

Québec, Alto, coll. « Coda »,2023, 136 p., 14,95 $ (papier), 8,99 $ (numérique).

L’univers selon William Gasper

L’homme qui marchait sur la lune de l’écrivain états-unien Howard McCord (1932-2022), braque les projecteurs sur la vie d’un mercenaire, un métier dont on discute beaucoup les tenants et les aboutissants notamment quand il est question des interventions du groupe Wagner en Ukraine et en Afrique.

McCord – poète, romancier, essayiste, etc. – imagine William Gasper racontant des événements choisis de sa vie tout en faisant du trekking dans un territoire du Nevada dont la géographie est semblable à celle qu’on connaît ou qu’on imagine de la lune. Ce n’est pas un territoire accessible à tous; il faut du courage, de la détermination et une assurance à toute épreuve pour affronter les aléas de l’adversité en terre hostile.

Gasper effectue régulièrement, depuis des années, l’odyssée à laquelle il nous convie. Il nous oblige à écouter son récit qui explique les raisons qui motivent une telle randonnée, « vertigineuse dans les ténèbres qui baignent le cœur des hommes. »

« Au fil de son ascension, Gasper revisite ses souvenirs, réels ou imaginaires, entrouvrant les portes d’un esprit lucide où subsistent les vestiges d’une existence marquée par la sauvagerie. Comme les paysages qu’il habite et qui l’habitent en retour, le mystère William Gasper ne se livre qu’à celui qui accepte de le contempler dans toute sa terrifiante majesté. »

Faut-il aimer la solitude pour se lancer dans une telle aventure, loin de tout et de tous, ou y a-t-il là une obligation incontournable, une question de vie ou de mort? « Qu’elles concernent l’art, l’amour ou la mise à mort, les valeurs sont une affaire personnelle. Une question de goût et de conventions, rien d’autre. Autant qu’il m’était possible de le faire, je me suis toujours efforcé d’agir en ces domaines avec calme et raison. Je sais ce que j’aime et je sais ce que je veux. Je suis même prêt à me sacrifier pour les autres. Si je le veux. Je le veux rarement, c’est une des raisons pour lesquelles je vis depuis toutes ces années sur un territoire comme celui que m’offre la Lune : vaste et vide. »

Ce que Howard McCord parvient à créer, c’est un récit où tout est en harmonie tant le héros que le paysage, la vie donnée autant que le meurtre prémédité. Gasper a choisi la solitude autant qu’elle l’a choisi sur un champ de bataille coréen au sein des Marines états-uniens où il était « sniper », un tireur d’élite qui a fait plus de 140 victimes au nom de la loi. Pourtant, Gasper n’est pas une brute sanguinaire comme on l’imagine dans la quiétude de nos États de droit, mais un justicier se réclamant du même droit. C’est d’ailleurs en réfléchissant à ce passé violent qu’il s’adonne à cette nième traversée de la Lune en s’assurant que personne ne le suit pour régler son compte.

Paranoïa ou non, Gasper est bel et bien suivi par une ombre dont il ne parvient pas à distinguer exactement qui elle est ou ce qu’elle lui veut, ce qui ne lui donne pas d’autre choix que de l’abattre. Il y a aussi la mystérieuse Cerridwen, « déesse galloise de la mort et de la fertilité » dont s’est sûrement inspiré l’auteur; Gasper l’a croisée pour la première fois en Corée, alors qu’il était un combattant de dix-huit ans et que sa vie et celle de ses compatriotes étaient compromises. Cette fois, elle l’avait épargné, mais il ignorait si elle déciderait un jour de le faire mourir, il devait donc s’en méfier malgré ses pouvoirs surnaturels.

Raison de plus pour nous interroger sur la véritable nature de William G., « cet individu en mouvement dont personne ne sait rien, sinon qu’il préfère la compagnie de la nature à celle des hommes? Un promeneur mystique? Un fugitif hanté par son passé? Un sage ou un assassin? » Chose certaine, la Lune qu’il hante depuis cinq ans « était un lieu où la mémoire pouvait se détendre ou se laisser bercer au point d’atteindre des choses plaisantes; un lieu où le trop-plein d’horreur brute de la vie pouvait être voilé par la brillance même du jour… Chaque pas était en soi une histoire instantanée et autonome, de même que chaque regard sur le côté ou chaque respiration. »

Le personnage paradoxal qu’incarne William Gasper peut inspirer l’horreur ou la sympathie selon la lecture que l’on fait de son récit ou du jugement que l’on porte sur son passé. Or, le romancier McCord parvient, dans le dernier volet du roman, a semé le doute sur notre perception du personnage Gasper, en mettant en scène une chute où le bien et le mal, au sens moral, sont juxtaposés.

En refermant L’homme qui marchait sur la lune, tout en reconnaissant l’immense talent de Howard McCord, j’ai compris à quel point la dictature de l’immédiat et des « likes » interdisent la distance spatio-temporelle vitale au bon jugement et l’emprisonne dans un dilemme cornélien impossible à résoudre.

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